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Dans le Journal des Débats, quand parurent la Religion naturelle et le Devoir[13], Taine écrivit une pompeuse réclame sur ces deux livres, se vantant, pour le compte de Jules Simon, des deux cent mille lecteurs qu'en moyenne il devait avoir. Dans l'état actuel du journalisme et de nos mœurs, une réclame quelconque ne saurait étonner personne, mais celle-ci avait du caractère, et d'ailleurs, qui sait? peut-être ne mentait-elle pas. Taine, qui l'avait signée, est l'auteur des Philosophes français, dans lesquels il n'est pas dit un mot de ce grand philosophe français, Jules Simon, découvert depuis, et dont il annonce les mérites avec un accent triomphal. En les annonçant, Taine n'a pas eu l'illusion d'une même philosophie. Il n'est pas philosophe à la manière de Simon. Ce n'est pas un panthéiste que Taine, c'est mieux,—c'est-à-dire pis; mais il a pour le panthéisme les bontés qui conviennent à un homme comme lui.

Or, l'humble Simon n'est, lui, qu'un simple déiste; mais, tout simple déiste qu'il soit, il a, précisément dans le livre dont Taine est le cornac sonore, appliqué au panthéisme ce dernier coup de pied qui fait mourir deux fois les lions mourants... Quelle raison secrète a donc dicté la réclame de Taine?... Est-ce le rachat d'un ancien silence, jugé impertinent par la maison dans laquelle Taine et Simon travaillent tous les deux?... Les philosophes auraient-ils leurs expiations ou leurs pardons d'injures, comme ces misérables chrétiens qu'ils méprisent?... Ou ne serait-ce, encore et toujours, que la coalition éternellement prête à se reformer de toutes les philosophies contre la religion chrétienne?... Quoi qu'il en soit, du reste, je ne repousse pas l'arithmétique de la réclame. Eh! pourquoi Jules Simon n'aurait-il pas ses deux cent mille lecteurs tout comme un autre?... Henri Martin les a bien! Pourquoi Jules Simon ne serait-il pas l'Henri Martin de la philosophie? Il a tout ce qu'il faut pour cela.

Pas tout à fait, pourtant. Ce serait vraiment trop dire. Henri Martin—on le verra mieux dans l'étude que nous lui consacrerons—a sur un fond terne un relief comique; un seul, il est vrai, mais très comique, il faut l'avouer. Il a le regain d'imagination qui fut suffisant pour produire cette ineffable plaisanterie du druidisme, gui d'un ridicule fabuleux que la Critique doit couper, avec une serpette d'or, sur les chênes de son histoire. Comme le dirait Hugo, moins abracadabrant qu'Henri Martin, Jules Simon n'a que le fond terne. Le relief lui manque, et jamais chez lui l'imagination ne nous venge, par un écart plus ou moins burlesque, des longs développements, très consciencieusement ennuyeux.

Jules Simon était autrefois, si je ne me trompe, le suppléant de Cousin avant Saisset. C'était un de ces suppléants qui ne peuvent inquiéter l'amour-propre de ceux qu'ils suppléent, et qui les rappellent, mais par tout ce qu'ils ne sont pas. Seulement, il aurait dû venir après Saisset, pour l'ordre des nuances et des dégradations. Il l'aurait diminué et il aurait été lui-même. Gens de même école, de même étude, de même doctrine chétive,—car une doctrine doit être une affirmation sous peine de maigreur,—complices dans le travail d'un même dictionnaire, ces deux Arcadiens—Arcades ambo—avaient bien des côtés fraternels. Mais Simon était un Saisset... effacé. Il pense à peu près les mêmes choses que Saisset, mais il les dit plus mollement; il les empâte un petit. Il fait plus gras et plus pesant le beignet philosophique. Ce n'est pas lui qui aurait dit cette netteté, par exemple: «Les philosophes, voilà les seuls prêtres de l'avenir!» Il n'aurait pas osé. Il aurait donc dû venir après Saisset. Cet escalier d'une philosophie descendante, dont les premiers degrés sont par en haut Royer-Collard et Cousin, eût été plus régulier si Jules Simon fût venu après Saisset et qu'il eût été, de l'escalier, la dernière marche. Qu'y a-t-il à descendre après Simon? Vous êtes à ras de sol.

Esprits, du reste, tous les deux, qui sont des exemples, et qui nous font dire—et ce serait avec désespoir si nous croyions à cette grande vanité de la philosophie—qu'il n'y aura pas de gloire qui s'appelle, en France, au XIXe siècle, la gloire philosophique. Jules Simon, ce blond jeune homme qui n'a pas bruni, a, comme Saisset, passé toute sa vie à citer des textes et à commenter des doctrines tombées en désuétude et dans le mépris de l'histoire, si l'histoire n'était pas une pédante quand elle est écrite par des professeurs! Nous avons entendu les historiettes de Simon lorsqu'il faisait son cours sur l'école d'Alexandrie. Jeunes et de bonne heure en posture, à cet âge où la tête est féconde, fût-ce même en folies, Jules Simon et Saisset ne furent que sages et ne créèrent rien. Ils jouèrent, plus ou moins correctement, ces Arcadiens, de la serinette de l'école. Mais ce fut tout. Ils n'eurent la crânerie d'aucune hypothèse, l'insolence d'aucune généralisation, qui les eussent peut-être égarés, mais sur des hauteurs. Ils ne tuèrent sous eux aucun système, et ils passèrent leur temps et leur jeunesse à faire, sur la pensée et les systèmes des autres, le petit travail critique que fait sur lui-même le pauvre enfant de Murillo dont je veux leur épargner le nom!

Aujourd'hui, arrivé à cet autre âge de la vie où l'on paquette son bagage pour la postérité, Jules Simon, dont il est plus particulièrement question ici, d'ancien anecdotier philosophique s'est fait moraliste pour son propre compte, et presque théologien. Singulière morale, il est vrai, et théologie plus étrange encore! Il a écrit un livre du Devoir sans sanction, et un autre livre de la Religion naturelle qui n'est qu'un catéchisme à l'usage de ceux qui n'ont pas la tête faite pour la philosophie et de ceux qui n'ont pas le cœur fait pour la religion.

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