Читать книгу Philosophes et Écrivains Religieux - J. Barbey d'Aurevilly - Страница 28
II
ОглавлениеEn effet, ni philosophie positive ni religion positive, et la manière de se passer de toutes les deux élevée à l'état de théorie, voilà d'un mot tout le livre de Jules Simon qu'il appelle la Religion naturelle, et qui pourrait très bien, sans jeu de mots, dispenser du Devoir, qui a dû le suivre, car, quel que soit l'ordre de succession dans la publicité, il est certain que le Devoir est la conséquence de la Religion naturelle, au moins dans la tête de l'auteur. D'ailleurs, à défaut d'une idée, cette mère robuste d'une idée, c'est le même sentiment qui les a inspirés. «Si je pouvais,»—nous dit Simon dans la préface de sa Religion naturelle, avec ce ton plus doux qui n'appartient qu'à lui et qui fait de la voix de son confrère Saisset un miaulement tigresque;—«si je pouvais seulement ranimer une espérance... pacifier un cœur souffrant, je croirais que ces humbles pages n'ont pas été entièrement perdues.» Et dans la préface du Devoir: «J'ai combattu ces impiétés—(l'impiété d'avoir condamné cet hérétique d'Abeilard et Descartes!)—pendant dix-sept ans d'enseignement... Je dédie à cette éternelle cause mon humble livre...» Toujours l'humilité! Jules Simon est l'humble des humbles en philosophie:
Le plus humble de ceux que son amour inspire!
car il y a en ce moment l'école des humbles en philosophie, et ce sont ceux-là qui, comme Simon, au lieu de compliquer et de tortiller, à la manière allemande, les arabesques déjà si brouillées de la philosophie, les simplifient, au contraire, jusqu'à la ligne la plus mince et la plus diaphane, afin que cela devienne si facile d'être philosophe que naturellement tout le monde le soit!
Et tout le monde le sera. Pourquoi donc pas?... Le seul dogme de la Religion naturelle de Simon est l'incompréhensibilité de Dieu. Comme c'est commode pour la haute épicerie que d'y renoncer! Jules Simon, qui a lu beaucoup et cité beaucoup Pascal dans ses notes, ne se rejette pas, comme Pascal, de désespoir, devant cet abîme du scepticisme qui gronde mais qui ne répond pas, au Dieu positif de la Révélation et de l'Église. Il a la tête plus forte que Pascal: «Philosophiquement—dit-il—nous ne savons le comment de rien; mais voilà pourquoi—ajoute-t-il—il y a une religion naturelle.» Moi, je dirais plutôt: Voilà pourquoi il doit y avoir une religion positive, une religion qui, sur toutes les questions important à l'homme et à sa destinée, prend un parti net et lui impose une solution.
Mais telle n'est pas l'opinion de Jules Simon. Si, selon lui, le Dieu philosophique n'est pas compréhensible, même aux plus grands génies philosophiques, et si le Dieu de la révélation n'est pas digne d'occuper ces immenses esprits, qui ne peuvent établir le leur par le raisonnement, eh bien, tout n'est pas perdu! Il y a le Dieu de la conscience naturelle que chacun porte avec soi et en soi, comme le sauvage porte son manitou à sa ceinture. C'est à ce Dieu excessivement peu compliqué du déisme libre qu'il faut revenir. C'est à ce Dieu marionnette, dont chacun tire le fil comme il veut ou ne le tire pas du tout, que Jules Simon nous renvoie. C'est le Dieu des bonnes gens,—sans l'excuse de la chanson et du cabaret!