Читать книгу Programme des Épouses Interstellaires Coffret - Grace Goodwin - Страница 17
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ОглавлениеRoark, Avant-poste Neuf, Continent Nord
Après douze heures passées dans le caisson ReGen, je suis, d’après les scanners, remis à quatre-vingt-douze pour cent. J’ai des ecchymoses, des blessures encore rouges à peine cicatrisées. Je ne suis pas remis à cent pour cent comme si j’étais resté dans le caisson le temps nécessaire. Mais j’ai pas le temps de me remettre à cent pour cent. Je dois savoir ce qui est arrivé à Natalie. Si elle est morte, je dois en avoir le cœur net. Je ne trouverai pas le repos tant que je ne connaîtrais pas la vérité. Comment puis-je trouver le repos si je la sais en train d’errer quelque part, blessée, seule sur Trion. Elle peut être aux mains des Drovers, torturée. Violentée. Blessée.
Je dois la trouver. Si je tombe sur un cadavre, j’attendrai que les tests ADN confirment qu’il s’agit bien de ma femme.
Je lui ai donné ma parole, je lui ai promis de venir la chercher, de la protéger, je tiendrai promesse jusqu’à mon dernier souffle.
« Laisse tomber. Abandonne, » lance ma mère en entrant sous ma tente. Assis à mon bureau, j’examine les rapports de recherche et les comptes rendus de l’attaque de l’Avant-poste Deux. L’Avant-poste Neuf est plus grand que le petit Avant-poste Deux situé en plein désert, où gît le corps de ma compagne. Ici, aucun risque d’attaque. Les tentes qui entourent l’Avant-poste Neuf sont une vraie ville en plein désert. C’est ici que la femme du Haut Conseiller Tark est arrivée.
Je n’aurais jamais imaginé que Natalie court un tel danger en se téléportant sur un avant-poste plus petit et moins sécurisé. Ça fait des années qu’on n’avait pas eu d’attaques de Drovers. J’aurais dû connaître les dangers encourus et leurs conséquences. C’est ma femme, sa sécurité aurait dû passer en premier. Pas selon mes convenances.
Je n’aurais jamais dû lui faire courir ce risque. J’aurais dû attendre mon retour sur Xalia, un millier d’hommes aurait veillé sur elle nuit et jour, au palais. J’étais impatient et pressé. J’ai tout perdu par manque d’autodiscipline.
Ma mère est plantée là, le visage tiré, avec une liste de candidates potentielles, elle insiste pour que j’en choisisse une originaire de la capitale. Ma mère me croit prêt à passer à autre chose. Que j’aurais oublié la seule femme que j’aimais de tout mon cœur en une dizaine de jours.
Je ne me retourne pas, craignant qu’elle voie ma colère. C’est ma mère, je dois la respecter. Mais je ne suis plus un gamin qu’elle peut mener à sa guise. Je suis un Conseiller. Personne ne me forcera à faire quoi que ce soit. Ma mère refuse d’écouter, je lui sors la seule excuse qui la fera changer d’avis. « Tu aurais tiré un trait sur Père aussi facilement ? L’homme de ta vie ?
— C’est différent, mon fils.
— Non. C’est pareil. Tu es sa femme, Mère. Unis via le même système que Natalie et moi. C’était ma femme. La femme idéale. Je me suis uni à elle. La première nuit.
— C’était une histoire d’un soir, Roark. Si tu avais passé une nuit avec—
— Non. Abandonner Natalie ? Jamais. Rien ne prouve qu’elle soit morte.
— Ils ont retrouvé sa robe.
— Ça ne prouve rien. Je ne vais pas abandonner aussi facilement. Je me lève et me plante devant elle. Je lui ai donné mon cœur, Mère. Laisse-moi le temps de guérir. »
Ma mère garde longuement le silence, je finis par penser qu’elle ne me répondra pas. « Non. Je n’aurais pas pu oublier ton père. Excuse-moi. Je n’avais pas réalisé à quel point tu l’aimais. Je ne l’ai vue que brièvement et elle dormait. Nier son existence serait bien trop facile, je vois à quel point tu y étais attaché.
— J’avoue avoir été sceptique mais c’était la femme … idéale. Je veux— »
Mon père fait irruption sous la tente, les yeux écarquillés, son visage … possède une expression indéfinissable.
« Le Commandant Loris est là. Ton médaillon a tinté. Il est activé. » Il a le souffle court, comme s’il avait couru. Mais je sais qu’il n’en est rien, il est tout excité.
Je me fige, une énergie nouvelle pulse dans mes veines, je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’étais plombé par la frustration, l’attente et le désespoir. « Quoi ? »
Je traverse la pièce et rejoins mon père, mille questions m’assaillent. L’espoir.
Il indique l’extérieur de la tente. « Viens fiston. Il est au poste de commandement.
— Ça a tinté ? Je croyais que tu portais le médaillon autour du cou ? » demande ma mère.
J’aurais dû les laisser passer devant par politesse mais je ne peux pas attendre. Je pousse presque mon père hors de mon passage et me rue hors de la tente. Le sable roule sous mes pieds, les deux soleils me font cligner des yeux. Le commandant est au milieu du poste de commandement, dans la tente que j’ai identifiée comme telle l’autre jour.
« Vous avez du nouveau. » Ce n’est pas une question.
Le Commandant Loris hoche brièvement la tête. « Le poste de commandement central de Xalia a envoyé un message urgent. Votre médaillon est activé. Je suis venu sur le champ assurer votre sécurité. En vous voyant, je les informerai que vous êtes visiblement vivant et en bonne santé. »
Mon cœur s’accélère, mes doigts se referment sur du vide. Rien. « Le médaillon n’est plus en ma possession. Je l’ai offert à Natalie.
— A Natalie ? Votre femme ? Vous le lui avez remis ? Le commandant reste bouche bée. Pourquoi avoir fait un truc pareil ? Vous connaissez la valeur que revêt ce médaillon sur cette planète ? »
Je sais pertinemment qu’il n’est pas en train de me manquer de respect mais je m’adresse à lui d’un ton sec. « Oui je sais, merci. Vous avez une idée de la valeur que Natalie revêt à mes yeux ? Il s’agit de la femme d’un Conseiller, commandant. Surveillez votre langage quand vous vous adressez à moi. »
Il pivote sur ses talons et s’éloigne à distance respectueuse, regarde d’un air concentré derrière mon épaule. « Je vous présente mes excuses, Conseiller.
— Acceptées, Commandant. » Je le dépasse et avance vers le poste de commandement de l’Avant-poste Neuf.
Trois gardes se trouvent dans la grande tente. Ils se lèvent et me saluent. Au vu de leurs uniformes, le commandant est le plus haut gradé.
Si le médaillon a tinté, ça veut dire—
« Elle est vivante, » dis-je in petto, j’ai hâte de sortir de la tente pour la retrouver, où qu’elle soit. Tout le monde m’observe faire les cent pas dans la tente.
« Seul votre ADN peut activer le médaillon, Conseiller, pas le sien. Le commandant marque une pause.
— Elle a le médaillon.
— Ça ne prouve pas qu’elle soit en vie, réplique le commandant. Ça prouve seulement qu’un membre de votre famille détient le médaillon. »
Mon père avance. « Toi, moi, ta sœur ou ses enfants, sommes les seuls membres de la famille capables de déverrouiller le médaillon. » Je ne l’ai pas vu entrer sous la tente mais il dit vrai. « Ta sœur est avec son mari et le Haut Conseiller Tark. Il n’y a aucune chance que Natalie ait atterri chez eux. Tark nous l’aurait dit.
— Comment aurait-elle pu atterrir chez eux ? Savoir qui est Sari ? » ajoute ma mère, elle parle de Sari, ma sœur. C’est vrai. Je n’ai jamais parlé du Haut Conseiller Tark ni de ma sœur à Natalie. Tous sont perplexes. Les trois gardes tenant les émetteurs-récepteurs gardent le silence. Ce ne sont que des messagers, ils ne peuvent rien ajouter.
« Vos spéculations sont déplacées. Le tintement ne provient pas de Trion, » ajoute le commandant.
Je pivote sur mes talons et le regarde bien en face. « Personne ne sortira de cette tente tant que je n’aurais pas la réponse. Commandant, où voulez-vous en venir ? »
Il inspire profondément. « Les émetteurs ont reçu un message de réactivation de votre médaillon il y a peu. Mais le signal ne provient pas de Trion, monsieur. Mais de la planète Terre. »
Je suis pétrifié. « De la Terre ? » Natalie.
Je regarde mes parents, ils semblent dubitatifs. Ma mère est renfrognée. Mon père reste impassible. « C’est impossible.
— Je n’ai pas d’explication, monsieur, poursuit le commandant. C’est de ma faute, je l’ai interrompu. L’écran de contrôle sur Xalia l’a notifié une fois les codes de transmission validés. Il ne fait état d’aucun dysfonctionnement. Cela confirme que le médaillon se trouve bien sur Terre.
— Natalie doit être vivante. » Ma mère plaque sa main sur sa bouche, elle est sous le choc, ses doigts tremblent légèrement.
« Mais comment aurait-elle pu activer le médaillon ? » Mon père pose une question évidente. Je n’ai pas la réponse. Je me tourne vers le Commandant Loris, j’exige un complément d’informations. « Ma femme a échappé à l’embuscade tendue par les Drovers en se téléportant sur Terre ? Pourquoi n’a-t-on trouvé aucune trace du transport quand on a fouillé l’Avant-poste Deux ? »
Le Commandant Loris inspire profondément. « Le terminal de téléportation était fermé, Conseiller. Les données ont été effacées. Les seuls codes de téléportation en circulation sont les vôtres. L’unique raison pour laquelle nous détenons les codes de téléportation sur Terre est parce que la femme du Haut Conseiller Tark provient de cette planète, vos épouses proviennent du même centre de recrutement. »
Natalie. Vivante. « Pourquoi ne pas être revenue ? Pourquoi le terminal de téléportation sur Terre ne m’a pas contacté ? Putain qu’est-ce qui se passe ? »
Je sais que je déballe tout un tas de questions qui demeurent sans réponse. Personne ne pourra y répondre hormis Natalie. Elle est à moi, c’est une citoyenne Trion à part entière. C’est une femme mariée. Elle m’appartient. Si elle est vivante, je ne m’arrêterais pas tant que je ne l’aurais pas serrée dans mes bras, tant qu’elle ne sera pas à sa place, dans mon lit.
Je me dirige d’un pas raide vers la porte et hurle au garde le plus proche de contacter Seton. Je le charge de veiller sur le Continent Sud durant mon périple. Il se portera certainement volontaire pour m’accompagner. Je préfère le savoir ici, vu la menace Drover qui plane. Il faudra qu’il rentre dare-dare dans le sud. Le Haut Conseiller Tark et les patrouilles de Drovers attendront que je ramène ma femme chez moi.
Confiant quant à l’exécution de mes ordres, je retourne dans la salle de transport et me place sur le sas de téléportation. « Contactez le terminal de téléportation sur Terre. Je pars chercher ma femme. »
Natalie, Banlieue de Boston, MA, planète Terre
On sonne à la porte, je vais ouvrir en portant Noah sur la hanche. Je viens juste de changer sa couche et je ne lui ai pas remis son pantalon. Il porte un body, j’aime voir les bourrelets de ses petites cuisses potelées. Il tient des clés en plastique dans sa main serrée, les secoue et les porte à sa bouche.
J’ouvre la porte en grand et soupire. Je ne suis pas d’humeur à voir Curtis. Je me demande ce qui a pu me passer par la tête en voyant cet homme émacié. Mais qu’est-ce que j’ai bien pu lui trouver ? Ses quelques cheveux bruns vraisemblablement mouillés se raréfient. Il est pâle, les joues légèrement bouffies, comme remplies d’eau. Il a pris un médicament ? Son caviar était trop salé ? Il porte un polo de golf blanc avec de minuscules homards roses brodés sur les manches. Son pantalon pendouille comme un sac vide. Il porte des mocassins un peu sales et au poignet gauche, une montre griffée gauche qui coûte plus cher que le salaire mensuel moyen. Y’a rien, strictement rien d’attirant chez cet homme. Pas étonnant que je n’aie jamais pris mon pied avec lui. Il aurait fallu un miracle. Sans compter que son eau de toilette me donne la migraine et la nausée.
Ma tolérance aux odeurs ne s’est pas améliorée depuis la naissance de Noah. C’est mon nouveau super pouvoir. Dès que je suis tombée enceinte, je jure que j’aurais pu sentir l’odeur de la viande à vingt pas. Je croyais que mon hyper-sensibilité aux odeurs aurait cessé à la naissance du bébé mais j’ai pas eu cette chance. J’essaie de ne pas vomir en sentant l’odeur du cèdre et du musc et j’ouvre la porte en grand, non pas pour laisser entrer mon visiteur mais pour aérer.
« Curtis, » dis-je en soupirant. J’espérais que ce serait le plombier, un des robinets de la cuisine a lâché et il y a de l’eau partout. Quand la cuisinière a voulu se servir de l’évier, on aurait dit le Old Faithful. « Quelle surprise. »
Curtis s’est pointé sans prévenir et contre mon gré à plusieurs reprises, au cours de l’année passée. Je ne l’intéressais guère avant d’adhérer au Programme des Epouses. Lorsqu’il a eu vent de mon retour—non, lorsqu’il a su que mes parents m’avaient offert leur immense baraque— il s’est soudainement montré très intéressé.
« Comment va Mandy ? » Je lui demande des nouvelles de sa sœur, le seul sujet de conversation que je puisse aborder. Je n’ai pas envie de connaître la raison de sa présence ici. Sa vie, sa journée, son moral ne m’intéressent pas.
Ce n’est pas moi qu’il regarde, mais Noah. En général, les gens regardent mon bébé d’un air doux et souriant, mon fils est vraiment hyper mignon. Qui n’aimerait pas un bébé ? Personne, hormis Curtis. Non, pas parce que Noah est un bébé. Ni parce que Noah est un bébé extraterrestre. Du moins c’est ainsi que Curtis et mes parents voient Roark. Un extraterrestre. Non, pas comme étant le chef respecté de presque toute la planète de la Coalition Interstellaire. Non, pas comme mon conjoint. Comme un extraterrestre.
« Je voulais savoir si tu aimerais m’accompagner au Bal d’Hiver du country club. »
Il n’attend pas que je le fasse entrer, il me dépasse et pénètre dans le vestibule. Il a deux étages et un escalier en colimaçon qui lui plaît énormément. Je le laisse faire et referme la porte derrière lui, non pas qu’il soit le bienvenu chez moi, mais Noah a ses petites cuisses nues et il fait froid dehors.
« Non merci, Curtis. » Je fais passer Noah sur mon autre hanche. C’est un gros bébé, il pèse aux bras. Il sera grand comme son père. « Si t’as fini, je vais coucher Noah pour sa sieste. » Je lui fais savoir que sa présence ici n’est plus désirée. Crier risquerait d’effrayer Noah et pour le moment, mon fils est tout content avec ses clés.
« J’aimerais que tu mettes la robe rose que tu portais pour nos fiançailles. »
Je lève les yeux au ciel. Ce truc horrible plein de dentelle, tulle et sequins ? Non. Hors de question. Même pas dans un million d’années. J’ai toujours détesté ce machin acheté par ma mère. « Je viens de te le dire et je te le répète, ça m’intéresse pas. Demande à Ashley ou à Bambi. Peu importe les prénoms de tes dernières conquêtes. »
Il lève les yeux en direction du chandelier fixé au plafond, Noah ne pourra pas l’attraper et se faire mal avec—et me regarde. « Elles ne comptaient pas quand on était ensemble. Et c’est toujours le cas.
— Oh ? Ce connard a toujours de quoi se mettre les couilles au chaud. Je croyais que les femmes avec lesquelles tu baises comptent un tant soit peu. »
La conversation commence à s’enliser.
« C’est quoi cette mère qui parle comme ça devant son fils ?
— Depuis quand Noah te concerne ? » Je lui demande, sarcastique. Je remonte Noah contre moi, le love contre ma hanche et embrasse sa petite tête. « Il n’a que quatre mois. Je pense qu’il a quelques mois devant lui avant de savoir dire des gros mots. Je me dirige vers la porte, pose ma main sur la poignée. Va-t’en, Curtis.
— Accompagne-moi au bal. Laisse le bébé à une baby-sitter, à une bonne, peu importe. T’es obsédée par ce bébé, va faire la fête. Tu peux pas rester cloîtrée dans cette maison à vie.
— Je suis pas cloîtrée, espèce de con. Ça m’intéresse pas. Je tourne la poignée et ouvre la porte. Va-t’en. Inutile de revenir. »
Les pleurnicheries de Curtis me tapent sur les nerfs. Comment ai-je pu perdre autant de temps avec ce type ?
Il s’approche lentement et regarde Noah d’un air malveillant. « Sans ce sale gosse d’extraterrestre, tu te comporterais pas comme une salope, Natalie. »
Pour le coup je commence à m’énerver. « Dégage de chez moi. Immédiatement.
— Certainement pas. Tout se passait bien avant que tu tombes enceinte. Débarrasse-toi de lui et on reprendra notre vie comme avant. »
Que je me débarrasse de lui ? « Tu deviens fou ? Tu veux tuer un pauvre enfant innocent.
— Un extraterrestre. » Curtis s’approche plus près, j’ouvre très grand la porte, je sors à l’extérieur, les pieds dans le froid, dans l’angle de la caméra de surveillance placée sur le perron. Je fourre les jambes de Noah sous mes bras pour essayer de le prémunir du froid.
« On est filmés, Curtis. Sors de chez moi. Si tu te pointes encore une fois ici, j’appelle les flics. »
Curtis aimerait rétorquer mais il regarde derrière moi, l’air paniqué.
« Dégage de chez ma femme avant que je te tue. »
Je connais cette voix. Je l’entends dans mes rêves. Je pousse un cri, tous mes poils se hérissent. Je me retourne très lentement.
Roark. Je ne peux plus parler, même pas murmurer. J’en crois pas mes yeux. Il est là.
Il est là.
Il est vivant !
« Qui êtes-vous ? » demande Curtis, les mains sur les hanches, comme s’il était chez lui.
Roark se place devant moi, bloquant la voie à Curtis. « Conseiller Roark de Trion, le mari de Natalie. Si tu dégages pas de chez elle vite fait, je te tue.
— Vous n’avez pas le droit. Vous irez en prison. Je suis l’ami de Natalie. Elle m’a invité.
— Tu mens, Curtis. Va-t’en, » je lui crie dessus. Ce n’est pas lui que je regarde, mais Roark.
Roark se tourne et me pousse vers la porte d’entrée afin que je me mette au chaud et à l’abri à l’intérieur. « Je crois que ma femme t’a ordonné de dégager et de plus jamais remettre les pieds ici. »
Le terme « ordonné » est lourd de sens, j’imagine que Curtis doit être tout rouge et avoir les yeux exorbités. Je ne peux pas le voir, vu la masse de muscles qui bloque ma vue. Roark est si grand, si séduisant, si … tout. J’avais oublié qu’il était aussi grand. Mon cœur bat la chamade, je me mets à trembler. Mes pieds sont transis de froid mais je m’en fiche. Noah s’agite, il a froid. Roark ici, je n’ai plus besoin de rester dehors. Je n’ai plus besoin de m’inquiéter des intentions mesquines de Curtis.
« Rentre, gara. Je m’occupe de cet abruti. »
J’acquiesce et me précipite dans la maison, me réfugie dans le bureau. Une cheminée électrique dispense une chaleur agréable, le parc et les jouets de Noah sont disposés par terre. Deux petits canapés que j’adore en suédine bleu foncé toute douce en forme de L font face au parc. Le cuir froid de mon enfance a cédé la place à une chaleur douce et moelleuse. La pièce est chaleureuse, elle est à moi.
A Noah et moi.
Je dépose mon fils dans son parc et reste à le regarder, mes mains tremblent. Je fais abstraction de la dispute qui se déroule dehors. J’ignore le hurlement de douleur de Curtis, ses élucubrations et ses malédictions tandis qu’il se précipite vers sa voiture et démarre en trombe. J’ai l’impression de vivre un rêve, un drôle de rêve. Mon époux se tient dans l’embrasure de la porte, il me regarde comme s’il venait de trouver un trésor, le rêve perd de sa consistance, il est bien trop réel.
« Roark, je murmure. J’arrive pas à élever la voix, je suis incapable de bouger.
— Je dois m’inquiéter au sujet de ce Terrien ? »
Roark parle d’une voix grave et possessive, je rigole. « Curtis ? Non. Aucun problème. »
Il n’existe pas. Il n’a jamais existé. Roark est ici, c’est qui Curtis déjà ?
Roark croise mon regard. Le soutient. Oui, ce regard qui me manquait tant. Le désespoir. L’envie. Le manque. L’amour.
Il fait trois pas et s’approche de moi, je dois lever la tête pour le regarder.
« T’es pas mort ? » Quelle question stupide, la seule qui me vienne à l’esprit, je le dévore des yeux, j’ose pas le toucher, j’ai trop peur qu’il disparaisse comme un fantôme. « La doctoresse m’a annoncé ta mort. »
Roark secoue la tête et m’attire contre lui. Son odeur, mon dieu, il sent trop bon. Ça me rappelle nos trop brefs moments de bonheur. Sa voix gronde dans sa poitrine et m’ébranle. « J’ai été capturé. Ils m’ont retenu prisonnier pendant neuf jours avant que j’arrive à m’échapper. Il y avait plus personne à l’Avant-poste Deux. J’ai été transporté sur un autre avant-poste, on m’a appris qu’il n’y avait aucun survivant. Ils m’ont dit que tu étais morte. » Il me serre étroitement. J’ai l’impression que mes côtes vont se briser, la douleur est la bienvenue. C’est vrai. Il est bien réel.
« Tu me croyais morte ? Ma voix est haut perchée.
— Oui, gara. Il inspire profondément. Oui, que les dieux m’en soient témoins. »
Je le repousse, je lutte contre la colère qui me noue le ventre, monte dans ma gorge, dans ma tête, baigne mes yeux de larmes. Je voulais pas pleurer mais les larmes tombent malgré moi. « Neuf jours ? »
Il pousse un grognement « Dix depuis aujourd’hui, mon amour.
— Dix jours ? Je hurle presque. Dix putains de jours ? C’est censé être drôle ? »
Roark effleure mon visage et repousse une mèche de cheveux derrière mon oreille. Comment peut-il garder son calme alors qu’il m’a menti ?
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Je le repousse et m’écarte, le parc de Noah faisant office de barrière. « Tu m’as cru morte ?
— Oui.
— Qu’est-ce que tu fais là, alors ? Ça remonte à des années-lumière, on fait quoi maintenant ? » Comment m’a t’il retrouvée ? Que fait-il ici ? Dix jours. Mon cul. Je suis seule comme une misérable depuis treize putains de mois. J’ai vécu ma grossesse seule, dans la peur. J’ai pleuré tous les soirs pendant des mois. Je porte son deuil depuis plus d’un an.
Dix jours ? Non. Impossible.
« Tu as activé le signal d’urgence du médaillon, femme. Je sais pas comment t’as fait mais j’ai jamais été aussi soulagé que lorsque j’ai entendu le tintement qui est parvenu jusqu’au terminal de transport sur Trion. J’ai accouru sur le champ. »
C’est. Quoi. Ce. Bordel ? « Quel tintement ? »
Il s’arrête près du parc où Noah a roulé sur le côté, très occupé à mordiller un nounours doré. Roark est bête ou simplement perplexe ? Il ne voit pas que Noah est son fils ? Il n’a même pas eu un regard pour lui, le portrait miniature de l’homme qui se tient devant moi. Je veux qu’il le regarde. Je veux qu’il le voie.
« Le médaillon que je t’ai donné, gara. Celui que j’ai mis à ta chaîne ce soir-là. Lorsque je me suis uni à toi pour toujours. On ne peut l’activer qu’en— » Sa voix s’éteint, pour la première fois, il se concentre entièrement sur Noah. Je veux que Roark reconnaisse son fils, qu’il sache qu’il est le sien. Qu’il saisisse l’air de ressemblance de son mignon petit visage. Roark est pleinement concentré sur le bébé, je me sens subitement nerveuse.
Je me suis languie de ce moment, j’en ai rêvé. Mais maintenant, je crains que Roark ne veuille pas de Noah, de moi. De nous.
Roark le regarde d’un air interrogateur, admiratif, les émotions déferlent sur son visage à la vitesse de l’orage. « Gara ?
— Ça fait plus de dix jours, Roark, je murmure en pleurant. Bien plus. »
Il secoue doucement la tête. L’évidence est devant lui mais il ne semble pas vouloir comprendre. « Comment … est-ce possible ? » Il bouge ses doigts, Roark a envie de le toucher, de le prendre aux bras, mais il a peur. Je me tourne et prends Noah pour le donner à Roark.
Les yeux écarquillés, Roark tend ses grosses mains, prend son fils contre sa poitrine, le blottit contre lui. Il pousse un gémissement de joie, de peine, le bébé pousse un cri de bonheur, il tape son jouet contre la poitrine de son père.
« Gara. » Les yeux de Roark s’embuent de larmes, il lève son regard vers le mien, mon cœur se brise. Toute ma colère s’évanouit instantanément. Je ne sais pas comment et pourquoi Roark est ici, ni pourquoi il a mis tant de temps à nous retrouver. Mais il a tenu promesse. Il a traversé la galaxie pour me retrouver, pour nous retrouver. Mon cœur se serre violemment, je l’aime.
« Il s’appelle Noah. C’est ton fils. »