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IV

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Que l’artiste soit à sa manière un orateur, et que l’éloquence de l’œuvre d’art défie les siècles, nous n’en disconvenons pas. Mais il n’y a pas d’éloquence sans idée. L’homme de tribune ne saurait obtenir l’attention si un sujet élevé, généreux ou patriotique n’est la moelle de son discours.

Quelle sera la place de l’idée dans l’œuvre d’art?

Question brûlante. Toutefois, elle n’a passionné autant d’artistes que parce qu’on a négligé de s’entendre sur la valeur des mots.

L’idée et le sujet sont deux choses distinctes. Il n’y a pas de forme sans idée, mais plus d’un chef-d’œuvre est possible pour le peintre sans qu’il ait à faire choix d’un sujet.

En revanche, il se peut que; ravis par la richesse des couleurs, la beauté des formes, l’ampleur et la simplicité des proportions, la mélodie, l’harmonie et le rythme des sons, l’auditoire du musicien, le spectateur de l’œuvre composée par le peintre, le statuaire ou l’architecte oublient de chercher la pensée du maître.

Il n’importe.

L’art, avons-nous dit, est l’interprétation de la nature. Si l’art est resté fidéle à sa mission, alors même que nous ne saisirions pas toute la profondeur de la conception de l’artiste, l’ordre dans lequel il a coordonné les divers éléments qui constituent son travail étant inspiré de l’ordre qui gouverne la nature, rien de vulgaire ou de heurté n’a pu échapper à l’artiste. Son poème porte un reflet du poème universel. Et de même que nous n’exigeons pas d’un lac, d’une prairie, d’une montagne, de l’Océan, l’expression d’une pensée particulière, ainsi est-il permis de s’abandonner sans regret au charme de quelques lignes heureuses, d’un coloris suave ou vigoureux, de sons distribués avec goût.

Guillaume Van de Velde, Wildens, Claude Gellée, Joseph Vernet, Steibelt ont surpris, sans recherche du sujet, ce que Charles Blanc appelait «les voyelles et les consonnes du silencieux langage que nous parle la création».

Par un mystère étrange, ces «lettres» du langage divin de la création permettent à chacun de nous de leur prêter un sens différent. Pendant que Virgile, pénétré de l’âme des sites, laisse tomber de ses lèvres le vers mélancolique

Quæ regio in terris nostri non plena laboris?

Horace, enivré de bonheur devant ces mêmes horizons qui inspirent si douloureusement le poète de l’Énéide Horace adresse à Virgile son ode enthousiaste «Jam Veris comites.»

Il y a donc dans la simple vision de la nature créée, dans les voix du silence, au bord des mers, au fond des bois, sur les cimes élevées, des hymnes ou des tableaux perceptibles pour l’âme de l’artiste et auxquels l’artiste n’est pas tenu d’ajouter. Qu’il soit le traducteur éclairé de la nature, qu’il épelle ces lettres sans suite, mais non sans beauté, dispersées çà et là sous son regard; et s’il est ému, s’il est vraiment doué, son œuvre ne saurait périr.

Cette fertilité promise à l’artiste n’est pas accordée à l’écrivain ou à l’orateur. C’est que les voyelles et les consonnes dont ils se servent ont été créées de main d’homme. Non seulement ces signes isolés sont sans valeur, mais la langue elle-même que parlent les hommes, fût-elle savamment correcte et rythmée, n’est qu’un outil sonore et sans mérite tant que l’idée, une idée précise, n’habite pas en elle. L’idée est la flamme intérieure qui doit transparaître avec netteté dans le discours. Il n’y a pas de parole sans idée, car le verbe n’est qu’une expression, une forme donnée à l’homme pour traduire une pensée. «Les mots, comme les verres, obscurcissent tout ce qu’ils n’aident pas à mieux voir.» C’est une parole de Joubert.

La muse de l’artiste semble donc avoir été mise en possession d’une langue plus souple, plus riche que celle dont dispose la muse de l’orateur. La première peut parler le monde extérieur avec une vérité, une grâce que la seconde n’atteint pas aisément.

L’une transcrit, tandis que l’autre transpose.

On appliquerait volontiers à la muse de l’artiste ce jugement du poète sur Vénus

Sensit læta dolis et formæ conscia)

«Ayant conscience de sa beauté, joyeuse, elle sent le triomphe de sa ruse.»

C’est une ruse, en effet, que cette séduction victorieuse du Beau sur nos organes. Ruse permise à la nature par son Créateur, pour l’enchantement de l’homme.

Si l’orateur n’a pas reçu les mêmes dons que l’artiste, il devait en être ainsi afin qu’aucune faculté intellectuelle ne fût la répétition d’un autre don de l’esprit.

Le peintre s’inspire d’une forme ou d’une couleur, et l’idée se pose comme une flamme sur ce coin de ciel ou de forêt, sur cette figure d’enfant reproduits par le peintre.

L’orateur s’inspire des spoliations, du droit violé, des commotions politiques.

Le peintre est l’initié de la nature.

L’orateur est un défenseur de la société.

Jetez Fromentin dans le Sahara, il sera peintre.

Arrachez O’Connell à l’Irlande, vous en ferez un homme impuissant.

De la différence des sources d’inspiration découle la différence des génies.

C’est pourquoi tant de peuples fiers de leurs maîtres n’ont pas compté d’orateurs,

Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture

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