Читать книгу Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine - Manoël de Grandfort - Страница 12

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Comme après leur dîner ils étaient allés au concert Musard, une femme au bras d’un jeune homme passa devant eux et salua Octave d’un signe de tête familier.

Qui est-elle? demanda Francis.

La comtesse d’Arbussan. Ne la connais-tu pas?

–Non. Qui est-elle?

–Une jeune fille de la bourgeoisie aisée, mademoiselle Blanchart ou Chapart ou Bérart, je ne sais, mais quelque chose d’analogue. Elle a épousé, il y a cinq ou six années, le comte d’Arbussan, que tu dois au moins connaître de nom.

–Oui, sa famille est ancienne et originaire du Poitou, je crois.

C’est cela même; il la vit quelque part, ou aux bains de mer, ou à la campagne, je ne sais; il venait d’être refusé par la famille.de Berisy, qui le trouvait trop jeune et à moitié ruiné par une demoiselle quelconque; bref, il l’a épousée; elle est, du reste, extrêmement belle.

Je ne l’ai pas bien vue, dit Francis, mais elle marche comme une déesse.

–Eh bien! quand elle repassera, regarde son visage; c’est un des plus beaux profils que tu aies jamais vus.

N’est-ce pas elle qui vient de s’asseoir là-bas? regarde, à droite; la lumière tombe d’aplomb sur sa robe, qui me semble d’une étrange nuance.

Sois sûr que c’est la couleur à la mode de demain, c’est bien elle! Elle tourne la tète de mon côté et me fait un signe. J’ai reçu d’elle, il y a peu de jours, une très-aimable invitation, à laquelle je n’ai pas répondu; je vais lui offrir mes excuses.

Il se leva et alla vers la jeune femme, qui lui tendit la main.

Vous venez vous faire gronder? dit-elle.

Au contraire, je viens pour vous adresser des reproches. Votre invitation pour le mardi15m’est arrivée le17au soir,

Est-ce bien vrai?

Je suis là pour l’attester, dit le comte d’Arbussan; vous m’aviez, ma chère, chargé d’inviter verbalement M. de Valleroy, je devais le rencontrer au cercle: j’avais, à tout hasard, une lettre dans ma poche. Peut-être bien l’ai-je oubliée?

–Je vous reconnais à cette exactitude, dit la comtesse en riant; aussi bien ne vous donnerai-j e plus de missions délicates à remplir.

Vous ne nous restez pas?

Non! j’ai un ami là-bas; j’étais venu vous saluer seulement.

Qui est-il? Il me semble que je connais ce visage-là. N’est-ce pas M. de Valavran?

–Lui-même.

–Oh! il a une délicieuse femme, j’ai beaucoup entendu parler de lui; présentez-le moi, je vous prie.

Volontiers, il sera heureux de la faveur que vous voudrez bien lui accorder.

Octave, quoique légèrement contrarié, fut trouver son ami.

–Cela ne t’engage à rien, lui dit-il, après lui avoir exprimé le désir de la belle comtesse; nous causerons dix minutes, puis nous partons.

Soit, dit Francis avec indifférence.

Monsieur, dit la comtesse avec gaieté, après que M. de Valleroy eut présenté son ami, j’avais un grand désir de vous connaître; on vous donne comme un modèle en toutes choses; vous êtes, dit-on, une perfection et c’est devenu si rare.

Francis s’inclina en souriant devant ce compliment de mauvais goût.

La comtesse lui montra une chaise à son côté. Elle prit à deux mains les plis de sa robe de soie, rose très-pâle, qui brillait comme de la chair sous son vêtement de dentelles blanches, et les ramena sous ses genoux.

Le comte causait avec Octave.

Madame d’Arbussan et Francis échangèrent quelques banalités, puis elle se mit à raconter avec entrain et gaieté une aventure arrivée la veille; sa voix douce, basse, un peu grave, berçait le jeune homme comme une mélodie. Cependant cette femme qui lui avait fait un compliment stupide l’ennuyait presque; et tandis qu’il l’écoutait, il songeait vaguement à son vieux château où dormait Lucie, blonde, frêle, presque diaphane sous ses lourds rideaux de soie brochée. Sans le charme de sa voix, il fût déjà parti; mais elle le retenait par une sorte de cadence qui arrivait, de temps à autre, et qu’il cherchait à entendre de nouveau; cela, il ne savait pourquoi, lui faisait l’effet d’une fleur qui s’épanouissait. Du médium, la voix retombait souvent aux notes graves. C’était saisissant, très-doux, très-étrange, très-mystérieux. Il ne savait pas un mot de ce qu’elle disait, mais il écoutait la musique de ses paroles, tandis que son esprit l’emportait vers celle qu’il devait voir le lendemain.

–A quoi songez-vous donc? dit-elle tout d’un coup.

Il fut arraché à sa rêverie, il tressaillit vivement et la regarda en face.

Elle tournait son visage vers le sien, leurs yeux se rencontraient.

A quoi songez-vous donc? repéta-t-elle.

Et un sourire, un sourire tel qu’il n’en avait jamais vu sur aucun visage entrouvrit ses lèvres roses et grasses et montra ses dents blanches.–Elle était ainsi si admirablement belle avec ses beaux yeux sombres à demi fermés qu’il éprouva un éblouissement.

– Comme vous êtes belle!.. dit-il malgré lui.

Elle ne répondit pas, mais elle continua à sourire; ses yeux lancèrent un jet de flammes brillantes qui traversèrent le cœur du jeune homme, ses narines roses se dilatèrent légèrement, elle rejeta sa tête en arrière… un flot de lumière l’inonda.

Francis la regardait toujours.

Il y avait si longtemps que je voulais vous connaître, répéta-t-elle en rapprochant ses lèvres si près de Francis qu’elles effleurèrent ses cheveux.

Il fut pris d’un désir insensé de la saisir dans ses bras.

Voulez-vous que nous marchions un peu? dit-elle.

Il se leva sans pouvoir quitter des yeux cet admirable visage.

Puisque vous êtes fatigué, je vais faire un tour avec M. de Valavran, dit-elle à son mari, en prenant le bras de Francis–je veux voir les toilettes.

–Et montrer la vôtre, répondit-il en riant.– Elle vous va si bien en effet que j’ai à vous demander pardon de vous avoir séquestrée sur une chaise.

Je suis rompu, dit-il à Octave, j’ai fait des armes ce matin pendant deux heures.

Francis et madame d’Arbussan se promenèrent longtemps. Que lui dit-elle? presque rien, mais elle avait une façon à elle de questionner, vous regardant en plein visage et comme aspirant vos paroles… Elle semblait absorbée en vous, et n’ayant d’autre but en ce monde que d’entendre les paroles qui tombaient de vos lèvres; – c’était un de ses charmes… le plus grand peut-être,–et tandis qu’elle vous questionnait avec une hardiesse qui semblait ingénue, et qu’elle fouillait dans votre cœur avec une sagacité toute féminine, son bras reposait sur le vôtre, son corps s’allanguissait, ses yeux admirables vous pénétraient.

Le concert était fini.

Adieu, dit-elle.

– Adieu! dit Francis avec émotion, dois-je vraiment vous dire. adieu?

– Vous voulez me revoir? vous le souhaitez?

– Plus que de vivre.

– Alors à demain.

– A quelle heure?

– Je ne sortirai pas, dit-elle, et son visage se troubla, comme si elle eût été en proie à une vive émotion.

Elle avait rejoint son mari, et elle s’éloigna à son bras, traînant derrière elle sa robe couleur chair, recouverte de dentelles blanches. Francis la suivait d’un regard ardent. Quand elle fut sur le point de monter en voiture, elle se retourna; ce mouvement mit en évidence le charme voluptueux de sa taille.

– A demain, dirent ses yeux.

Octave et Francis descendirent à pied l’avenue des Champs-Élysées.

– Qu’as-tu donc? dit le premier en s’adressant à son ami. – Je ne t’ai jamais vu si sombre. – Je t’ai ennuyé avec cette absurde présentation.

Comme elle s’est emparée de toi!… plus je la regarde, plus je la trouve belle et moins cependant elle me plaît.

– Que sais-tu d’elle? demanda brusquement Francis.

– Rien autre chose que ce que je t’ai déjà dit. – Je les connais parce que je les ai rencontrés l’automne dernier chez les Derval a la campagne; j’ai chassé avec le mari, et valsé avec la femme, – voilà tout.

Et. elle est coquette? n’est-ce pas?

Ma foi, je ne sais trop elle est fort élégante, et montre très-complaisamment les plus belles épaules et les plus beaux bras de Paris – mais à part cela je la crois sage.

Francis éclata d’un rire singulier.

Sage!… avec ces yeux, cette bouche, ce teint, cette chair chaude et vivante… ce mari moitié idiot. sage! tu me fais rire.

Mon Dieu, dit Octave avec bonhomie, je dois te dire que je me suis toujours très-peu occupé d’elle; – c’est une nature qui ne me va pas; j’admire sa beauté, mais elle ne me touche point. – Il y a dans ses yeux une expression qui me repousse, et sur ses belles lèvres un sourire qui me laisse froid; d’ailleurs elle a toujours été à mon égard, très-charmante et très-aimable, sans coquetterie aucune, presque bonne enfant et je m’en suis quelquefois voulu de ne pas ressentir plus de sympathie pour elle.

Ils étaient arrivés au Grand Hôtel.

–Je crois que j’ai mal aux nerfs, dit Francis en tendant la main à son ami, ces vins du restaurant vous grisent sans qu’on y prenne garde. Adieu, à demain je rentre chez moi.

Quand il fut seul dans sa chambre, il ouvrit la fenêtre, et respira largement l’air frais de la nuit,

–J’ai la fièvre, se dit-il, assurément je l’ai, Puis tout d’un coup, songeant à Lucie.

Comme elle est pâle et mince!…

D’un bond rapide sa pensée brûlante le reporta à la femme qui, une heure auparavant, s’appuyait sur son bras.

Qu’elle est belle! dit-il avec émotion; son nom doit-être passion et volupté.

Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine

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