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III

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Mais, si le livre de Saisset est d'une si profonde nullité dans sa partie affirmative, nous serons assez juste pour revenir et pour insister sur la valeur de la partie négative ou critique de son ouvrage. Cette partie négative, d'ailleurs, est toujours la meilleure chez tous les philosophes, ce qui, par parenthèse, est un cruel arrêt, implicitement porté par les faits, contre la philosophie elle-même. Les philosophes ne sont vraiment forts que les uns contre les autres. Sans leurs erreurs mutuelles, que seraient-ils?...

Saisset, qui n'a jamais été une de ces supériorités qui ont, de génie, le droit de haute et basse justice sur les systèmes couverts du porte-respect des grands noms, Saisset, qui ne fut jamais rien de beaucoup plus qu'un joli sujet en philosophie, n'en a pas moins exercé la magistrature du bon sens et de la raison, en maint endroit de ses critiques, contre des hommes de l'imposance d'un Leibnitz, d'un Descartes, d'un Kant, d'un Spinoza. Je sais bien qu'en relevant l'erreur il reste courbé devant celui qui l'a produite, et je reconnais là le joli sujet dont je parlais tout à l'heure, respectueux pour ses maîtres et obstiné au respect pour eux, malgré leurs plus honteuses et leurs plus dangereuses folies.

Un esprit plus vigoureux que celui de Saisset ne vénérerait pas la force jusque dans l'abus qu'on fait d'elle, un bon sens plus fier n'aurait pas de ces attitudes devant les gauchissements du génie ou ses crimes,—car les fautes intellectuelles d'un homme investi de facultés transcendantes peuvent aller jusque-là; mais il faut se rappeler que Saisset est professeur, et je nomme ce respect déplacé le mal de l'école. Un professeur n'a pas la recherche libre de la philosophie. Il est professeur avant d'être philosophe. S'il était plus philosophe, il ne serait pas professeur... De plus, quand on vit en intimité d'étude avec les grands esprits philosophiques, avec ces grands cerveaux, tous fausseurs ou corrupteurs, plus ou moins, de la tête humaine, si on leur arrache par la réflexion l'intégrité de sa pensée, on leur laisse de sa dignité par l'admiration qu'on ne leur arrache pas, et c'est ce qui est arrivé à Saisset quand il se sépare des sophismes de ses maîtres et qu'il a le courage de les montrer. Ainsi pour Spinoza, par exemple, dont il voit très bien le vice radical et profond, le vice irrémissible, il reste sans conclure par le mépris mérité avec ce fakir hollandais et juif beaucoup trop vanté, né de la kabbale et du gnosticisme, dans un coin, et qui ne fut jamais que le génie obscur de l'abstraction et de la géométrie, dévoyé dans l'étude de l'homme. L'enthousiasme du mandarin, et je dirai plus, de l'écolier, est ici plus fort que le bon sens primitif, et met un défaut de proportion des plus choquants entre la critique qu'on s'est permise et l'admiration qu'on garde encore...

Eh bien, cela est inférieur! Il est inférieur aussi, après avoir conclu au particulier dans chacune de ces biographies intellectuelles, de n'avoir pas su conclure au général et, après avoir fait passer philosophes et systèmes par le creuset de l'analyse, de n'avoir pas jaugé d'un dernier regard la puissance en soi de la philosophie. Otez, en effet, les vérités indémontrables et nécessaires à la vie et à la pensée humaines qu'on savait avant les philosophes et auxquelles ils n'ont pas donné un degré de certitude de plus,—le nombre infini de leurs sophismes laborieux,—les forces d'Hercule perdues par eux pour saisir le faux ou le vide,—le mal social de leurs doctrines, qui n'ont pas même besoin d'être grandes pour produire les plus grands maux,—ôtez cela, après l'avoir pesé, et dites-moi ce qui reste de tous ces philosophes et de toutes ces philosophies, même de ceux ou de celles qui paraissent le plus des colosses!

Je m'en vais vous dire ce qui reste. Il reste de grands poètes, fort curieux d'abord et ensuite assez fatigants à connaître, des poètes étranges, les poètes de l'abstraction bien plus que des découvreurs de vérités. Depuis Aristote jusqu'à Kant, qui l'a complété, depuis Hegel, le descendant, jusqu'à Spinoza, l'aïeul, et qu'un autre poète, mais qui valait mieux, Lessing, a réhabilité à force de poésie, vous n'avez, prenez-y bien garde! dans tous ces philosophes, que des poètes abstraits. Voyez! ils sont presque tous géomètres, parce que la géométrie est suprêmement la science de l'imagination, et, de l'aveu de Saisset lui-même, c'est par là qu'ils périssent comme observateurs. Avec leurs tourbillons, leur vide et leur plein, leur dynamique, leurs harmonies préétablies, leurs idéalismes impossibles, ce sont de grands poètes, mais abstraits,—des faiseurs, comme dit le mot poète, des créateurs de puissantes ou d'impuissantes chimères... Car l'homme n'invente réellement que sur le terrain de l'imagination; mais Dieu lui donne et il reçoit seulement sur celui de la vérité. Ce sont d'énormes poètes abstraits, mais le moindre poète vivant, avec la plus modeste des fleurs à la bouche, le moindre poète d'expression, vaut mieux que tout cela, et—je finirai par ce blasphème philosophique,—fait plus véritablement que tous ces abstracteurs de quintessence pour l'avancement moral du genre humain!

Philosophes et Écrivains Religieux

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