Читать книгу Les Maîtres peints par eux-mêmes, sculpteurs, peintres, architectes, musiciens, artistes dramatiques - Henry 1841-1913 Jouin - Страница 10

TROIS SIGNATURES INÉDITES

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Chacun sait que les manuscrits de Molière ont disparu. On ne possède de l’auteur des Femmes savantes ni une comédie, ni une scène autographe. Pas le moindre fragment de correspondance. Des signatures, et rien de plus!

Cette destruction complète des écrits originaux d’un poète illustre, que Boileau, son contemporain, proclamait le plus grand, dans un siècle où tant de hauts esprits concouraient à l’éclat des lettres françaises, a de quoi surprendre. On a tenté les explications les plus diverses de cette singulière disparition.

Il est fort croyable que Molière, poète, chef de troupe et acteur, n’a pas eu souci de ses manuscrits. Il a dû les mettre entre les mains de ses camarades pour la transcription de leurs rôles, aux mains du souffleur pour les représentations. Selon toute vraisemblance, les feuillets autographes ont dû passer ensuite chez l’imprimeur. En quel état sont-ils rentrés? Quel cas en a fait l’homme que Tallemant des Réaux, sans méchanceté peut-être, désigne si cavalièrement dans sa phrase, restée célèbre: «Un garçon, nommé Molière, fait des pièces où il y a de l’esprit; elles sont comiques!» Nous pouvons supposer que l’impression d’une pièce étant achevée, l’auteur négligea d’en conserver le manuscrit.

Mais, d’autre part, nous savons que Molière, lorsqu’il mourut, le 17 février 1673, préparait une édition complète de ses comédies. Nul doute que cette édition, dans sa pensée, fût autre chose qu’une simple réimpression. L’auteur avait des notes, des fragments autographes, des corrections, des variantes, des changements de scènes ou de dialogues. Que dis-je? Molière avait en manuscrit la pièce entière du Malade imaginaire, représentée pour la première fois le 10 février 1673, c’est-à-dire sept jours avant la mort de son auteur! Il avait des canevas, des plans de pièces projetées. De ce nombre était Mélicerte, dont l’ébauche était connue pour avoir été hâtivement enchâssée dans le Ballet des Muses, le 2 décembre 1666, Mélicerte, qui ne fut achevée qu’en 1699 — et comment? — par Guérin, issu du second mariage de la veuve de Molière. Notre poète avait conservé peut-être sa traduction de Lucrèce, dont l’existence nous est révélée par Brossette, le commentateur de Boileau.

Que sont devenus ces manuscrits?

Grimarest, La Martinière, et vingt autres à leur suite, ont accusé de la perte des autographes du poète un domestique de Molière, Mlle Molière, sa veuve, et Varlet de la Grange, l’élève, le camarade préféré du maître, son collaborateur attentif, dévoué, pendant quatorze ans. Est-il nécessaire de saper des légendes? Pourquoi non? La légende est à l’endroit de la vérité ce qu’est la superstition vis-à-vis de la foi. Ni légendes, ni superstition!

C’est Grimarest qui nous dit, au sujet de la traduction du De naturâ rerum de Lucrèce, qu’un domestique de Molière, invité par son maître à préparer sa perruque, se serait servi d’un cahier de cette traduction pour faire des papillottes, et que Molière, irrité de cette bévue, aurait mis au feu le reste du travail.

L’anecdote est bizarre, invraisemblable et sans preuves.

La Martinière, dans la Vie de l’Auteur, dont il fait précéder en 1725 les Œuvres de Monsieur de Molière, s’exprime ainsi: «Molière avait laissé quelques fragments de pièces qu’il devait achever; il en avait aussi quelques-unes entières, qui n’ont jamais paru. Mais sa femme, peu curieuse des ouvrages de son mari, les donna tous, quelque temps après sa mort, au sieur de La Grange, comédien, qui, connaissant tout le prix de ce travail, les conserva, avec grand soin, jusqu’à sa mort. La femme de celui-ci ne fut pas plus soigneuse de ces ouvrages que la Molière: elle vendit toute la bibliothèque de son mari, où, apparemment, se trouvèrent ces manuscrits qui étaient restés après la mort de Molière.»

La Martinière se fait ici l’accusateur de deux veuves, et, incidemment, il jette un soupçon sur La Grange. La Martinière est de son époque. Il a lu, il a goûté, le malheureux! l’acre saveur du libelle anonyme, la Fameuse Comédienne, dirigé par un homme de théâtre, — à moins que ce ne soit par une rivale àprement jalouse, — contre Armande Béjart, Mlle Molière, devenue en 1677 la femme de l’acteur Guérin d’Estriché. D’où le sous-titre du pamphlet: «Histoire de la Guérin».

Jusqu’à ces derniers temps, la Fameuse Comédienne a été une arme dont on a usé sans ménagement, sans critique, pour déshonorer la mémoire d’Armande. Charles Livet, en 1876, a fait justice des insinuations gratuites d’un écrit sans vergogne. Armande eût-elle des torts envers Molière? Oui, sans doute, puisqu’il y eut rupture dans leur union. Mais, entendons-nous, si la vie commune fut interrompue entre les deux époux, Armande ne cessa pas pour cela de jouer sur la même scène que son mari, et Molière avait repris sa femme à son foyer en 1671, et elle le rendait père, pour la troisième fois, le 15 septembre 1672. Il y eut sûrement entré eux, à de certaines dates, incompatibilité d’humeur. Armande cédait volontiers à un besoin de coquetterie. De son côté, Molière était soupçonneux. Voilà ce que l’on peut affirmer, lorsqu’on sait lire entre les lignes de mainte comédie où l’auteur s’est mis en scène avec Armande. Tout le reste est hypothèse. Mlle Molière, au lendemain de la mort de son mari, confia ses papiers à La Grange, chargé d’assurer la publication des œuvres du poète. La Grange s’est-il approprié ces manuscrits? Non. Et voici la preuve de notre dire.

Armande, veuve depuis 1673, n’ayant pas quitté le théâtre, épouse Guérin en 1677. Elle lui donne un fils qui, en 1699, s’avisera d’achever à sa façon la Mélicerte de Molière, et, dans la préface de cette pièce, il s’exprime ainsi:

«Il était de mon intérêt de faire un prologue qui m’excusât dans l’esprit de mes auditeurs, et qui leur fît connaître le respect et la vénération que j’ai toujours eus pour M. de Molière. J’avouerai en tremblant que le troisième acte est mon oeuvre, et que je l’ai travaillé sans avoir trouvé, dans ses papiers, ni le moindre fragment, ni la moindre idée.»

La Martinière est en défaut; Mlle Molière a précieusement gardé les manuscrits de son mari; elle a inspiré au fils de son second mari, Guérin d’Estriché, du respect et de la vénération pour la personne et les ouvrages du poète; ce fils achève une pastorale de Molière, et cherche vainement, «dans ses papiers », un fragment, une note qui puisse le guider pour la rédaction du troisième acte. La Grange a donc fidèlement rendu à Armande Béjart les autographes déposés entre ses mains, et la veuve de La Grange n’est point coupable d’avoir laissé vendre, avec la bibliothèque de son mari, ce que cette bibliothèque ne pouvait renfermer.

Au surplus, la vente que nous rappelons a eu ses chroniqueurs, et l’on sait que parmi les livres possédés par La Grange, se trouvait un exemplaire des œuvres de Corneille, dont Bordelon, un bibliophile, devint acquéreur, et que rendaient précieux quelques annotations manuscrites «du fameux comédien français». Hé ! quoi! des annotations de la main de Molière ont du prix aux yeux des amateurs en 1692, à la vente de la bibliothèque de La Grange, et des manuscrits du poète auraient échappé, en cette même circonstance, à la juste curiosité de l’histoire? Ce n’est pas admissible. D’ailleurs, La Grange n’a plus besoin qu’on le disculpe d’une injurieuse imputation, puisque, sept ans après sa mort, les papiers de Molière sont chez Armande, sa veuve remariée.

Taschereau qui, en 1825, a publié une Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, dit tenir de l’un de ses amis, que l’acteur Grandmesnil prétendait avoir vu à la Comédie, jusqu’en 1799, «quelques papiers de Molière». Ces papiers auraient été la proie de l’incendie qui détruisit la salle (actuellement l’Odéon), le 18 mars de la même année. Et Taschereau conclut philosophiquement: «Il ne reste aujourd’hui que des signatures de Molière.»

Ce qui était exact en 1825 l’est encore au début du vingtième siècle.

Deux chercheurs ont particulièrement contribué à la découverte des signatures de Molière. Ce sont, par ordre de date, Eudore Soulié, l’intrépide fureteur des minutes notariales, et Auguste Jal, qui, à la veille des incendies de la Commune, que nul ne pouvait prévoir, a compulsé les actes d’état civil, conservés à l’Hôtel de Ville de Paris. Les écrits de ces deux hommes sont tenus en très haute estime par les érudits. Jal a, de plus que son confrère, donné des fac-similés des signatures qu’il recueillait. Mais quelques confusions se sont produites lors de l’impression de son Dictionnaire critique, et la même signature se trouve insérée deux fois, alors qu’il est inadmissible que Molière, à six ans de date, ait, pour ainsi dire, calqué son propre nom. M. Georges Monval, dès 1879, a signalé l’une de ces confusions. La signature tirée du baptistaire de l’un des enfants de Marin Prévost en 1661, et celle apposée au bas de la procuration, en brevet du 28 janvier 1667, seraient identiques! Nous reproduisons ici l’autographe.


Une erreur du même ordre est à relever au sujet des signatures données par Molière le 11 novembre 1668 sur une quittance «pour nourriture et louage de chambres, pendant cinq jours, à Saint-Germain », et le 11 février 1673 (le poète n’avait plus que six jours à vivre), sur le baptistaire d’une fille du comédien Biet de Beauchamps. Là encore, il est impossible que Molière n’ait pas varié dans la forme des caractères. La signature aux deux dates serait celle-ci:


De l’emploi répété, par inadvertance, de ces deux clichés, il résulte que deux signatures du poète nous échappent.

Il est un point sur lequel on ne peut trop insister. Nous voulons parler des variantes singulières, autant que nombreuses, qui différencient le nom du poète lorsqu’il tient la plume. Voici le fac-similé de sa signature, relevée sur son acte de mariage dans le registre de Saint-Germain-l’Auxerrois, le 20 février 1662:


On voit combien elle est peu semblable aux deux précédentes.

Autre variante. Nous la trouvons sur le bail d’un immeuble consenti par Marguerite Chapellain, veuve de Pierre de Chavanes, à Molière et à sa femme, sous la date du 15 octobre 1665. Le poète signe ainsi:


L’auteur du Misanthrope appose donc sa signature sous ces trois formes: J. B. Poquelin, J. B. Poquelin Molière, et J. B. P. Molière. Les notaires avec lesquels il se trouve en relations exigeront de lui, sur les actes officiels où paraît son nom, d’autres singularités, presque des bizarreries. C’est ainsi que le 30juin 1643, Biesta demande au comédien de signer avec un L majuscule au milieu du nom de Poquelin. Le même Biesta, le 19 septembre 1644, veut que Molière signe Poguelin. Le notaire Rey tient à l’orthographe Pocquelin. Les 31 août et 24 décembre 1668 deux déclarations passées dans l’étude Rey seront signées Pocquelin. Nous n’avons pas vu les pièces originales des études Biesta et Rey, mais M. Georges Monval les connaît, et c’est d’après la liste publiée par lui, en 1886, que nous sommes en mesure d’entrer dans ces détails. Les notaires en question sont-ils coupables dans leurs exigences? Non, sans doute. L’officier ministériel est formaliste. Or, les ascendants de Molière ont signé Pocquelin et Poguelin. Il est donc naturel que certains tabellions, en possession d’actes antérieurs revêtus de ces signatures, aient soumis Molière à l’obligation de respecter l’orthographe que, suivant l’heure, ils jugeaient décisive. Libre d’entraves, Molière écrit invariablement son nom patronymique: Poquelin.

Mais que veut dire l’L majuscule du nom de Molière sur le bail de 1665? Que signifie la même particularité dans le nom de Poquelin, chez Biesta en 1643? Elle existerait encore dans le nom de Molière sur les deux pièces découvertes par M. de la Pijardière, dit aussi Louis Lacour, et que renferment les Archives de l’Hérault. Mais l’authenticité de ces pièces, deux quittances données à Pézenas, reste en discussion. Louis Moland, Jules Loiseleur n’ont pas osé se prononcer en faveur des signatures tracées sur ces documents. Par contre, sans mettre en doute le nom de Poquelin avec majuscule dans les minutes de Biesta — M. Monval l’a vu pour nous — le nom de Molière, également avec la majuscule médiane que nous reproduisons ci-dessus, nous avertit que le poète a cédé parfois à une fantaisie. Auguste Vitu, qui a publié en 1886 le bail de 1665, a fort judicieusement remarqué cette majuscule, mais il va trop loin dans ses déductions.

«Le nom principal, écrit-il, contient une particularité qu’il faudra retenir pour contrôler plusieurs autres signatures acceptées jusqu’ici comme authentiques. L’l du milieu de Molière porte à sa partie inférieure une sorte de boucle qu’on ne retrouve pas ailleurs, L, comme si cette lettre était une initiale.»

Si nous saisissons la pensée de Vitu, il semble dire que les signatures de Molière qui renferment cette majuscule étrange seraient peut-être seules authentiques? Nous estimons que la proposition contraire aurait plus de chance d’être vraie. Mais il ne faut pas être intransigeant. La sincérité dans la recherche incline à la modestie. Ne tranchons rien. Disons simplement que notre poète a signé le plus ordinairement Poquelin ou Molière, et, dans de rares circonstances PoqueLin ou MoLière, avec une majuscule insolite.

Puisque nous parlons de Vitu et des lignes qu’il a consacrées à l’étude du bail de 1665, empruntons-lui la conclusion très juste de son article. Nous y trouverons une diversion heureuse aux détails arides, mais nécessaires, dans lesquels nous venons d’entrer. Un rayon ne messied pas sur les fourrés trop compacts: il donne l’illusion d’une clairière.

«Le fait essentiel qui ressort de ce bail, c’est que depuis la Saint-Remy, c’est-à-dire depuis le 1er octobre 1665 jusqu’au 1er octobre 1668 au moins, Molière et Armande ont habité seuls un petit hôtel, formant un corps de logis distinct, ayant sa cour et sa porte cochère. C’est ainsi que leur intimité se resserrait à l’époque même que les fabricateurs d’anecdotes scandaleuses ont assignée aux prétendus désordres de l’épouse et aux prétendus malheurs de l’époux outragé. Une chose certaine, c’est que Molière habitait l’hôtel du maréchal de camp Millet, lorsqu’il fut atteint de la terrible maladie de poitrine qui faillit l’emporter, et qui amena la fermeture de son théâtre, du 27 décembre 1665 au 21 février 1666. La petite maison de la rue Saint-Thomas du Louvre mérite bien une monographie; j’en ai rassemblé les matériaux authentiques, depuis les temps anciens jusqu’à sa destruction, qui eut lieu dans le courant du dix-huitième siècle. Elle occupait un emplacement aujourd’hui compris dans le sol de la place du Carrousel, très proche du monument qui s’y dresse en l’honneur de Gambetta.»

Mis en possession, par Anatole Jal, architecte du théâtre de l’Odéon, des notes inutilisées par son père lors de l’impression du Dictionnaire critique, nous sommes en mesure d’ajouter trois signatures à celles déjà connues. Deux se rattachent à des événements survenus dans la vie de Molière en 1672. La première fut apposée par lui sur l’acte de décès de Madeleine Béjart, morte le 17 février. Louis Béjart l’Éguisé, frère de Madeleine, ancien acteur de la troupe, et devenu officier au régiment de La Ferté, signe avec le poète:


La seconde signature, inédite, et disparue comme la précédente dans l’incendie de 1871, a été relevée par Jal sur le baptistaire du troisième enfant de Molière, né le 15 septembre 1672, et qui mourut le 11 octobre suivant. En voici la reproduction:


Les deux calques, dont nous sommes redevable à l’obligeance d’Anatole Jal, sont d’une indiscutable authenticité. Ils ont été relevés par son père sur les registres de paroisses centralisés à l’Hôtel de Ville de Paris, antérieurement à 1871. Mais ni l’un ni l’autre de ces menus feuillets ne porte d’annotation de la main d’Auguste Jal. Il fallait donc procéder avec la plus grande circonspection pour les rattacher à un acte de préférence à tout autre. On nous concédera sans peine que la signature de Molière placée au-dessous de celle de Béjart, dit l’Éguisé, était aisée à dater d’après le témoignage d’Auguste Jal:

«Le dix-septiesme (février 1672), — un an jour pour jour avant la mort de Molière — demoiselle Magdeleinne Beiart est déoédée paroisse Saint-Germain-l’Auxerrois, de laquelle le corps a esté apporté à l’église Saint-Paul, et ensuite inhumé dans le charnier de la dicte église, le dix-neuf dudict mois. Béjart Léguisé. J.-B.-P. Molière.»

Plus de doute sur la signature que nous mettons au jour. Elle est bien du 19 février 1672.

La seconde, également privée d’indication, peut-elle être en toute certitude rattachée à l’acte de baptême du troisième enfant de Molière? N’entre-t-il aucune part d’hypothèse dans notre affirmation? Aucune. Cette signature a été lue et relevée dès 1843 par les auteurs de l’Isographie des hommes célèbres, qui en ont donné un fac-similé dans le tome III de leur recueil. Le calque de Jal, pris sur l’original aux approches de 1870, a donc ce double avantage de nous révéler la sincérité de ses propres relevés et la fidélité de ses devanciers dans leur travail de reproduction scrupuleuse. Si nous plaçons le calque d’Auguste Jal sur le fac-similé de l’Isographie les deux pièces n’en font qu’une. Or, il n’est pas admissible que Jal, qui ne pouvait multiplier les reproductions de signatures dans son Dictionnaire critique, sous peine de donner à son livre des développements démesurés, se soit attardé à copier des fac-similés. Il est plus logique de penser que, de retour de l’une de ses séances aux archives de l’Hôtel de Ville, il aura constaté la publication d’une signature qu’il venait de relever et, dans son culte ombrageux pour l’inédit, se sera défendu de mettre en lumière sous son nom ce que d’autres mains que les siennes avaient déjà touché.

La troisième signature de Molière qui nous soit venue d’Auguste Jal est celle-ci:


Elle est, comme les deux précédentes, dépourvue de toute note de la main de Jal. Comment l’identifier? Nous disons plus haut que l’auteur du Dictionnaire critique a reproduit deux fois, par méprise, une signature libellée J.-B. Poquelin Molière. L’une se rattache à l’acte de baptême d’un enfant de Marin Prévost, en 1661 (p. 181 ), et l’autre se réfère à une procuration en brevet de 1667 (p. 874). L’acte de 1661 est détruit. Peut-être convient-il de voir dans le fac-similé de la page 181 la reproduction fidèle de la signature de Molière au baptême de la petite Prévost? Nous pouvons, en tout cas, affirmer que la signature qui nous occupe ici n’est pas celle apposée sur la procuration de 1667. La pièce est connue. Un amateur de Chicago la détient. M. Georges Monval en a parlé dans le Moliériste de décembre 1886. Il en possède une reproduction photographique. Les dissemblances entre notre calque et la signature conservée à Chicago sont nombreuses.

Tels sont les renseignements qu’il nous a été donné de recueillir sur trois signatures du grand comique. Ces modestes reliques étaient-elles de nature à motiver notre étude? Oui, sans doute, car, en raison même de leur petit nombre, les signatures de Molière présentent un intérêt. Les originaux se vendent à des prix élevés. Notre lecteur connaît sûrement la lettre que Dumas fils adressait naguère à Émile Perrin en lui offrant pour la Comédie-Française, qui n’en possédait pas, une signature achetée à la vente Bovet en 1884: «Je n’avais acquis cet autographe que pour l’offrir au Théâtre-Français. Chez moi, Molière n’eût été que chez un disciple; chez vous, il est dans sa famille.»

Veut-on savoir quelle somme avait dû verser l’auteur de Francillon pour devenir acquéreur de l’autographe? 2625 francs!

Une Commission fut instituée, en 1886, sur l’initiative de M. Georges Monval, le fondateur du Moliériste. M. Léopold Delisle en fut le président. Elle eut pour mission de se prononcer sur l’authenticité des signatures du poète, qui lui seraient soumises. M. Monval en signala environ soixante-dix. Pourquoi toutes celles qui sont tenues pour véridiques ne seraient-elles pas reproduites dans un volume? Les «moliéristes» — et qui donc ne l’est pas en France? — y attacheraient le plus grand prix. Loiseleur et Etienne Charavay ont, croyons-nous, formulé le vœu que nous émettons aujourd’hui. Notre souhait se réaliséra-t-il? A M. Monval de répondre!

Un dernier mot. Paléographes et graphologues se plaisent à voir dans l’écriture des hommes de mérite le signe révélateur de leur caractère ou de leur génie. Molière n’a pas échappé à l’analyse des graphologues. Nous trouvons dans l’Etude sur l’écriture des Français depuis l’époque mérovingienne, par l’abbé Michon, un chapitre consacré au poète des Fâcheux. Mais toute la dissertation du graphologue porte sur l’autographe découvert en 1873 par M. de la Pijardière, autographe discuté par Moland, Loiseleur et d’autres encore. Nous disons «discuté » et non pas contesté ou écarté. Le doute plane sur cette pièce; n’est-ce pas déjà trop? Voici d’ailleurs en quels termes s’est exprimé Etienne Charavay dans le Temps du 12 janvier 1886 au sujet de cet autographe.

«J’ai examiné à Montpellier, en 1877, la quittance en question. Elle m’a paru, en tant que pièce, parfaitement authentique. Restait à savoir si elle émanait de notre Molière ou d’un homonyme. Pour vérifier l’écriture, tout moyen de contrôle me manquait. Les signatures connues de Molière diffèrent de celle de la quittance, et, d’ailleurs, la forme des lettres de ces signatures ressemble trop à celles de beaucoup d’écritures du dix-septième siècle, pour que j’en puisse déduire une écriture certaine. Quant au point de vue historique, l’absence de renseignements précis sur l’identité du signataire, dans le texte de la pièce, et l’abondance de personnages du nom de Molière dans le Languedoc, laissaient une grande place au doute. En l’état des choses, je ne pouvais considérer et déclarer comme un autographe indiscutable de Molière la quittance de Montpellier.»

Ainsi demeure en suspens toute déclaration décisive dans le sens favorable. Ainsi demeure chancelante la démonstration subtile de M. Michon. Ses arguments n’ont pas d’appui solide. Il est vrai que M. Michon, sur le vu de la signature de Montpellier, porte ce jugement:

«Molière signe royalement, comme le tout-puissant Louis, qui commande à Versailles et qui s’est fait son Mécène. Et puis, par un étrange contraste, cet homme dont la signature revêt l’allure magistrale de la signature des rois, va jeter, au bout, une barre avec deux points, barre, cantonnée de points, tant aimée des praticiens, des procureurs, qui redoutent toujours des surprises et qui se surveillent en traitant d’affaires.»

Ici, nous sommes complètement d’accord avec notre auteur, mais il n’est pas besoin d’être paléographe ou graphologue pour être frappé de la netteté, de l’assurance, de la fermeté avec lesquelles Molière écrit son nom. Les plus modestes lettrés feront cette constatation. De même, la barre cantonnée de points, qui chez lui tient lieu du parafe, est un détail auquel le regard ne peut se soustraire. Est-ce à dire pour cela que Molière se révèle à nous par sa signature? C’est aller bien loin. Convient-il de voir je ne sais quelle suffisance hautaine dans le trait appuyé du nom, une conscience de supériorité qui, confinerait à l’orgueil? La barre terminale est-elle le signe du caractère positif, méfiant, rusé de l’homme d’affaires? S’il en était ainsi, Molière, nature essentiellement élevée, généreuse, imprégnée de tendresse, aurait négligé ce signe accusateur de l’esprit de ruse ou de négoce, plus souvent qu’il ne l’a fait dans ses signatures authentiques. Ne le voyons-nous pas, sa vie durant, plus préoccupé de produire de belles œuvres que d’amasser de la fortune? Il ne plaide point. Il ne poursuit personne devant la justice. La barre cantonnée lui plut, il en usa. Attacher un sens à ce trait de plume est, selon nous, jeu d’esprit, rien de plus. Toute conjecture n’est pas nécessairement u aperçu.

Les Maîtres peints par eux-mêmes, sculpteurs, peintres, architectes, musiciens, artistes dramatiques

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