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Un poète a dit: L’orateur, c’est le semeur.

L’image n’est pas complète. Le semeur est un ouvrier patient qui travaille pour l’avenir. Le semeur ne sait ce qu’il fait, parce qu’il ignore quels soleils luiront sur la graine qu’il jette au vent, et que le vent porte à la glèbe. Le semeur est passif; ce n’est pas lui qui transforme le grain de la veille en l’épi des moissons futures. Le semeur est l’artisan muet de sa propre vie. Sa pensée n’est pas en mouvement lorsqu’il agit. Il marche, et sa main, par un geste rythmé qui n’est pas sans grandeur, abandonne aux sillons la source de tout aliment. Mais cette haute mission, le semeur l’accomplit chaque année le même jour, à la même heure, sans initiative, sans liberté, incapable de hâter l’instant de son action, empêché de surseoir dans son œuvre, s’il ne veut compromettre la richesse nationale en appelant la disette sur lui-même et sur son pays.

Tel n’est pas l’orateur.

Maître du moment et du lieu, il l’est encore de la semence qu’il va répandre. A son gré, l’orateur peut fonder ou détruire. Ses triomphes ont la soudaineté de la foudre. Ils s’étendent sur des foules, des armées, des peuples auxquels ils communiquent une même vie, qu’ils orientent vers un même but. Une conviction ardente, une évidence imprévue et irrésistible s’emparent des âmes que remue l’orateur. Il n’a qu’un instrument, le verbe, cette chose étrange et supérieure qui est l’attribut exclusif de l’homme et le fait roi de la création; le verbe, cette arme et ce lien dont notre Montaigne a dit: «Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns les autres que par la parole». L’orateur a cette haute fortune de trouver son outil dans la parole: voilà pourquoi le prestige de l’éloquence est universel.

L’éloquence est l’art des grands et des humbles.

Peu d’hommes reçoivent de Dieu ce don de commandement, mais il n’est pas un homme que l’éloquence n’ait subjugué. Je ne sais quoi d’auguste et de tragique s’attache aux pas de l’orateur. Nouveau Fabius, il porte dans ses discours la paix ou la guerre. Lorqu’il parle, de violentes passions se font jour pour le combattre ou le défendre. L’émotion monte comme une mer qui grossit, le théâtre s’étend, le rayon de la parole franchit de vastes espaces, qu’il couvre de sa lumière irréfutable et souveraine.

Tel est l’ébranlement des esprits sous la parole de l’orateur, que, dans ses heures d’inquiétude, c’est à lui qu’un grand peuple veut remettre ses destinées. La Grèce a fait Démosthène homme d’État; Rome fit d’Antoine un général, de Cicéron un consul. En des jours plus proches de nous, lorsqu’une foule ameutée battait les portes de l’Hôtel de Ville de Paris, en arborant le drapeau rouge, c’est à Lamartine que ses concitoyens terrifiés demandèrent de dompter, par son éloquence, la populace en délire.

Qui n’a présent à l’esprit le spectacle d’un seul homme, hissé sur une chaise boiteuse, à l’une des fenêtres du palais, dominant de sa voix stridente le bruit des fusils, le cri monotone et hideux des forcenés qui réclament le drapeau rouge, les longs murmure qui montent des rangs serrés de ce peuple épars sur la place de Grève? Qui n’admirerait l’audace, la fermeté, la grandeur de cette parole magnifique, par laquelle Lamartine eut raison de l’émeute: «Le drapeau rouge que vous nous apportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie!»

Aux applaudissements qui couvrirent cette protestation superbe, personne n’osa s’y méprendre, il était évident que l’honneur national était sauf; la France était reconquise sur la Révolution, tout à l’heure quasi triomphante. Et son indépendance recouvrée, la France la devait à l’éloquence d’un seul.

Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture

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