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3. Des Perrhèbes et des anciennes villes de la Perrhébie.

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Cette inscription, qui date de l’époque impériale, mais qui ne fait certainement que régler d’anciennes prétentions, nous prouve que la Perrhébie s’étendait jusque sur les plateaux du bas Olympe. Remontons à une époque plus reculée: dans les petites plaines cachées au milieu de la montagne, nous trouvons établis les Perrhèbes indépendants, la partie la plus pure, la plus originale, le plus vivace de ce peuple pélasgique. Le reste de la Perrhébie avait été envahi par les Lapithes; les habitants s’étaient mêlés et confondus avec des populations de race éolienne; «mais, nous

«dit Strabon, quelques tribus se retirèrent dans la

«région occidentale de l’Olympe et s’y maintinrent

«sur les confins mêmes de la Macédoine .» C’est dans la haute vallée de Sparmo, dans la plaine de Karya, dans ces cantons montagneux, mais fertiles, qu’il faut placer les établissements de ces tribus indépendantes. C’est là que les Perrhèbes se défendirent contre les Lapithes et plus tard contre les Thessaliens, et qu’ils conservèrent longtemps sans doute les antiques coutumes et la religion des Pélasges. Homère nous les peint comme un peuple guerrier, en même temps qu’adonné au travail de la terre, et «cultivant les champs de l’aimable Titarèse 3». En effet, sur ces hauts plateaux, d’un accès difficile, où leur liberté était à l’abri, ils trouvaient, comme les modernes habitants de l’Olympe, des terres fertiles et des champs à labourer. C’était une race de montagnards robustes, industrieux, énergiques. Plus tard, la Perrhébie frappe encore sur ses monnaies un homme nu terrassant un taureau, ou un soldat deux javelines à la main .

Homère cite deux de leurs villes, Cyphos et surtout Dodone; il dit qu’ils avaient «posé leurs maisons autour de la froide Dodone». On s’est étonné à ce nom; plusieurs savants ont cru à une confusion avec le fameux oracle d’Épire: de là diverses opinions que mon sujet ne me permet pas d’exposer ici. Mais il me paraît tout naturel de trouver chez les Perrhèbes une ville de Dodone. Ils étaient Pélasges: «Ma domination s’étend jusque sur la terre lointaine des Perrhèbes, » dit Pélasgus dans Eschyle . Comme tous les Pélasges, ils avaient certainement en grand honneur l’antique religion de Jupiter. Ce culte primitif n’était pas seulement répandu en Épire, il le fut anciennement dans toute la Thessalie, où les monnaies représentent quelquefois le Jupiter couronné de chêne, celui qu’on appelle Dodonéen . Les Pélasges de la Thessalie n’avaient-ils pas à Scotussa leur oracle et leur chêne sacré ? Nous connaissons aussi leurs fêtes solennelles de Jupiter, qu’ils surnommaient Pélor . Les Perrhèbes, leurs voisins, qui étaient sans doute une de leurs tribus, pouvaient avoir également un oracle de l’antique dieu des Pélasges, un sanctuaire vénéré qui s’appelait Dodone, comme le sanctuaire plus célèbre de l’Épire. C’est autour de cette ville sainte que vient se grouper le dernier reste de la nation attaquée par les Lapithes. On se rappelle qu’Ixion, le roi de ces Lapithes, est représenté dans les légendes comme un héros impie, ennemi juré de Jupiter. Pourquoi n’y aurait-il pas eu deux Dodone, comme on voit plusieurs Larisse, plusieurs Argos, plusieurs Orchomène? Strabon. qui n’avance rien à la légère, n’hésite pas à placer une Dodone dans ces montagnes de la Perrhébie; seulement la gloire de la grande Dodone a fait que celle-ci est restée obscure et presque oubliée. Pourtant le souvenir ne s’en perd point tout à fait: quelques écrivains, Apollodore, Philoxénos, commentateur d’Homère, viennent confirmer le témoignage positif de Strabon . Ils nous apprennent que cette ville s’appelait aussi Bodoné ; mais c’est une forme éolienne du même nom, et nous savons que les Perrhèbes parlaient l’antique dialecte éolien.

Strabon dit formellement que c’est a dans les cantons

«montagneux qui touchent à l’Olympe, et dans

«cette partie de la montagne qui avoisine Tempé» qu’il faut placer «Dodone, aussi bien que Cyphos et

«les champs du Titarèse.» Il me semble que ces expressions désignent clairement la région que j’ai appelée le bas Olympe. Pourtant on n’a pas pris à la lettre ce texte précis, et les partisans de la Dodone des Perrhèbes indiquent vaguement sa position sur les plateaux intermédiaires entre l’Olympe et le Pinde . Pourquoi hésiter à la placer dans l’Olympe même? La montagne tout entière n’était-elle pas consacrée à Jupiter? C’est, au contraire, un fait curieux et instructif que de trouver un antique sanctuaire de Dodone fondé dans cette montagne, et des tribus pélasgiques établies dès les temps les plus reculés sur ses pentes et sur ses plateaux. Comment, et par qui la religion de Jupiter a-t-elle été établie dans l’Olympe? Doit-il seulement à la hauteur de ses cimes, qui touchent le ciel, et à l’imagination des poëtes d’être devenu la demeure du maître des dieux et la montagne sainte du paganisme grec? Non: ce sont évidemment ces tribus de Pélasges qui y ont apporté d’abord le culte de leur grande divinité ; puis, avec l’invasion de tribus et de races nouvelles, d’autres dieux vinrent s’asseoir autour du dieu antique, qui resta leur roi. Sans doute il serait hasardeux de vouloir déterminer exactement la position d’une ville dont les anciens eux-mêmes se souviennent à peine, et qui n’était peut-être qu’une réunion de quelques chaumières bâties autour d’un chêne sacré. Toutefois c’est dans l’Olympe, au milieu des Perrhèbes indépendants, qu’il faut la placer. Je me la représente volontiers comme située dans un lieu élevé, quelque part au milieu des grands bois qui entourent le monastère d’Ha-Triadha.

Cyphos n’était pas une ville des Perrhèbes; elle appartenait aux Énianes, tribu de race différente, qui s’était établie parmi les Perrhèbes indépendants. Gouneus, qui conduisait les deux peuples à Troie, semble être plus particulièrement le chef de ces Énianes; on en fait le descendant du héros Cyphos et en même temps le fondateur de la ville de Gonnos. Ces traditions, si toutefois elles ont la moindre valeur, semblent établir une relation entre l’ancienne ville de Cyphos et Gonnos, qui lui succéda peut-être . Je placerais les Énianes et leur acropole Cyphos, bâtie sur une montagne du même nom, dans cette partie du bas Olympe qui avoisine Déréli, vers les montagnes de Kokkinopétra.

Quant au Titarèse, on a vu qu’il était formé par plusieurs courants, dont le principal est le Vourgaris. Sorti des cantons montagneux de l’Olympe, il descend arroser la fertile plaine de Doméniko. Là, circulant parmi des campagnes cultivées, bordé d’arbres et de prés en fleurs, il mérite enfin d’être appelé un fleuve «aimable». Il naissait, comme Strabon nous l’apprend, dans le mont Titarios, «montagne adhérente à l’Olympe», c’est-à-dire dans le mont Chapka, au fond de la gorge du Sarandaporos où le Vourgaris prend sa source. J’ai déjà dit que d’antiques traditions donnaient au Titarèse une origine infernale. «C’est, dit Homère, un écoulement de l’eau du Styx, du fleuve au terrible serment .» Et Pline lui donne même le nom d’Orcus. En effet le long et tortueux ravin du Sarandaporos est un de ces lieux où la nature éveille d’elle-même, dans l’imagination de populations naïves, l’idée des demeures souterraines et des dieux de la mort. Le Vourgaris y serpente à l’étroit, loin du soleil, entre des roches à pic, et sous la sombre verdure qui pend à leurs flancs. Rejeté sans cesse d’un bord à l’autre par la double muraille de rochers, il coupe à chaque instant le sentier qui s’enfonce dans cette gorge sauvage; d’où le nom de Sarandaporos, qui veut dire les Quarante Gués. Ces nombreux et brusques détours rappellent ceux du Styx arcadien dans la gorge de Nonacris, qui ont fait imaginer aux poëtes les neuf replis des fleuves infernaux.

Il y avait donc dans le voisinage de la Dodone des Perrhèbes, comme en Threspotie près de la Dodone d’Épire, comme chez les Pélasges arcadiens, une région des Enfers, un sanctuaire de la Mort en relation avec celui de Zeus. Certaines légendes célèbres semblent même se rapporter directement à cet Enfer de la Perrhébie: celle du piérien Orphée allant redemander Eurydice, celle du lapithe Pirithoüs s’attaquant au Zeus souterrain, comme son père Ixion au Zeus céleste. Si nous connaissions avec plus de détails les premières traditions éoliennes, nous y retrouverions sans doute des traces curieuses de l’antique influence des sanctuaires de la Perrhébie. Parmi les Minyens de Jason nous voyons figurer un personnage dont la légende mieux connue nous aurait certainement fourni sur ce sujet des renseignements précieux. C’est Mopsos, qu’Hésiode appelle le Titarésien, Mopsos, fils d’Ampyx et d’Arégonis. Il vient de la ville de Titaros ou Titarone; il est né sous l’ombrage du chêne prophétique et dodonéen . Il nous est représenté à la fois comme un guerrier et comme un prêtre inspiré. C’est lui qui, à l’heure du départ, «debout sur la poupe et

«tenant en main une coupe d’or, invoque Jupiter

«armé de la foudre, père des immortels».

Toutes ces traditions des Perrhèbes nous expliqueraient comment ce petit peuple, qui est à peu près sans histoire, conserve pourtant jusqu’à la fin un nom illustre parmi les Grecs. La meilleure preuve de son ancienne importance, de ses rapports avec les tribus grecques et du rôle qu’il avait joué dans les temps mythologiques, c’est qu’il était membre de l’Amphictyonie de Delphes . Dans les temps historiques, c’est à peine si les Perrhèbes apparaissent à de rares intervalles. Nous les savons d’abord engagés dans une longue lutte contre les Thessaliens; chacune de leurs incursions dans la plaine est un signal de révolte pour tous les peuples antiques, Pélasges, Éoliens, asservis sous le nom de Pénestes . Les Perrhèbes unis aux Maliens, aux Magnètes, aux Enianes, aux Dolopes, à toutes ces tribus chassées comme eux de la plaine, qui entouraient la Thessalie d’un cercle d’ennemis, reçoivent les Perses comme des libérateurs, se rangent dans leur armée et leur ouvrent les chemins de l’Olympe . La Perrhébie devient pourtant à la fin tributaire des Thessaliens de Larisse; elle passe ensuite aux mains de Philippe et des Macédoniens, jusqu’ au moment où Rome lui rend un instant le simulacre de sa vieille indépendance.

Les Perrhèbes, comme habitant les passages de l’Olympe, étaient les guides naturels de toutes les expéditions qui le traversaient. Nul ne connaît mieux qu’eux tous les sentiers de la montagne. Nous les voyons conduire l’armée de Brasidas, après celle de Xerxès; Tite-Live nomme deux guides de l’armée romaine dans la campagne de Macédoine, Schénos et Ménophilos , ce sont deux Perrhèbes.

Le Mont Olympe et l'Acarnanie

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