Читать книгу Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine - Manoël de Grandfort - Страница 11

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IX

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Francis descendit au Grand-Hôtel; prévenu par une dépêche, Octave de Valleroy vint l’y retrouver. Ils passaient ensemble leurs journées, et le soir dînaient dans quelque restaurant des Champs-Elysées. L’affaire qui avait appelé M. de Valavran à Paris se trouva terminée comme il l’avait prévu à la fin de la semaine; et leur départ fut fixé au dimanche soir.

En prenant le train de huit heures, nous serons à sept heures du matin à Valavran, disait-il à son ami, tandis que par une étouffante soirée ils montaient tous deux l’avenue des Champs-Élysées, encombrée de voitures, de promeneurs et de poussière.

–Pourquoi pas dimanche matin? dit Octave; le dimanche est affreux ici.

J’ai encore des papiers à recevoir et une signature à donner. Sans cela nous serions partis ce soir, car j’avais promis d’être de retour aujourd’hui. Heureusement que ma femme n’est pas seule; je crois qu’elle préfère sa mère à tout le monde, ajouta-t-il après un instant de silence.

Ils étaient arrivés au restaurant; ils prirent une petite salle dans le jardin, et commandèrent leur dîner,

–Madame de Veyrier est toujours la même? demanda Octave.

Toujours, elle est comme sa fille, d’une nature si calme que les années ont glissé sur ses traits sans y former un pli; je me demande souvent si un coup de pistolet tiré à l’improviste à leurs oreilles, pourrait altérer leur tranquillité; je ne le crois pas. La petite fille fait aveo elles deux un terrible contraste; c’est une tempête perpétuelle, un volcan en ébullition, un ciel de feu, ou versant des torrents de pluie. Elle eût dû naître sous l’équateur, cette petite enragée.

Est-elle jolie?

On ne sait pas; maigre, brune, avec des bras trop longs et un buste trop court; un visage allongé, pâle, mobile, expressif; jolie à ses heures, grâce à des dents admirables et à des yeux éblouissants; animée, bouleversée, transfigurée par un esprit hardi, inquiet, passionné, qui la fait passer sans transition du rire aux larmes. Où diable cette enfant-là a-t-elle pris cette nature? Tu sais la placidité de la mère? Eh bien, son père était, dit-on, pire encore; il n’eût pas pour tout au monde, dans ses plus mauvais moments, écrasé une mouche, et sa fille brûlerait le monde entier pour satisfaire la plus légère de ses fantaisies. Sais-tu que c’est effrayant, cela? Quelle sécurité peut-il y avoir dans les familles si, étant donné un père et une mère exceptionnellement calmes et doux, le produit peut être une petite créature que la patience exaspère, que la douceur fatigue, que le calme tue?

Il y a en elle une telle fougue, une ardeur si intense, que sa mère la regarde effrayée, comme une poule qui aurait couvé un oiseau de proie, et qui le verrait s’élancer dans les airs pour y poursuivre sa chasse. Cette enfant ne sait rien de la vie; son esprit est aussi pur, j’en jurerais, que celui qu’elle apporta en naissant; songe qu’elle n’a jamais quitté sa mère, qu’elle n’a pas eu d’amies et n’a jamais été en pension. La femme qui l’a élevée et qui est encore près d’elle, est une sœur de lait de sa mère, une brave et pieuse femme, honnête s’il en fut. Aucun élément délétère n’est donc venu ternir sa pureté et troubler son ignorance; j’ajouterai qu’elle n’a ouvert un roman de sa vie.

Ce ne sont donc ni les mauvais exemples, ni les pernicieuses confidences, ni les lectures exaltées qui ont donné à Valérie cette nature inquiète, ce besoin d’émotions, cette audace d’expressions, qui font l’étonnement et le désespoir de ma belle-mère. La nature a tout fait; elle seule est responsable de son œuvre, bonne ou mauvaise, je n’en sais rien encore, mais taillée grandement, ou pour le vice, ou pour la vertu.

Octave avait écouté son ami avec attention.

Un cœur pur, un esprit exalté, une imagination ardente, enthousiaste et passionnée, ce sont des dons dangereux et fatals; quel homme pourra jamais répondre à l’idéal qu’une telle nature doit se former?… et pourtant c’est la réunion de ces qualités qui crée les femmes sublimes, les mères admirables, les épouses énergiques, les héroïnes et les saintes!…

Et les filles indisciplinées, ajouta Francis en riant.

Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine

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