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LE MÊME AU MÊME.

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Fontainebleau, 28 septembre.

Tu trouveras à Brieg deux lettres de moi, mon cher Jean. Je me plais à t’écrire, et je sais mieux ce que j’éprouve lorsque je l’ai tra .duit en récits pour toi.

Hier, je suis allé revoir mon sanctuaire druidique à la Gorge-aux-Loups. Il était quatre heures. J’attachai mon cheval dans un fourré, et je descendis, non par le chemin habituel de l’entrée de la gorge, mais par le mamelon sauvage et les pentes escarpées qui la dominent.

Je marchai lentement, au milieu des bruyères fleuries, dans la poussière blanche des grès. Le sol était doux et chaud sous mes pieds. Je me laissai glisser dans le ravin et je tombai parmi les fougères.

Rempli d’une émotion que je ressens toujours en ce lieu, j’entrai dans l’enceinte druidique. Je contemplai les pierres qui parlaient à nos pères et qui me parlent à moi.

Essaimées une à une sous l’œil éblouissant d’Abellio, elles conduisent comme des gardiennes aux blocs sacrés, qu’ombragent les chênes. Les pierres sont la révélation pure des formations de la terre, enseignaient les druides; c’est pourquoi elles introduisent dans le temple et prennent place à l’autel.

Les voilà jetées dans un chaos apparent comme si elles avaient tout à coup jailli de la vieille forêt gauloise en un jour de tressaillement. L’ombre protectrice des chênes aux branches recourbées a revêtu les pierres, les a enrichies d’une mousse épaisse, couleur d’or, qui les garantit des noires morsures de l’air. Je m’approche de l’autel, je le touche de la main, et je tombe aussitôt dans une des extases habituelles aux druides; j’évoque le passé, et j’ai comme une vision des luttes de nos ancêtres.

Des Gaulois m’apparaissent à l’entrée de l’enceinte, formant un long cortège bruyant, désordonné, tumultueux. Des guerriers, des prêtres, des femmes, s’avancent vers moi. Un banquet se prépare. Tous bientôt y prennent place.

Tes Grecs, Jean, dédaigneraient de boire à ces cornes de buffle et de goûter à ces mets qui encombrent la table. Le plus âgé commencerait un récit fabuleux, écouté en silence. Ceux-ci se griseraient du nectar des paroles choisies, se nourriraient d’enthousiasme. Ceux-là mangent comme des lions, vident d’un trait les coupes pleines, parlent tous à la fois. Ils disent, non les aventures des dieux, mais leurs propres actions héroïques, toujours vraies et qui cependant toujours provoquent des démentis et des colères.

On entend à cette table des phrases insolentes et orgueilleuses comme celles-ci:

«Tu n’as pas fait cela!

— J’ai fait plus!»

Une injure alors traverse l’air, frappe en pleine poitrine le narrateur et le blesse d’un mot aigu comme un dard.

Les deux Gaulois se lèvent. En ces banquets où tous les hommes des autres nations chantent, se jurent alliance et amitié, les Gaulois se convient à la mort.

J’assiste à ce duel avec la même curiosité que les autres spectateurs. Je ne m’indigne pas plus que ces prêtres et que ces femmes. Je regarde, avide de voir des hommes qui se battent. Je suis Gaulois!

Voilà mes guerriers demi-nus. Frères tout à l’heure, et maintenant ennemis! Ils se mesurent en fils de la Gaule, sans ruse. L’un des deux est plus faible, mais plus agile et plus beau. Les femmes souhaitent qu’il triomphe. Les vieillards l’encouragent, les jeunes gens l’excitent. Le plus fort est sombre, il a le front courbé, l’œil soupçonneux, les lèvres amères. La lutte, inégale, dure peu. Le jeune et beau guerrier mord la poussière blanche des grès, il la rougit de son sang.

Vingt autres se précipitent pour venger leur parent, leur ami, un vaincu. Le vainqueur les repousse et refuse de se battre avec eux. On lui lance de toute part l’insulte et la menace.

«J’ai une querelle à vider, dit-il; envoyez-moi ce Germain, qui là-bas mange à notre table, nous espionne et nous trahit, j’en ai la preuve.

— Et l’hospitalité ?

— Qu’il ose me démentir! Allons, barbare, viens expier tes trahisons.

— Je hais le duel, réplique le Germain, et je ne combats que certain de ma supériorité. »

Il jette un long cri. A ce signal, des guerriers étrangers envahissent l’enceinte sacrée. Jusqu’aux femmes, jusqu’aux druides, tous ramassent les armes, les brandissent avec des rugissements de haine et de vengeance.

Le Gaulois qui a triomphé tout à l’heure fait des prodiges de courage pour protéger son blessé contre les coups des Germains.

Un combat terrible s’engage, et je crois y prendre part. Quand la force n’est que dans le nombre, que la vaillance compte, que la valeur sert, que la passion de la gloire palpite au cœur et double les énergies du bras qui frappe, alors on jouit de la guerre. On voit sous ses yeux l’ennemi faiblir, tomber, mourir! On l’a vaincu de sa main! On l’entend de ses oreilles ou maudire, ou demander grâce!

Défendre un sol adoré, un coin du ciel, la plaine qui s’étend, la maison couverte, l’abri des bois, le champ cultivé, défendre la femme patriote qui prend les armes à vos côtés, l’enfant qui se désespère de son enfance parce qu’il ne peut se battre encore, défendre ses coutumes, ses mœurs, ses lois, ses libertés, même celle du duel, chasser de la forêt sainte le vil ennemi qui s’y est glissé par trahison, cela enivre un guerrier et fait de lui un brave, un héros!

Ils sont ruisselants de sueur et de sang, mais qu’importent au Gaulois les blessures qu’il a reçues. Il ignore la souffrance et se tient debout, toujours combattant, jusqu’à ce que la mort l’entraîne dans les cercles tourbillonnants du bonheur éternel.

Je chéris nos pères et je me sens revivre en eux. J’exige de mon imagination qu’ils soient ici vainqueurs des Germains. Hélas! hélas!... Mais pourquoi désespérer? «Au gui l’an neuf!» criaient les druides en cueillant la plante sacrée.

Moi aussi je cueille un gui sur les chênes de la Gorge-aux-Loups: A celui-là les années nouvelles!

Décidément votre visage, celui de Madeleine et le tien me poursuivent. L’une des druidesses qui assistait au banquet, vêtue de blanc, couronnée de houx, les cheveux dénoués sur la nuque, l’œil plein de défis, le doigt levé pour ordonner et soutenir le combat, ressemblait à Madeleine. C’est bien extraordinaire! J’ai songé depuis que ce pouvait être quelque Vénète du Morbihan, sœur des Vénètes de l’Adriatique. Ne me dis-tu pas, dans ta lettre de Paris, que ta mère est de famille vénitienne?

J’ai hâte de te lire.

Ton ami,

PASCAL.

Jean et Pascal

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