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PASCAL A JEAN,

Table des matières

A BRIEG (VALAIS).

Fontainebleau, 26 septembre.

Mon cher Jean, je ne quitte plus la forêt, dont je regarde, dont j’interroge chaque arbre, chaque taillis.

Je me sens un homme des chênes, et, pour savoir l’origine de mes idées et de mes instincts, je n’ai pas besoin de pousser mes recherches au delà de nos pères les Gaulois.

Maintenant que j’ai un peu dégrossi mes investigations philosophiques, et trouvé les rapports qui existent entre mon être personnel et l’existence générale, je me plais à découvrir les similitudes qui sont héréditaires en moi et me rattachent à ma race.

Si je me reconnais un homme des chênes, c’est parce, que je vois immédiatement se dresser devant mes yeux les hommes des sapins.

La plupart des peuples ont habité de préférence sur le bord des lacs, des fleuves, de la mer; les moins hardis sont demeurés sur le sommet des plus hautes montagnes; d’autres ont passionnément aimé les plaines. Les Gaulois et les Germains ont choisi les forêts.

Ils ont vécu, les uns sous les ramures protectrices qui garantissent l’homme en été des ardeurs du soleil, et se laissent en hiver pénétrer par les plus pâles rayons, ramures délicates, poétiques au printemps, ruisselantes de richesses à l’automne; les autres ont vécu sous le couvert des branches qui retiennent le givre et la neige en hiver, que le soleil brûle en été, qui suent l’amère gouttelette de leur séve, naissent, meurent uniformes, avec leurs persistantes et tristes aiguilles.

Pour la forêt gauloise la variété, le perpétuel ondoiement des choses diverses. Tour à tour le renouveau, la destruction, les feuilles mortes balayées, d’autres feuilles ressuscitées. Pour la forêt germaine, l’éternelle monotonie.

Ces longs entretiens d’une race avec un arbre ont-ils appris aux deux peuples ce que chantent les chênes, ce que pleurent les sapins? Peut-être ceux qui se dressent fiers, nobles, hauts, ont-ils enseigné la fierté, la noblesse, la hauteur? Peut-être que ceux qui rampent et traînent sur le sol ont conseillé la servilité ?

Au chêne, le lierre s’attache; au chêne, le gui se balance comme une enseigne divine. Le sapin n’a que la mousse qui ronge. Le chêne, en grandissant, perd ses branches inférieures pour laisser passer dans les bois la brise purifiante qui porte l’amour aux époux solitaires. Le sapin garde ses branches les plus basses, s’enferme, et se nourrit dans l’ombre d’herbes corrompues. Son feuillage est offensif, piquant. Il s’élève pour diminuer, il monte pour devenir pointu. L’autre a les feuilles douces au toucher. Plus majestueux à mesure qu’il croît, il s’élargit sous la voûte du ciel. Il lui emprunte la forme des sphères. Quand il ne peut plus monter, il ploie comme un dôme s’arrondit. Le chêne parle d’abri. Les bourgeons veloutés au printemps caressent les oiseaux; leur duvet est semblable à celui de la couvée. Géant, il se reproduit dans un fruit léger qui ne menace point l’homme couché à ses pieds. Le sapin rébarbatif se refuse à donner l’ombre tant qu’il n’a pas été taillé. Son gros fruit tombe avec pesanteur et blesse. Arbre de terrains inférieurs, il prépare le chêne et ne le remplace jamais!

Dans ses tête-à-tête avec le sapin, l’homme des forêts germaines est devenu agressif et bas. Pareil au chêne superbe, le Gaulois audacieux cherche l’orage et défie la foudre.

Tout à coup, en continuant ma promenade, j’aperçois un sapin immense, et j’arrête mon cheval. Il y a aussi des sapins dans la forêt de Fontainebleau. D’où viennent-ils? Ce sont des envahisseurs dont la vue réveille toutes mes douleurs patriotiques. J’étais venu ici chercher les distractions, les consolations que la nature offre à l’homme trop éprouvé, et voilà que ma solitude se peuple de Germains. Il a suffi d’un arbre de race étrangère pour raviver en moi tous les souvenirs de nos luttes avec l’ennemi séculaire.

Ton frère gaulois,

PASCAL.

Jean et Pascal

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