Читать книгу Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture - Henry 1841-1913 Jouin - Страница 17
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ОглавлениеN’est-ce pas, à tout prendre, ce que fut dans les temps modernes Cennino Cennini? Le traité de peinture de ce maître ne renferme-t-il pas la technique de l’art au temps de Giotto, de Taddeo et d’Agnolo Gaddi? Le livre de Cennino, pour les hommes de notre temps, a l’attrait d’une confidence sur des générations disparues et des procédés oubliés.
Giotto, dans l’exercice de son art, ne nous est guère plus familier que Parrhasius ou Apelle. Combien de secrets d’atelier possédés par Giotto qui se sont perdus après lui! Cennino en a conservé la tradition. Et, assurément, ce peintre fut bien renseigné, car Taddeo Gaddi avait été vingt-quatre ans à l’école de Giotto, et Cennino travailla lui-même douze années sous la conduite d’Agnolo Gaddi, fils et élève de Taddeo. Encore que Cennino se perde à certaines pages de son livre dans des digressions métaphysiques hors de propos, et donne la mesure en d’autres endroits d’une extrême naïveté, nous lui devons sur l’art de broyer les couleurs, leur nom, leur nature, leur durée relative, sur la peinture à l’huile, à fresque, à la colle, à la gomme, à «tempera» ou à l’œuf, des données précises, presque toujours claires, qui jettent une grande lumière sur la pratique de l’art au XIVe et au XVe siècle.
Le livre de Cennino fut achevé par lui, le 31 juillet 1437. A défaut de cette date, consignée par l’auteur, un critique saurait retrouver l’époque à laquelle écrivit le maître, en lisant cette phrase étrange au chapitre des proportions: «Je me tairai sur la proportion de la femme, car son corps n’a aucune mesure parfaite.» Singulière parole sous la plume d’un artiste enthousiaste, profondément épris de tout ce qui ennoblit son art! Toutefois, lorsqu’on étudie les peintures des contemporains de Cennino et de ses devanciers, on se rend compte de la force du préjugé qui leur fit négliger l’anatomie de la femme. En effet, tous les primitifs ont fait preuve d’inexpérience dans les proportions et les mouvements de leurs personnages féminins, mais, où nous pourrions supposer une faute accidentelle, Cennino nous apprend à voir un oubli volontaire, le respect d’une règle posée. Pauvres grands artistes, réduits après les splendeurs d’Athènes et de Rome à épeler de nouveau et à balbutier, sans en soupçonner l’harmonie souveraine, la langue éternelle du Beau!
Le traité de peinture de Cennino, pour être le plus ancien monument écrit de main d’artiste, en Italie, n’a été publié qu’en 1821, par le chevalier Tambroni. Mais, dès le XVIe siècle, l’existence du manuscrit de Cennino était connue. Vasari l’avait signalé, peut-être sans l’avoir lu; car s’il rend justice au peintre «qui a fait de sa main, sous la loge de l’hôpital Bonifazio Lapi, une Vierge de si vive couleur que jusqu’aujourd’hui elle s’est parfaitement conservée», Vasari parle brièvement et avec une sorte d’indifférence du traité de peinture du maître florentin.
Moins sommaire est le témoignage du même Vasari sur les écrits de trois artistes qui l’ont précédé.
Dans l’épilogue de ses Vies des Peintres, l’historien s’exprime ainsi: «Comme je l’ai noté ailleurs, les manuscrits de Lorenzo Ghiberti, de Domenico Ghirlandaio et de Raphaël ne m’ont pas peu aidé dans ma tâche.»
On peut le constater en maint endroit de son ouvrage, le peintre écrivain se plaît à invoquer l’autorité de Ghiberti, de Ghirlandaio, de Raphaël.
On savait, par exemple, que Giotto avait été peintre et architecte; or nous relevons ce détail sous la plume de Vasari: «Lorenzo Ghiberti assure dans un traité manuscrit que Giotto fit non seulement le modèle, mais encore une partie des sculptures du campanile de Santa-Maria-del-Fiore.» Ainsi Giotto fut sculpteur, et c’est Ghiberti qui en informe les hommes de son temps.
Les deux peintres siennois Lorenzetti et leur compatriote Simone Memmi devront également à Ghiberti la meilleure part de leur renommée. A son tour, Ghirlandaio permet à Vasari de nous apprendre que Giottino doit être le fils du peintre florentin Stefano, et non le fils de Giotto.
Une chose nous frappe dans la lecture de ces documents signés par Ghirlandaio et Cennino, c’est le culte dont ils font preuve envers la mémoire de Giotto. Il est vraiment pour eux le maître, l’aïeul vénéré.
Gio-Battista Armenini di Faenza est un contemporain de Vasari. Peintre comme lui, ce n’est pas l’histoire de l’art qui l’attire, il médite d’écrire un traité sur la peinture. Connut-il avant d’entreprendre son ouvrage, le manuscrit de Cennino? nous en doutons, car, dans l’introduction de son travail, il avance, de bonne foi sans doute; que «la peinture n’a encore eu personne qui recueillît en un seul volume, pour l’instruction de tous, les avertissements et préceptes sur lesquels elle repose.» Ce qui donne encore lieu de penser qu’Armenini n’a pas lu Cennino, c’est qu’il n’a rien de ce respect pour les primitifs qui répand tant de charme sur le livre du disciple d’Agnolo Gaddi. Les Veri Precetti della Pittura de Gio-Battista Armenini ont trouvé, de 1587 à ce jour, des éditeurs à Ravenne, à Venise, à Milan et à Pise.
Nous ne parlerions pas du Trattato della Pittura et de l’Idea del tempio della Pittura de Lomazzo, si les meilleures pages de ces traités n’avaient été puisées par leur auteur dans les manuscrits de Vincenzo Foppa, d’Andréa Mantegna et de Bernardino Zenale.
Gian-Maria Verdizzoti, peintre de paysages, a laissé un Epicedium en vers latins sur la mort de Tiziano Vecelli.
Vasari, le plus populaire des artistes écrivains de la Renaissance, sera toujours consulté sur les maîtres de l’école toscane.
Mais il nous faut revenir sur nos pas pour saluer un architecte gentilhomme, peintre, musicien et poète à ses heures, Leone Battista Alberti, auquel ses contemporains prêtent cette parole qui vaut un portrait: «Se promener dans la ville, se faire voir à cheval, parler en public sont trois choses auxquelles on doit mettre non seulement de l’art et de l’étude, mais encore de cet art sous lequel l’étude est habilement voilée.» On sait par un trait surprenant quelle était l’érudition d’Alberti. Ayant écrit sa comédie de Philodoxeos, il laissa croire qu’elle était d’un poète ancien, et Alde Manuce le jeune s’y trompa au point de la publier comme une œuvre inédite de Lepidus.
D’autres titres recommandent Alberti à notre attention. Il est l’auteur de l’Art de peindre et de l’Art de bien bâtir. Ecrits en latin, ces ouvrages ont été fréquemment traduits. L’Art de peindre est souvent publié à la suite du Traité de Léonard. C’est reconnaître le mérite du travail d’Alberti. Quant à l’Art de bien bâtir, «De re œdificatoria» Quatremère de Quincy a dit de cet écrit, qu’à l’époque ou il parut, il «n’avait pas encore eu d’exemple chez les modernes, et qu’il a servi de règle à ceux qui vinrent après.»
Oublierai-je le Livre d’Architecture de Serlio, un Italien devenu notre compatriote sous François Ier? On sait que la traduction du Livre d’Architecture dans notre langue date de 1545.
La mise au jour du Traité de peinture de Léonard, par Trichet Du Fresne et de Chambray, est une odyssée qui valait la peine d’être racontée. M. le marquis de Chennevières, dans ses Recherches sur les Peintres provinciaux s’est chargé de ce soin. A l’heure actuelle, on poursuit encore la publication des inappréciables manuscrits de Léonard, architecte, ingénieur, mathématicien, peintre et sculpteur. Publication princière et assurément onéreuse; mais M. Quantin a voulu l’entreprendre, estimant sans doute qu’il appartenait à notre pays de rendre un complet hommage à la mémoire du peintre de la Cène, mort entre les bras d’un roi de France.
Bramante, le contemporain de Léonard, a laissé divers écrits sur la structure du corps humain, la peinture, la perspective et l’architecture. Découverts dans une bibliothèque de Milan vers 1756, ces travaux sont devenus classiques depuis un siècle. Du vivant de Bramante, on citait de lui des sonnets.
Benvenuto Cellini, narrateur complaisant de sa propre histoire, est connu de toute l’Europe. Il n’est pas un critique qui n’ait ouvert le Traité de la Sculpture et le Traité de l’Orfèvrerie.
Mais les livres de Benvenuto sont d’un praticien; les Sonnets de Michel-Ange sont d’un maître. «Je traite le marbre en ennemi qui me cache ma statue», s’écrie l’auteur du Moïse. Et ailleurs: «Combien il plaît, quand on sait le juger, cet art sublime, qui, saisissant à la fois les traits et les attitudes, nous offre dans des membres de cire, ou de terre, ou de marbre, un être presque animé ! Qu’un chef-d’œuvre de l’art vienne à être mutilé ou détruit, sa beauté première revit dans la pensée où elle ne s’est pas fixée en vain.» — «Tout ce qu’un grand artiste peut concevoir, dit-il encore, le marbre le renferme.» Puis, lorsque la vieillesse affaiblit sa main et fait trembler son ciseau, Michel-Ange laisse tomber ces stances attristées: «Comment se peut-il — et cependant l’expérience l’atteste — qu’une statue tirée d’un bloc insensible et brut, ait une plus longue existence que l’homme dont elle fut l’ouvrage, et qui lui-même, au bout d’une brève carrière, tombe sous les coups de la mort! L’effet, ici, remporte sur la cause, et l’art triomphe de la nature même. Je le sais, moi, pour qui la sculpture ne cesse d’être une amie fidèle, tandis que le temps, chaque jour, trompe mes espérances.»
C’est Antonio da San-Gallo qui trace les premières pages de son autobiographie. C’est Balthasar Peruzzi, le maître de Serlio, qui lègue à son disciple ses écrits sur son art; c’est Pietro della Francesca, l’une des gloires de l’école romaine, qui tombe aveugle vers la fin de sa vie et dont les manuscrits, dérobés par un élève infidèle, Luca dal Borgo, seront mis au jour par celui-ci sous son propre nom.
Rappeler Vignole et Palladio, n’est-ce pas évoquer le souvenir de deux hommes dont les livres sont devenus des «manuels» depuis trois cents ans?
Au XVIIe siècle, Bernin, le dangereux Bernin n’écrit pas, mais il parle; et ses jugements sur l’art sont souvent dictés par un esprit droit, délicat et élevé. Sa sculpture vaut moins que ses discours: j’en atteste le Journal de M. de Chantelou, que publie M. Ludovic Lalanne.
Le Père jésuite Andrea Pozzo, peintre, sculpteur et architecte, dont le nom latin est Puteus, publie en 1693 son grand ouvrage Perspectiva Pictorum et Architectorum. L’Italie, l’Angleterre et l’Allemagne l’ont traduit.
De nombreuses lettres de Titien, Michel-Ange, Vasari, Sansovino, les Carrache, Guido Reni, Zampieri, Lanfranco, Baroccio, etc., recueillies par Giovanni Bottari, rendent témoignage des fortes pensées, des nobles sentiments de ces maîtres illustres.
Au début de ce siècle, Giuseppe Errante, peintre napolitain, rédigeait son Essai sur les couleurs; Antonio d’Esté, des Mémoires sur Canova. Il y a moins de deux années, Giovanni Dupré publiait à Florence ses Souvenirs autobiographiques. Les visiteurs du Musée de Turin connaissent les toiles remarquables de Massimo d’Azeglio, dont le renom comme littérateur et homme politique n’a besoin que d’être rappelé.