Читать книгу Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine - Manoël de Grandfort - Страница 7
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Octave de Valleroy était le fils unique d’une des plus charmantes femmes dont le monde parisien ait gardé le souvenir. C’était une grâce accomplie; elle avait élevé ce fils avec un soin jaloux, et chose étrange (cette histoire a l’air d’un conte), il avait admirablement répondu aux soins et au dévouement de sa mère. – Lorsqu’il eut vingt et un ans, elle se retira en Normandie, et là elle se remaria avec un homme qui l’aimait depuis de longues années et qui lui était resté fidèle. – Son fils allait souvent la voir, et quoiqu’elle eût eu de sa nouvelle union un autre enfant, il était reçu avec la joie la plus tendre et la plus vive. – Ce fut à l’époque de ce mariage qu’Octave accompagna Francis dans ses voyages; – il avait, lui aussi, besoin de changer de lieu, car malgré qu’il eût renfermé au fond de son âme ce sentiment égoïste, il éprouva un mortel chagrin de la résolution de sa mère.
Octave avait l’esprit rêveur et délicat d’une femme; comme il parlait peu on le jugeait monotone, et le monde ne l’appréciait pas à sa juste valeur. – Son extérieur n’était pas plus brillant que son esprit, il manquait de ce charme éclatant –qui s’impose et subjugue; sa figure incorrecte et pâle s’éclairait de deux grands yeux intelligents et doux; sur ce masque mobile chaque impression laissait sa trace, et quoiqu’il fût de l’âge de Francis, ses tempes dégarnies et quelques rides sur son front le vieillissaient de plusieurs années. – On ne le recherchait jamais sans le connaître, mais ceux qui le connaissaient l’aimaient fortement et mettaient un haut prix à cette amitié que l’on sentait nette et pure comme l’or.
Le mariage de Francis ne troubla point leur intimité. – Lucie s’attacha tout de suite à cette nature fine, droite, discrète, qui ressemblait à la sienne par beaucoup de côtés; il était pour elle comme un frère. – De son côté, Octave ne cessait de lui témoigner l’affection la plus pure. Elle était pour lui l’idéal de la femme et le bonheur de son ami remplissait son cœur de joie.
Il était musicien consommé quoique sa voix sombre et voilée n’eût aucune puissance, il chantait de façon à vous arracher les larmes mais ce n’était que dans l’intimité la plus stricte qu’il pouvait être lui-même. Il composait des mélodies charmantes qu’il n’écrivait pas, dont il avait perdu le lendemain le souvenir, mais qui restaient dans l’esprit de ceux qui les avaient entendues, comme le parfum d’une rose ou la sensation ineffable d’une matinée de printemps.
Il avait aimé, disait-on, à son retour d’Italie, une femme admirable de beauté, célèbre par son esprit et l’éclat de ses aventures. Comment cette âme poétique s’était-elle laissée prendre par ces dons magnifiques?… Naturellement cet amour fut malheureux; il devait l’être. Elle était trop belle, trop orgueilleuse, trop admirée pour se contenter de ce grand cœur, si timidement offert. Il fallait pour lui plaire l’éclat d’une haute renommée, la puissance d’une fortune royale, la gloire (l’une position si grande que tous courbassent la tête devant elle; pourtant elle eut, pour l’enivrer, des regards tièdes et des sourires doux. Ce fut le caprice d’une heure d’ennui ou d’un moment de dépit. Lui, faillit en mourir. Plus tard cet amour était fini, sans doute, mais il lui en restait la trace, cette première empreinte, que rien n’efface, ni la vieillesse, ni peut-être la mort.