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6. Pentes orientales du bas Olympe: descente de l’armée romaine par la forêt Callipeucé,

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Table des matières

Les Romains se trouvaient arrêtés dans leur marche. La position était critique au milieu de ces montagnes; mais l’esprit de confiance, qui était la force de leurs armées, leur fit oser l’impossible plutôt que de battre en retraite. Des hautes régions où l’on avait établi le camp, on résolut de descendre en Macédoine par les précipices. Je n’ai jamais rien vu de plus sauvage et de plus magnifique que les pentes du bas Olympe sur lesquelles ils s’engagèrent: c’est une forêt immense enveloppant de son ombre toute une région d’escarpements et de ravins. Dans des gorges boisées jusqu’au fond passent avec bruit des eaux claires et rapides. La vigueur et la variété de la végétation sont incroyables: les arbres de la plaine, qu’on est étonné de rencontrer si haut, les chênes-verts et surtout d’énormes platanes, montent le long des torrents jusqu’au milieu des châtaigniers et presque jusqu’aux sapins. On conçoit qu’en traversant ces impénétrables solitudes, toute une armée ait trompé l’ennemi qui la croyait retournée en arrière. J’employai deux jours à parcourir les pentes dans toute leur étendue, du midi au nord. Sans doute je n’espérais pas retrouver la route exacte des Romains; j’étais sûr au moins de couper en quelque endroit la ligne qu’ils avaient suivie.

Cinq malheureux hameaux grecs de quinze à vingt maisons, débris de villages florissants, sont perdus dans ces bois. La forêt s’écarte à peine pour faire place aux toits de chaume, et se referme aussitôt. Tout languit sous l’ombre: dans d’étroits jardins, quelques courges rampent au hasard au milieu d’une végétation humide; rarement un pâle feston de vigne chargé de raisins verts se suspend aux murs des cabanes. Les châtaignes et le pain de maïs font la principale nourriture des habitants, qui cultivent pour le compte d’autrui des terres éparses au pied de la montagne; il leur faut souvent plusieurs heures pour descendre à leurs champs. De ces hameaux, les plus voisins de Krania sont Égané, Avarnitza et Pourlia, qui se suivent dans cet ordre sur le flanc de la montagne, et sont distants l’un de l’autre d’une lieue ou une lieue et demie. A Égané, dans l’église, je trouvai un tronçon de colonne dorique de très-petit diamètre. Le village est joliment situé sur une sorte de plate-forme avancée, au milieu d’un grand bois d’arbousiers; les deux autres sont déjà dans la région des châtaigniers. Avarnitza est un ancien képhalokhori, qui est tombé de ruine en ruine au dernier état de misère. L’année dernière le village a encore été saccagé, et les habitants sabrés par une bande de cent Albanais. A Pourlia, qui est situé au-dessus d’Avarnitza, on rencontre un sentier qui vient de Nézéro et des plateaux supérieurs; la distance, au dire des paysans, est de quatre heures. Il faut noter avec soin ces sentiers, parce qu’ils indiquent au moins une suite de pentes plus commodes et plus facilement praticables.

Cependant je ne crois pas que les Romains soient descendus par les pentes entre Nézéro et Pourlia; ils se rejetèrent tout à fait au nord-est, le plus loin possible de l’ennemi, que l’arrière-garde, restée le premier jour sur les sommets, tenait à distance . C’est plutôt vers les villages de Skotina et de Pandéléïmoné, qu’ils opérèrent cette pénible et périlleuse descente. Pandéléïmoné est suspendu dans les châtaigniers au-dessus de la forteresse turque de Platamona, l’ancien Héracléion de Piérie, qu’on aperçoit sur le bord de la mer. Tite-Live nous apprend que l’armée descendit sur le rivage au delà de cette ville d’Héracléion: on doit en conclure que les Romains passèrent aussi dans la montagne au delà de Pandéléïmoné, c’est-à-dire dans le voisinage de Skotina. Ce village est situé deux lieues plus loin que le dernier; il est aussi plus haut sur les pentes. C’est encore un village libre; mais il ne compte pas plus de cinquante maisons; il a été ruiné comme les autres, lors de la guerre de l’indépendance; ses églises sont ornées de peintures dont quelques-unes portent la date de 1659. De Nézéro à Skotina on compte deux heures; un sentier descend en cet endroit de Nézéro. Il vient passer justement vers les hauteurs de Katé-ti-Vrysi où nous avons placé le camp des Romains; puis il traverse la région des pins et des sapins, qui couvre toutes les pentes au-dessus de Skotina. Ces arbres descendent même le long des gorges, et viennent former plus bas que le village de gigantesques bouquets d’une noire verdure: c’est évidemment la forêt Callipeucé dont parle Tite-Live.

De Skotina au pied de la montagne le sentier traverse des bois non moins épais. Je cherchais à me figurer, au milieu de ces bois, une large trouée ouverte à la hache , et tout le désordre de cette armée qui déroulait, nous dit Tite-Live, plutôt qu’elle ne descendait. La cavalerie, les bagages, les bêtes de somme, qui étaient le grand embarras, marchaient en avant avec les éléphants, qu’on faisait glisser à grand’ peine sur des plans inclinés; les légions venaient ensuite. De Skotina nous mîmes au moins quatre heures pour arriver au pied des dernières pentes. Là, sur le bord de la plaine, s’élèvent quelques mamelons plantés d’oliviers, avec les ruines d’un petit monastère de la Panaghia. Ce sont les collines où le consul romain, après avoir employé trois jours à cette descente, fit enfin établir son camp ; l’infanterie occupait ces collines; la cavalerie campait en avant, au bord de la plaine.

Tel est le fameux passage de l’Olympe, si bien décrit par Tite-Live, sans doute d’après Polybe, qui suivit l’armée romaine dans cette expédition comme député des Achéens. C’était une entreprise audacieuse, mais qu’il fallait tenter à tout prix. Depuis deux ans on faisait en Thessalie une guerre inutile, dans laquelle Persée ne s’engageait qu’autant qu’il le voulait, ménageant ses forces, apparaissant et se retirant à son gré. Le consul Philippus arrive de Rome avec un plan tout nouveau; il était sans doute sous le coup de l’opinion publique, qui voulait qu’on en finît. Dix jours après son arrivée il entrait dans l’Olympe; après neuf autres jours il était en Macédoine. On peut dire qu’il fit plus que Paul-Émile pour le succès de cette guerre: il rendit possible la victoire de Pydna. Persée n’opposa même pas de résistance; ce coup d’audace était bien fait pour étourdir, pour paralyser un prince plus fougueux que déterminé, qui doutait de ses propres forces et de sa fortune, et dont le défaut capital était le manque de sang-froid dans les grandes circonstances.

Le Mont Olympe et l'Acarnanie

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