Читать книгу De l'Influence des chemins de fer et de l'art de les tracer et de les construire - Marc Seguin - Страница 15
VI. — CHOIX DE LA LIGNE
ОглавлениеLe besoin de transporter de grandes quantités de produits dans une direction invariable a donné l’idée de construire les chemins de fer. Alors leur usage se bornait au service des particuliers ou des compagnies, l’intérêt privé était seul en jeu, et la question d’utilité était très simple et très facile à résoudre. Mais du jour où l’on eut la pensée de donner aux applications de ces chemins une extension qui en généraliserait l’usage, la question s’est agrandie et compliquée. La solution en resta subordonnée à la combinaison d’un ensemble de probabilités que l’on ne peut que très timidement opposer aux conditions connues et certaines des autres moyens de communication.
La création d’une ligne demande une double étude, et doit être envisagée sous deux points de vue bien distincts: le premier, dans l’intérêt privé, c’est-à-dire sous le rapport des résultat financiers de l’entreprise, comparés aux capitaux qu’elle aura absorbés; le second, dans l’intérêt public, c’est-à-dire sous le rapport des avantages moraux et matériels qu’en retirera la nation.
Si l’entreprise est faite par un particulier ou par une compagnie, dans le but de procurer à des capitaux un placement avantageux, il n’est pas douteux qu’ils ne se bornent à supputer les chances de gain ou de perte, et qu’ils ne laissent complètement de côté toute considération d’une importance purement morale ou politique.
Il peut arriver cependant que des capitalistes se mettent à la tête d’une entreprise dont on ne peut raisonnablement et mathématiquement attendre aucun bénéfice. Mais c’est qu’alors les pertes auxquelles ils s’exposent doivent être largement compensées par des avantages indirects. Ainsi, celui qui possède des mines, ou de vastes terrains dont l’ouverture d’un chemin de fer augmenterait beaucoup la valeur, se décidera facilement à l’entreprendre, si, au résumé, il retrouve sur ses revenus ce qu’il perdrait sur sa mise de fonds. Au reste, ces sortes de spéculations ne sont raisonnablement possibles que sur une très petite échelle; mais elles reçoivent parfois, grâce aux coupables menées de l’agiotage, une portée bien plus étendue. Après avoir excité l’enthousiasme du public, en lui présentant de faux calculs et en l’éblouissant par un crédit factice, on en profite pour attirer dans l’entreprise les capitaux des particuliers; l’argent employé, la ruine des bailleurs est consommée, mais le but des spéculateurs est rempli. D’autres fois même ces menées immorales sont mises en œuvre dans des intentions plus odieuses encore, et la vente à prime des actions portées à une valeur tout à fait illusoire offre un moyen de réaliser beaucoup plus promptement d’énormes et frauduleux bénéfices.
Dans un tel état de choses, il serait de la plus grande nécessité que la législation parvînt à allier solidairement les droits du public et ceux des particuliers, et à couvrir les uns et les autres sous une égale garantie.
Mais ce n’est pas le seul danger qu’il y aurait à vouloir isoler ces entreprises de l’action du gouvernement. Il est certains cas où, parmi la somme des avantages de toute nature qu’elles peuvent rapporter, la fraction qui doit profiter au public seulement est égale ou même supérieure aux bénéfices directs que peuvent espérer les compagnies. Dès lors, si les compagnies ne sont soutenues par le gouvernement ou par les propriétaires qui ont un intérêt tout spécial à l’exécution de leurs travaux, elles seront forcées, soit de renoncer à leur projet, et le public y perdra beaucoup, soit d’entrer dans un système d’économies qui les exposera à manquer, en tout ou en partie, le but qu’elles se sont proposé. En un mot, la question financière d’une entreprise ne peut être regardée comme résolue que lorsqu’on a établi la possibilité d’exécution dans des limites de dépense en rapport avec le produit moyen probable qu’en doivent retirer les bailleurs, et sans aucun égard à tout ce qui peut en advenir au bénéfice d’intérêts étrangers.
Les décisions à prendre pour l’ouverture des lignes principales, telles, par exemple, que celles qui partiraient de Paris pour se rendre à la frontière, demandent surtout une sévère discussion, un sérieux examen. Il est même alors presque impossible que le gouvernement n’y intervienne pas, sinon d’une manière active, au moins par son influence. En effet, un tel établissement peut modifier la condition sociale de toute une nation; d’un autre côté, il devient souvent indispensable que ces nouvelles communications soient liées et concordantes avec le système général des routes stratégiques de l’Etat; enfin, il est naturel que, pour un travail aussi important, le gouvernement prête au public le concours de ses ingénieurs, qui, seuls possèdent dans leur administration les moyens de faire d’une manière bien complète toutes les études nécessaires.