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XII

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Anne Blanchard, femme du comte d’Arbussan, était la fille d’honnêtes bourgeois de Paris; elle avait été élevée avec tout le soin que la bourgeoisie met d’ordinaire à élever ses filles; ni les leçons de maîtres, ni les exemples de sa mère ne lui avaient manqué. Jamais aucun mauvais livre, je dirai même plus, aucun roman ne traîna sur la table à portée des yeux curieux de la jeune fille. On ne raconta jamais devant elle la moindre histoire scandaleuse; sa pureté fut gardée avec un soin jaloux. Sa mère, avant de la conduire au théâtre, lisait la pièce qui s’y jouait, afin de savoir si l’enfant pouvait y assister sans danger pour son innocence. Elle n’eut pas de petites amies, ni ne fut mise en pension; sa vie jusqu’à l’âge de vingt ans se passa dans sa famille avec quelques cousins mariés à des femmes raisonnables et des parents d’un âge plus que mûr.

On songea à la marier; le choix de sa mère s’était porté sur un beau garçon passablement riche qui adorait la jeune fille, et que celle-ci semblait aimer; le mariage était presque décidé, lprsqu’un hasard mit en présence le comte d’Arbussan et mademoiselle Blanchard.

Le comte en la voyant en devint amoureux fou, toqué, comme il le disait lui-même; ébloui de cette beauté si complète, attiré par son étrange regard, fasciné par ce sourire provoquant, il osa la demander en mariage. Les parents d’Anna, ravis d’une telle alliance, saluèrent jusqu’à terre, mais ne voulurent rien décider sans leur fille. Ils croyaient qu’il serait difficile de lui faire perdre le souvenir de son fiancé. A leur première parole, Anna consentit, sans un mot de regret pour le malheureux qu’elle abandonnait.

Ils furent mariés et firent un excellent ménage. Le comte avait l’habitude de passer ses soirées à son club, sa femme le laissa libre. Il l’avait présentée dans quelques salons, où elle fut bien accueillie; sa beauté lui fit une réputation. Il se forma rapidement autour d’elle cette coterie qui, à Paris, entoure si aisément les femmes riches et belles. Aucun homme ne sembla être distingué par elle. Sa coquetterie consistait davantage dans l’art de faire valoir sa beauté, que dans ses paroles ou ses actions. Elle n’était ni très-gaie, ni très-spirituelle, un peu absorbée parfois, habituellement silencieuse, mais plus qu’habile à faire valoir son visage incomparable, ses bras de neige et l’ample mais élégante richesse de ses épaules et de son sein.

Son mari en était fier, il la trouvait prodigieusement belle et la jugeait très-froide; elle avait une très-grande liberté, car lui-même était plus assidu au club que dans son intérieur; il avait à part cela un petit cercle de femmes amusantes où il allait, dans l’après-midi, passer une heure ou deux.

C’était un singulier sentiment que celui qui l’attachait à sa femme. Il n’avait plus d’amour, sa toquade, ayant été satisfaite, était déjà passée. Quoiqu’elle fût sage à ses yeux, il n’avait pas d’estime pour elle. L’estime, pour être ressentie, demande un certain niveau moral où il n’atteignait pas… Il était flatté de ses succès, mais lorsqu’on le félicitait, il ne manquait jamais de dire:

– Oui… oui… elle est assez drôle comme ça.

Et avec ses intimes, il ajoutait:

– Mais pas amusante; voyez-vous… moins que la petite Chose de Machin.

C’était une de ses infirmités de ne jamais se souvenir d’aucun nom, ou de l’estropier d’une façon malheureuse.

Quant à elle, elle semblait parfaitement satisfaite et de son mari, et de la position qu’il lui avait faite. Elle lui témoignait de l’affection et même du dévouement. Un jour qu’on le rapporta blessé de la chasse, elle prit sa robe de chambre, ferma sa porte, s’installa auprès de son lit et ne le quitta que guéri.

–Elle a de ça, savez-vous, disait-il en parlant de sa femme, et en frappant de toutes ses forces sur sa maigre poitrine.

Au physique il était bien, presque joli garçon, un visage régulier, mais déjà couvert de rides, très-fines, imperceptibles le soir, visibles seulement au grand jour… Les yeux rougis avaient ce regard terne et pesant qui gêne les femmes nerveuses, sa bouche défraîchie se cachait à demi sous une moustache pâle dont il rongeait incessamment les poils rares et longs. Il possédait ce qu’on appelle un air distingué,–s’habillait bien, bredouillait en parlant et ne savait guère d’autre langage que celui des filles et de l’écurie.

Le Mari de Lucie & Le Soulier de Rosine

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