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II

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Il n'en a pas d'autre, en effet. Il écrit comme on écrit dans cette maison-là, avec la gravité pesante, grise et uniforme qui n'y distingue personne. Il a ce gros style qu'on appellera dans cinquante ans style Revue des Deux Mondes, comme on dit le style réfugié, ce style que chacun met sur sa pensée à cette revue et qui ressemble à une casaque pendue dans l'antichambre pour le service de tous les dos.

Saint-René Taillandier est déjà un des anciens de la maison et de la casaque. Pendant que les talents qui fondèrent l'une et rejetèrent l'autre, et qui avaient trop de personnalité et de vie pour se laisser grossièrement éteindre, s'en allaient successivement à la file, il resta, et passa maître, les maîtres partis. Il n'avait rien de ce qui avait brouillé les fondateurs de la maison avec un homme qui traitait ses écrivains comme un allumeur de quinquets attaqué d'ophtalmie traite ses becs de gaz, dont il hait et diminue la clarté. Taillandier était, lui, un quinquet fort sage, de lumière modérée, de chaleur sans inconvénient; enfin il était comme il fallait être pour vivre éternellement dans le clair-obscur de l'endroit. Chose importante! il réussissait dans l'ennui. En talent, il était le billon dont Gustave Planche était la monnaie blanche. C'était du Gustave Planche tombé dans de l'allemand, une vase terrible et de laquelle on n'a jamais pu le sortir! S'il n'y avait pas d'Allemands au monde, on peut se demander ce que serait Saint-René Taillandier. Il est bien probable que nous serions privés de ce grand homme. Aujourd'hui, les connaissances que son livre atteste sont, comme toujours, des importations d'Allemagne, sur lesquelles ne rayonne jamais l'aperçu qui les nationaliserait.

La seule chose en propre qui appartienne donc à Taillandier, c'est son christianisme libre, lequel ne lui a pas coûté grand'peine, puisqu'il n'est, dans une tête ouverte à toutes les choses vagues, que la notion confuse d'une liberté sans limites. Ce christianisme sans gêne est fort au-dessous d'un protestantisme quelconque, car le protestantisme a des liens qui l'embrassent et qui le retiennent en des communions déterminées, et comme le catholicisme, mais avec moins de bonheur et de facilité que le catholicisme, il a toujours essayé de défendre son unité, sans cesse menacée et faussée d'ailleurs par son principe même. Non! Taillandier n'a pas l'honneur d'être protestant, ou, s'il l'est, car tout le monde qui désobéit peut l'être, c'est un protestant sans doctrine, comme il est un philosophe sans philosophie, comme il est un fantaisiste sans invention, et l'introduction de son livre d'histoire et de philosophie religieuse nous met particulièrement au courant de cette fantaisie sans puissance.

Dans cette introduction, en effet, Taillandier, qui a la prétention de remuer ses petites idées générales tout comme un autre, s'efforce de résumer et de bloquer celles qu'il a dispersées dans les articles de son livre, et, comme ici nous n'avons pas de romans allemands à exposer ou des cancans d'érudition allemande à faire, nous montrons mieux ce que nous sommes par nous-même dans cette introduction, d'une clarté tout à la fois innocente et cruelle. Quand on a lu ce triste et traître morceau, impossible de se méprendre sur l'incurable faiblesse d'esprit d'un homme qui a osé écrire au front de son livre les mots d'histoire et de philosophie religieuse, et qui, précisément dans ces deux grands ordres d'idées, ne procède que par sophismes vulgaires, et a démontré qu'il n'y avait en lui que la pauvreté de l'erreur.

Saint-René Taillandier a repris une millième fois la thèse maintenant abandonnée de tout ce qui a quelque ressource de discussion dans la pensée, cette distinction banale de l'avocasserie philosophique d'un christianisme du passé mis en contraste avec le christianisme de l'avenir. «Le christianisme du passé est judaïque,—dit-il insolemment pour les juifs, nos ancêtres, et pour nous;—il est judaïque parce qu'il prétend maintenir, sans hérésie, sans atteinte à la tradition, l'intégrité de la croyance.» Et pour légitimer cette affirmation, qui, vous le voyez, se détruit seulement en s'exprimant, et prouver qu'il est de l'essence de la vérité éternelle d'être moins forte que le temps et de changer avec lui, après avoir posé le principe faux du changement nécessaire il le complète en l'appuyant sur des affirmations historiques d'une égale fausseté.

«Ainsi—dit-il—l'Église de saint Louis n'était pas l'Église de Constantin», et on pourrait le mettre au défi de dire en quoi ces deux églises diffèrent! Ainsi encore il assure ailleurs que le christianisme aurait péri au XVIe siècle sans la réforme protestante, et il ne parle pas de cette grande réforme du concile de Trente qui, pendant que Luther et les autres voulaient tout anéantir, sauve tout, en sauvegardant le dogme,—le dogme éternel! Certes! Taillandier, qui est un professeur et un lettré, n'a pu rester en de si profondes ignorances ou tomber dans des oublis si légers, et je sais bien quel mot la Critique pourrait lui infliger si elle ne savait aussi la triste faculté de se faire illusion qu'ont les hommes, et ceux-là même dont la tête a le moins de fécondité.

Du reste, il n'y a pas, dans cette introduction aux fragments d'histoire et de philosophie religieuse, que l'erreur souche du point de vue principal. Sur la grosse erreur, Taillandier en a brodé fort bien de petites, comme on brode sur un fond de perles des perles plus fines. Il n'y a que les perles qui manquent ici. Taillandier n'a pas même la perle de l'erreur. Il n'en a que la verroterie. Croira-t-on, par exemple, que dans sa fameuse introduction il ait confondu honteusement le monde religieux et le monde politique? Croirait-on qu'il compte deux sortes d'esprits dans le XVIIIe siècle? Et pourquoi pas trois? pourquoi pas dix?... A quel fond de choses réelles vont ces vieilles rubriques, usées comme pantoufles par les sophistes du temps, et qui sont chez Taillandier les procédés ordinaires?... Spiritualiste de prétention, spiritualiste que nous connaissons bien, et dont toute la visée et tout l'espoir est de spiritualiser tellement le christianisme qu'il n'en reste absolument rien, il pouvait s'épargner ces comédies de queue que les renards jouent aux dindons; il pouvait s'épargner les filières par lesquelles il veut faire passer sa pensée... qui n'y passe pas et que nous voyons toujours!

Parlons maintenant sans ironie. L'amour du christianisme de Taillandier est tout simplement la haine du catholicisme, comme le respect de Saisset en est l'envie. Le christianisme prétendu de Taillandier, c'est la tolérance de tout, sans cela, il ne le tolérerait pas. Ce christianisme repousse formellement, après l'avoir cité, ce mot sublime: le Christ aux bras étroits, de Bossuet. Il veut que son Christ, à lui, ait les bras ouverts d'une courtisane! Je demande bien pardon de mettre de pareils mots l'un en face de l'autre, même par horreur des idées qu'ils expriment; mais j'en renvoie le sacrilège à la philanthropie contemporaine, qui, à force d'amour pour l'auguste liberté des hommes, est parvenue à faire de son Dieu la prostituée du genre humain.

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