Читать книгу Le Mont Olympe et l'Acarnanie - Léon Heuzey - Страница 17
4. Nézéro: lac Ascuris.
ОглавлениеDe la haute plaine de Karya on peut descendre directement sur le rivage de la Piérie; on n’a qu’à s’engager dans le ravin qui s’ouvre à l’est, et par lequel se déversent les eaux de ce côté de la plaine. A l’entrée s’élève le monastère de Kanalia. Le site est tout à fait sauvage; des bois épais de pins, de sapins, de hêtres, entremêlés partout de houx vigoureux, annoncent qu’on est maintenant sur le versant qui regarde la mer. Le monastère n’est plus habité que par cinq moines; jadis il en comptait une vingtaine; ces moines font remonter sa fondation à huit cents ans; ils nomment même les deux fondateurs, Damianos et Ioakhim. Du reste ils ne racontent rien de son histoire, si ce n’est un fait tout récent: en 1843, quarante Albanais surprirent le monastère pendant l’office, enfermèrent les gens dans l’église, mirent tout au pillage et emportèrent 70,000 piastres.
Les habitants de la montagne descendent ordinairement par le ravin de Kanalia; c’est ce qu’ils appellent une route, et même une bonne route, parce qu’ils y passent avec des mulets et des chevaux; mais où leurs chevaux ne passent-ils pas? Cette gorge resserrée est tout ce qu’il y a de moins praticable pour une armée; aussi les Romains continuèrent-ils à traverser obliquement le plateau, du nord-ouest au sud-est. Tite-Live nous indique clairement leur marche, en nous apprenant qu’ils longèrent le lac Ascuris. Il n’y a qu’un seul lac dans ces montagnes, celui de Nézéro, dont le bassin forme la troisième région du bas Olympe.
De Karya je pris un assez bon chemin, qui gravit au milieu des sapins la petite chaîne intermédiaire; en deux heures j’arrivais au village de Nézéro. Des collines disposées en cercle entourent comme un rebord une nappe liquide de médiocre étendue: on dirait une vaste coupe à moitié remplie d’eau. Ce bassin, bien fermé de tous les côtés, se trouve élevé au-dessus de toutes les régions environnantes, et même au-dessus de la plaine de Karya; aussi se décharge-t-il sans cesse par des infiltrations souterraines, et de là naissent et s’alimentent tous les ruisseaux et tous les torrents qui coulent de ces plateaux. Ses eaux bordées de joncs ont cette couleur sombre qui est particulière aux étangs de montagne. Le paysage qui l’environne serait triste, si le bourg de Nézéro avec ses cent vingt maisons, entremêlées de jardins et entourées de champs cultivés, et deux peupliers immenses, qui s’élèvent en cet endroit près du rivage, n’égayaient un coin du tableau.
Le véritable nom de l’étang et du village est Ézéro, c’est un mot bulgare qui signifie justement lac; les habitants, qui sont tous Grecs, disent maintenant Nézéro, pour quelque raison d’euphonie. Cette bourgade date du Bas-Empire; c’était alors une petite ville de quelque importance et même un évêché dépendant du métropolitain de Larisse; nous trouvons son siège épiscopal cité depuis le commencement du dixième siècle jusqu’au treizième. En 1116, dans le traité de commerce entre Venise et l’empereur Alexis, Ezéros est nommé avec le titre de chartularatum; c’est peut-être aussi la même place qu’un chroniqueur appelait Limné de Perrhébie .
Dans l’antiquité, d’après le récit même de Tite-Live, il n’y avait pas là de place forte; c’est un peu plus loin et dans un endroit plus difficile que l’ennemi attendait les Romains. Il est vrai que Tite-Live dit que le château de Lapathonte, qui gardait cette route, était situé super Ascuridem paludem ; mais il faut traduire «au delà du lac Ascuris» et non «sur le lac Ascuris». En effet, lorsque l’avant-garde envoie dire au consul qu’elle est arrivée en vue de l’ennemi, le consul avec le gros de l’armée se trouve déjà sur les bords du lac Ascuris . Je vis pourtant dans une église une inscription; on l’a sans doute apportée d’ailleurs: c’est une petite stèle grecque du meilleur temps, avec le nom de Polycratès, fils d’Héraclios. Plus tard on est venu graver par dessus un décret d’affranchissement: dans cet acte je retrouvai mentionnés les ταγοɩ́ et le stratège, bien que les caractères fussent d’une époque assez basse.
Nézéro est un village libre; il paraît même que c’était, il n’y a pas longtemps, un des chefs-lieux des Klephtes de l’Olympe. Cependant, autant qu’on en peut juger au passage, les habitants me parurent paisibles et hospitaliers, tout occupés à faire produire du blé et de l’orge à quelques terres excellentes que le lac laisse sur ses bords. Ils ont même conçu un grand projet, celui de se débarrasser tout à fait de leur lac et d’en faire une plaine labourable. Ils ont commencé une percée dans la montagne pour le faire écouler tout entier; mais les ouvriers ont mal pris leur direction, et le travail en est resté là. Le colonel Leake avait déjà entendu parler de cette entreprise, qui, bien qu’inachevée, fait le plus grand honneur à l’intelligence et à l’activité de cette petite population. Nézéro est le point central du bas Olympe. De ce centre des sentiers rayonnent dans tous les sens; on descend vers Tzaritzéna en longeant le versant méridional des montagnes de Davja, et vers Alassona par le versant opposé. J’ai déjà décrit les chemins qui mènent à Déréli et à Karya; je parlerai plus tard de ceux de Skotina et de Rapsani.
Le village est dominé par deux hautes collines, une à l’ouest et l’autre à l’est; celle de l’est, qu’on appelle Métamorphosis (la Transfiguration), ou encore Katé-ti-Vrysi, du nom d’une source, est le sommet le plus élevé du bas Olympe. Les cartes marines anglaises lui donnent 4874 pieds au-dessus du niveau de la mer, qui font 1481 mètres. Nous voyons dans Tite-Live que l’armée romaine, arrivée sur les bords du lac Ascuris, s’empara d’une haute colline située dans le voisinage, et qu’elle établit son camp sur les pentes de cette colline. Il désigne probablement ce sommet de la Transfiguration; une petite plate-forme, nommée Livadhi, peut très-bien avoir servi pour asseoir le camp. C’est de là que les Romains découvrirent pour la première fois la Macédoine, comme les soldats d’Annibal et plus tard ceux de Bonaparte découvrirent l’Italie du haut des Alpes. «De cette haute cime, dit l’historien, on
«apercevait tout le pays depuis Phila jusqu’à Dium, et
«toute la côte de la mer; cette vue enflamma les soldats;
«ils avaient devant les yeux le terme de leurs
«fatigues, le territoire et toutes les troupes de
«l’ennemi.» De la colline de la Transfiguration on voit, en effet, sous ses pieds tout le rivage de la mer; dans le lointain on découvre le vaste tour du golfe de Salonique, au fond duquel la ville se dessine avec ses murailles, puis les longues pointes de la Chalcidique, et, par un beau temps, le mont Athos. Il y a d’autres hauteurs voisines d’où la vue s’étend aussi loin; mais aucune ne domine d’assez près sur le rivage pour laisser en même temps apercevoir la côte de Piérie.