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Nous avons dit que l'ouvrage principal de Donoso Cortès, le seul qui lui gardera dans la postérité cette gloire à laquelle il ne tint point durant sa vie, était son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme, et c'est même le seul ouvrage régulièrement composé qu'il ait laissé parmi ses œuvres. Turbulences dans un temps turbulent, cris éloquents poussés sous la pression des circonstances, les autres écrits de Donoso Cortès, discours, articles de journaux ou lettres, ne sont pas des livres à proprement parler et dont la Critique puisse donner l'anatomie.

On les lira encore quelque temps, puis ils tomberont des mains, ne laissant dans les esprits d'autre impression que l'impression du bruit qu'ils firent, et ce sera bientôt effacé. Les journalistes et les orateurs sont plus mortels que les autres hommes. Ils se résolvent mieux et plus vite en poussière. Voix de la bouche, voix de la plume, qui se sont fiées à l'air, à cette petite bouffée de vent dans laquelle elles ont parlé... Le vent ne les trahit pas, et il les emporte! Quoiqu'il ait eu, comme orateur, ses deux à trois moments sublimes, Donoso Cortès, ni dans le journal ni à la tribune, n'a été un de ces voyants à distance, qu'on nous passe le mot! un de ces prophètes de longueur qu'il faut forcément être si, comme orateur ou comme journaliste, on a la prétention, que je trouve un peu forte, de ne pas mourir.

Dans ses Lettres sur la France en 1851, il parcourt, jour par jour, le cercle que toutes les intelligences de ce temps, quand elles n'étaient pas folles, ont pu parcourir; mais je ne vois rien là de prédominant et de supérieur.

Les événements lui donnent dans les yeux de leur impalpable cendre de chaque jour et font ciller ses mélancoliques paupières, qui n'ont pas l'immobilité de celles de l'aigle. Lorsque ailleurs, je crois, sur cette immense et noire tenture de mort dans laquelle il voit l'Europe enveloppée (et qui l'est... peut-être), il se mêle de découper de petites prophéties spéciales, il ne réussit pas. Il manque son coup: «Si la Russie—dit-il—entre en Allemagne, il n'y a plus qu'à accepter, en y ajoutant le mot de Napoléon: L'Europe sera républicaine ou cosaque... si elle n'est catholique», et pourtant rien de tout cela n'est arrivé. La peur, comme l'espoir, voit plus grand que nature.

Le vieux monde s'est rassis sur ses vieux fondements, et ç'a été tout. Évidemment, la gloire vraie de Donoso Cortès n'est point dans des perspicacités de cet ordre. Elle est ailleurs, et c'est dans son Essai sur le catholicisme qu'il faut la chercher.

Elle est aussi dans cette philosophie de l'histoire qu'on trouve, dès 1849, dans la lettre, datée de Berlin, à Montalembert, et qui est d'ailleurs la vue génératrice de toutes les vérités de l'Essai, lesquelles sont nombreuses. Cette vue exprimée et développée déjà par Donoso Cortès, et qu'il démontre, à savoir: le triomphe naturel du mal sur le bien, et le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal, par le moyen d'une action directe personnelle et souveraine, n'avait jamais été formulée avec cette plénitude et cette vigueur. C'est dans la radieuse clarté de cette vue complète que Donoso écrivit l'Essai, qui est tout ensemble la plus profonde apologie du dogme catholique et une attaque contre les doctrines contemporaines dont le but est d'abattre ce dogme et de le ruiner.

Pour Donoso Cortès comme pour Blanc-Saint-Bonnet (une autre gloire catholique qui se fait présentement devant Dieu, et qui, un jour, saisira l'attention des hommes), la théologie est la seule science qui explique l'histoire, qui la prépare et puisse la gouverner, et il le prouva en en appliquant les notions à tous les problèmes soulevés dans son livre. Là il déposa tout son effort, toute sa force, et sa vie presque. Il mourut, en effet, quelque temps après qu'il eut fini ce livre, qu'on mettra désormais entre les Soirées de Saint-Pétersbourg et les Recherches philosophiques de l'auteur de la Législation primitive;—à côté, mais un peu au-dessous des Soirées; à côté des Recherches, mais aussi un peu au-dessus.

Avec son seul livre de l'Essai, le marquis de Valdegamas s'est placé entre le comte de Maistre et le vicomte de Bonald, qu'on pourrait presque appeler les Pères laïques de l'Église romaine. On s'en souvient, ils avaient, au XVIIIe siècle, mis partout leurs trois dieux: Voltaire, Rousseau et Franklin, qu'ils appelaient le Flambeau de l'humanité, dans le style du temps, sérieux et comique, déclamatoire et plat.

Nous, catholiques du XIXe siècle, nous n'avions à opposer aux trois colosses de la philosophie que deux hommes de hauteur, qui en valaient bien trois, il est vrai: de Maistre et de Bonald; mais il nous manquait le troisième. A présent, nous l'avons, et ce sera Donoso Cortès.

Dans cette réplique d'un siècle à un autre par ses plus grands hommes, le comte de Maistre,—avec son esprit merveilleux, si aristocratique, si français, et ce don de plaisanterie charmante qui était comme la fleur de son profond génie,—le comte de Maistre tient naturellement la place de Voltaire, et c'est bien le Voltaire du catholicisme, en effet. Bonald, qui en est le Montesquieu, Bonald, éloquent à force de dialectique, s'y oppose vivement à Rousseau, et, chose singulière et piquante! Donoso Cortès, du pays du Cid et de sainte Thérèse, Donoso Cortès, qui a mis toutes les sciences de la terre aux pieds de la théologie, y fait vis-à-vis et contraste au naturaliste Franklin!

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