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ОглавлениеComment l’Alsace se donna à la France
25 février 1915.
Le manifeste socialiste de Londres a paru mettre en doute la qualité de Français des Alsaciens-Lorrains et soumettre leur rentrée dans la mère patrie à une consultation plébiscitaire préalable.
M. le président du conseil a saisi cette occasion de déclarer à la tribune que l’«Alsace-Lorraine a préparé elle-même, par son héroïque fidélité, le retour à la patrie», et que ce sera, non pas une «conquête» mais une «restitution».
Quel est donc le point de départ, quelle est l’origine de la fidélité des Alsaciens à la France?
Cette fidélité n’est point issue des conquêtes et réunions opérées jadis par Louis XIV, elle n’est point issue d’une violence ou d’une intrigue, mais d’une libre adhésion, la plus spontanée et la plus cordiale qui se soit jamais vue.
C’est en 1790, quand se produisit en France ce grand mouvement de fraternisation, que les Alsaciens voulurent être Français par le cœur, et non plus par la force des traités et des victoires de Louis XIV.
Le 22 mai 1790, la municipalité de Strasbourg vota «le projet d’une confédération de la garde nationale de cette ville avec la garnison et les gardes nationales des départements voisins».
Ce fut la Fédération du Rhin ou Confédération de Strasbourg.
Donc, le 11 juin 1790, des pavillons aux couleurs de la nation furent placés «sur les quatre tourelles et sur la pointe de la superbe flèche de la cathédrale», aux acclamations générales.
On vit arriver les confédérés.
D’abord des délégués des troupes réglées d’Alsace, et aussi de Dôle.
Puis des gardes nationales, représentées par des députés: Jura, Loire-Inférieure, Marne, Haute-Saône, Doubs, Meuse, Meurthe, Moselle, Vosges, Haut-Rhin, Bas-Rhin, au total 2.281 députés. Des adhésions étaient venues, en outre, de nombreux départements.
Cette «armée confédérée» prit pour général M. de Veitersheim, colonel de la garde nationale de Strasbourg.
C’est le 13 juin qu’eut lieu la cérémonie, à la «plaine des Bouchers», où on avait élevé une butte de gazon surmontée d’un autel de la patrie, «également en gazon».
Deux vastes amphithéâtres contenaient une foule de Strasbourgeois.
On vit apparaître sur la rivière d’Ill une flottille pavoisée de drapeaux tricolores, portant plus de 400 citoyennes, qui demandaient à prêter le serment civique. «Aussitôt le général envoya un détachement pour les recevoir. On voyait parmi elles les épouses de plusieurs officiers municipaux, des femmes de militaires, et grand nombre de citoyennes. Toutes étaient vêtues de blanc, ayant au bras gauche un ruban aux couleurs de la nation. Les jardinières de la cité, vêtues de blanc, avec un corset vert, grossissaient leur cortège...»
Puis arriva, de l’hôtel de ville, un autre cortège, précédé du drapeau de la fédération, qu’une jeune citoyenne de Strasbourg avait passé cinq semaines à broder. Ce cortège était formé d’un détachement de vétérans, de la municipalité, des chefs de l’armée, et, en arrière-garde, d’un bataillon d’enfants de la patrie, adoptés par la garde nationale.
Bénédiction des drapeaux, messe (où, à l’élévation, les seuls catholiques furent tenus de mettre un genou en terre), discours patriotique d’un ministre de la confession d’Augsbourg, discours patriotique d’un ministre calviniste, hymne chanté par des jeunes filles luthériennes, tels furent les premiers gestes de la concorde strasbourgeoise.
Ensuite fut prêté le grand serment, le serment d’être Français. On jura, «à la face du Dieu de l’Univers», d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, surtout «d’être inséparablement unis, et de voler au secours les uns des autres, pour notre bonheur commun».
En des fêtes de trois jours, sur cet autel de gazon, les Strasbourgeois évoquèrent, virent et adorèrent la figure même de la Patrie.
Quand un décret de l’Assemblée constituante achemina vers Paris toutes ces fédérations régionales, c’est d’un cœur joyeux que les délégués des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, avec les délégués du département de la Moselle, confirmant leur serment français de la plaine des Bouchers, jurèrent au Champ-de-Mars, le 14 juillet 1790, avec tous les délégués de la France, «de demeurer unis à tous les Français par les liens de la plus indissoluble fraternité ».
Voilà le pacte qui fait que l’Alsace est française.
Ce pacte, les Alsaciens, tout comme les Messins, y ont été joyeusement fidèles jusqu’en 1870, héroïquement fidèles depuis 1870. On peut même dire qu’ils ne. se sont jamais sentis plus français que dans la période où le traité de Francfort (aboli aujourd’hui par l’Allemagne elle-même) les a tenus éloignés de la France. Leur amour de la France a été fortifié par la haine de l’Allemand, qui a lui-même, par sa sottise et sa brutalité, cultivé les fidélités françaises en Alsace.
Demander aux Alsaciens, quand le drapeau tricolore flottera sur la cathédrale de Strasbourg, si par hasard ils ne voudraient pas redevenir sujets du kaiser, quel affront ne serait-ce pas? Demanderons-nous aux citoyens du département des Ardennes, quand nous aurons chassé les Allemands de leur sol, si par hasard ils ne voudraient pas retomber sous le joug des Allemands?
Occupés par l’ennemi depuis quarante-quatre ans, comme le département des Ardennes l’est depuis six mois, les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin rentreront dans la patrie française de la même manière, et nous ferons alors, dans Strasbourg, une fête de fraternité nationale qui sera la glorieuse suite de la glorieuse «fédération du Rhin» du 13 juin 1790.
(journal du 25 février 1915.)