Читать книгу De l'Influence des chemins de fer et de l'art de les tracer et de les construire - Marc Seguin - Страница 11
II. — DES EMPLOYÉS
ОглавлениеLa plupart des personnes qui se sont trouvées dans une position analogue à celle où les circonstances m’ont placé ont pensé que la direction d’une grande entreprise offrirait beaucoup moins de difficultés si plusieurs chefs étaient réunis, avec un égal degré d’autorité, pour en surveiller tous les détails. Mais il est bien rare qu’en pareil cas la bonne harmonie ne soit pas bientôt troublée; il est bien rare encore que des hommes, quel que soit d’ailleurs leur mérite, fassent abnégation d’amour-propre en faveur du but qu’ils poursuivent en commun. Aussi, à moins qu’ils ne se soient éprouvés déjà réciproquement par une longue expérience, il sera, je crois, toujours plus prudent de laisser la direction suprême entre les mains d’un seul. Il y aura alors plus de latitude et d’indépendance dans le choix des collaborateurs et des employés, et l’ordre, une fois établi, courra beaucoup moins le danger d’être troublé. Le chef, pour peu qu’il soit habile et bienveillant, s’attachera ses subordonnés par l’affection. Il étudiera leurs capacités et la nature de leur esprit. S’il reconnaît qu’ils n’ont pas été placés dans un emploi qui convienne à leurs goûts ou à leurs connaissances, il leur en assignera un autre. Par ce moyen, chaque spécialité sera bien dirigée, et il en résultera encore un autre avantage, en ce que le chef n’hésitera jamais à avouer, chez son subalterne, une supériorité dans telle ou telle branche secondaire, tandis que son amour-propre se serait refusé à la reconnaître dans son égal.
Les occupations les plus importantes de l’unique directeur seront de surveiller l’ensemble, d’en faire concorder toutes les parties, d’aller chercher au loin des renseignements, de discuter les intérêts généraux, de s’attacher enfin aux choses qui ressortent de la masse des détails, et qui, pour être bien appréciées, demandent un coup d’œil très exercé. Dès lors il ne serait pas raisonnable qu’il s’attribuât, dans chaque branche d’un métier dont il fait l’apprentissage, des connaissances supérieures, ni même égales à celles de l’homme qui y est spécialement préposé. Il convient donc qu’il se mette en rapports fréquents avec tous ses employés, qu’il les réunisse souvent, qu’il les engage à communiquer entre eux. Par ce moyen, les idées, modifiées les unes par les autres, arriveront à se fondre, et, dans l’ordre physique, des travaux exécutés pour un même but n’offriront pas, dans leurs disparates, la preuve des dissentiments théoriques de leurs auteurs.
La confiance que l’on accorde aux employés, la liberté d’agir, l’étendue de pouvoir qu’on leur laisse en tout ce qui n’est pas susceptible d’altérer l’harmonie, sont, pour le chef, de sûrs moyens de se les attacher. Il y trouvera en outre une garantie de leur zèle et de leur fidélité, car la négligence ou les abus de confiance sont presque toujours, de leur part, la suite des dégoûts ou de l’irritation qu’ils éprouvent, lorsqu’ils peuvent croire que leurs intentions, leur loyauté ou leur mérite sont méconnus.