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L'Essai de philosophie religieuse d'Émile Saisset veut à toute force être modeste. C'est une composition très travaillée en modestie. On s'attendait peu à ce ton, agréable du reste, et convenable surtout, de la part de Saisset, un des diacres de Cousin, qui proclamait, il y a peu d'années, que les philosophes «étaient désormais les seuls prêtres de l'avenir,» et cela avec le contentement fastueux d'un homme qui en tenait sous clef tout un petit séminaire. Saisset, professeur, et, si je ne me trompe, suppléant de Cousin, lequel, lui, a donné sa démission de philosophe entre les mains des dames et est entré dans les pages de madame de Longueville, Saisset a baissé infiniment de note depuis le temps où il se croyait un prêtre et, qui sait? peut-être un évêque des temps futurs. Sa religion de l'avenir lui paraît, en ce moment, fort menacée, et son livre est un cri d'alarme; mais un cri d'alarme discrètement poussé, car tout est discret dans Saisset: le ton, le talent, et même la peur.

Il a peur, en effet. Et il y a de quoi. La philosophie qu'il adore (sic) est cernée et va mourir un de ces jours, non pas, comme Constantin Paléologue, au centre d'un monceau d'ennemis circulairement immolés autour d'elle, car la philosophie de Saisset n'a jamais tué personne: elle n'est meurtrière que de vérité; mais elle va mourir au milieu d'ennemis chaque jour plus nombreux, plus prompts aux coups et plus puissants... Parmi eux, bien entendu, le catholicisme est là qui la presse, et non pas seulement le catholicisme farouche, haineux, théocratique et rétrograde, que hait modestement Saisset, mais le doux, le rationnel, le tolérant, que les prêtres des temps futurs souffrent auprès d'eux en attendant leur propre ordination définitive. Il est assez simple et assez naturel que le catholicisme soit contre la philosophie, qui veut lui succéder. Mais voici plus étonnant et plus terrible. La philosophie est attaquée par la philosophie elle-même. Ses parricides entrailles se retournent contre elle. Tu quoque, fili! Elle est frappée par son fils Brutus. Le fils Brutus de la philosophie est le panthéisme, et ce fils Brutus mérite bien son nom. Il est brute et brutal.

Et, de fait, le panthéisme, vous dira Émile Saisset, est en train de devenir tout à l'heure la philosophie universelle de l'Europe. Que l'Europe le sache ou l'ignore, qu'elle en soit consciente ou inconsciente, elle est en lui, il est en elle, il est partout! Il est dans les penseurs, il est dans les artistes, il est même dans les femmes, qui croient à la substance et plaisantent... panthéistiquement! La France fut assez jeune, dans le temps que Cousin n'était pas encore dans les pages de madame de Longueville et commissionnait pour le compte de la philosophie française, la France fut assez naïve (ce n'est pas là pourtant son habitude, mais c'était la France philosophique, il est vrai,) pour accepter comme une merveille exotique les germes de l'hegelianisme rapportés pieusement dans le chapeau ou sous le chapeau de Cousin, et cette fleur a donné ses fruits. Qui a goûté du Proudhon, du Taine, du Renan, du Vacherot, les connaît, ces fruits germaniques, cultivés par des mains françaises sur un sol français. Ce n'est pas bon, mais c'est demandé, et la philosophie telle que l'enseigne Saisset commence à ne plus placer ses produits. Ils paraissent insuffisants, fades et même fadasses, aux goûts développés et à la fureur d'un temps dépravé. Il y a des choses qui font trembler Saisset. L'accroissement de la personnalité qui s'en va monstrueux, la rage universelle de jouir, et tout de suite encore! enfin l'activité de l'esprit aiguillonnée, exaspérée par cette rage de jouir, voilà ce que ne saurait diminuer, apaiser ou contenir la philosophie, un peu vieillotte, maintenant, pour ce faire, qu'on appelle proprement la philosophie française, celle-là qui sortit de Descartes,—lequel, lui, ne sut jamais sortir de lui-même!—qui fit un jour sa grande fredaine de Locke, mais qui s'en est repentie quand elle fut sur l'âge, plus morale en cela qu'une de ses amies, la grand'mère de Béranger.

Eh bien, cette philosophie est-elle irrémédiablement finie? Doit-elle définitivement céder la place, l'influence et l'empire, au catholicisme, qui nous ramènera au moyen âge ou au panthéisme, qui nous amènera un âge comme l'histoire n'en a pas encore vu? Car la question se débat, selon Saisset, entre ces deux alternatives: «Il n'y a que deux espèces de penseurs conséquents,—dit-il textuellement à la page XXV de son introduction:—ceux qui nient la raison, la science et le progrès et veulent le retour de la théocratie du moyen âge, et ceux qui veulent une reconstitution radicale de la société et de la vie humaine.» Pour lesquels nous prononcerons-nous?...

Après ces paroles et la question ainsi posée, qui ne croirait que Saisset a choisi? Qui ne croirait qu'il est un de ces radicaux courageux, un de ces panthéistes qui semblent les progressistes réels en philosophie, puisqu'ils sont les derniers venus? Et cependant, non! il ne l'est pas. Loin de choisir, il se dérobe. Bien loin d'être une déclaration de panthéisme, le livre est, au contraire, une discussion en forme contre le panthéisme et une doctrine élevée à côté pour échapper aux conclusions envahissantes de ce fléau qui s'étend toujours. Entre les théocrates du moyen âge et les terribles séculiers de l'avenir, qui a donc pu retenir Saisset et lui faire tracer une tangente par laquelle il se sauve des uns et des autres? Cela est curieux, mais cela doit être certainement la théocratie à son usage, cette théocratie philosophique qui n'est pas rétrograde, celle-là, et qu'il a rêvée pour lui et pour ses amis. Il ne veut pas manquer sa prêtrise. Il ne lâche pas sa part de troupeau, et son livre, intitulé Essai de Philosophie religieuse[9], n'a pas d'autre sens que celui-là, sous ses formes d'une simplicité piperesse et d'une modestie qui prouve qu'on n'a plus la puissance, car l'humiliation n'est pas l'humilité!

Philosophes et Écrivains Religieux

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