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V. — DU PRIX DE REVIENT DES CHEMINS DE FER

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La possibilité de prévoir approximativement le montant des indemnités pour expropriation serait, sans aucun doute, d’un grand secours pour l’économie, dans les frais de création d’un chemin de fer; on pourrait alors, en comparant les directions diverses que l’on aurait la faculté de donner à certaines parties de la ligne, faire entrer en compte le prix probable des achats et des travaux de terrassement, et l’on donnerait la préférence au tracé qui devrait être le moins dispendieux.

La ligne de Saint-Étienne à Lyon ayant nécessité plus de trois cents acquisitions et plus de six cents transactions, j’ai été souvent dans le cas de faire à ce sujet des comparaisons minutieuses. Mais, au résumé, je n’ai presque jamais eu lieu de me féliciter de m’être écarté, même légèrement et dans un but d’économie, de ce qu’aurait exigé la perfection du tracé. Les dépenses d’un surcroît de travaux d’art, la perte du temps des employés, les retards d’une livraison partielle des travaux et tous les frais accessoires du dérangement se sont presque toujours élevés à un chiffre plus considérable que celui de l’économie que j’avais espérée.

Le prix moyen des acquisitions pour indemnités est extraordinairement variable suivant les localités. Voici ce qu’il en a coûté par mètre courant aux divers chemins de fer de France, d’Angleterre, de Belgique et d’Amérique:


L’établissement d’un chemin de fer nécessite, pour les acquisitions des terrains, des dépenses beaucoup plus considérables lorsque la ligne parcourt des lieux très accidentés, que lorsqu’elle traverse un pays à surface plane ou peu inclinée. Le besoin de grandes courbes impose des directions dont, le plus souvent, on ne pourrait s’écarter, même légèrement, sans s’exposer à tomber dans des travaux d’art et de terrassements qui entraîneraient de grands frais. D’un autre côté, les propriétaires appelés à faire la cession de leur terrain veulent rarement comprendre ces considérations, ce qui rend les transactions fort difficiles. Ainsi, plusieurs fois, j’ai dû refuser de conduire la ligne par un emplacement à leur convenance qu’ils offraient de m’abandonner gratuitement, et ma résistance les a jetés dans un état d’irritation qui m’a suscité de grands embarras.

Lorsque les propriétés sont très divisées, et surtout aux abords des grandes villes, où se trouvent plus fréquemment des bâtiments, des maisons de campagne, des jardins, des clôtures, etc., il devient presque impossible de fixer même approximativement le chiffre de la dépense. Dans ces circonstances, la valeur réelle de la propriété se grossit nécessairement des prétentions du propriétaire; et si l’on a affaire à un homme difficultueux, il ne manque jamais, pour appuyer sa réclamation, d’arguments, de raisons imprévues, subtiles et spécieuses, contre lesquelles l’impartialité des juges ne sait pas toujours se défendre. Il en est de même des indemnités pour occcupations temporaires; chemins, passages, dommages dans la récolte, privation des eaux, etc., deviennent, de la part des petits propriétaires, l’objet des demandes les plus exagérées, surtout lorsqu’ils supposent que le préjudice qu’ils ont éprouvé est le fait des agents de la compagnie. Aussi convient-il de stipuler, de la manière la plus formelle, dans les marchés avec les entrepreneurs, que toutes ces indemnités seront à leur charge.

Le coût du terrain, quoique très variable, influe moins cependant sur le prix d’établissement d’un chemin de fer que les difficultés physiques que présente l’ouverture de la ligne; et plus ces difficultés seront grandes, moins l’on pourra garantir la certitude rigoureuse de l’appréciation. En outre, l’adoption des courbes d’un grand rayon et l’assujettissement à une faible pente, conditions qui, dans les pays de plaine, modifient à peine le chiffre de la dépense, y apportent une grande différence quand on conduit la ligne à travers un pays de montagnes, ou le long des torrents encaissés entre des rochers.

On connaît l’opinion générale des géologues sur l’origine dé la plupart des rivières: des lacs étaient échelonnés les uns au-dessus des autres; le trop-plein des premiers se répandant dans ceux qui leur étaient inférieurs, a creusé les sillons qui forment aujourd’hui le lit de ces rivières. Des circonstances particulières ont donné, dans chaque pays, aux montagnes, aux vallées, un aspect et des formes qui conservent assez généralement, dans une même circonscription, un caractère de famille, un angle d’inclinaison à peu près constant, et qui déterminent les coudes plus ou moins roides des cours d’eau.

En parcourant une vallée, on rencontre donc alternativement les parties occupées jadis par les lacs, et qui forment aujourd’hui les beaux bassins devenus des centres de populations, tels que Genève, Lyon, Rive-de-Gier, la pleine du Forez, etc., et les coupures abruptes que les eaux ont ouvertes en se frayant un chemin à travers les rochers, telles que la perte du Rhône à Bellegarde, les rochers de Balbigny sur la Loire entre Roanne et Feurs, et la Roche-Percée, entre Rive-de-Gier et Givors.

J’ai trouvé que sur ce dernier point, le rayon de la courbe moyenne des inflexions du Gier est d’environ 60 mètres. S’il eût été possible de donner aux courbes du chemin de fer un rayon égal, la dépense aurait pu être appréciée d’une manière à peu près certaine, et n’aurait pas dépassé de beaucoup le prix d’une route ordinaire établie dans les mêmes circonstances, soit 18 francs environ par mètre courant .

Quand je fis mes premiers plans, je n’avais pas toute l’expérience dont j’aurais eu besoin pour déterminer le développement qu’il était nécessaire de donner aux courbes. Je pensais, d’après ce que j’avais vu au chemin de Darlington avant sa mise complète en activité, qu’il suffirait de les tracer sur un rayon de 150 mètres. Je pus ainsi n’avoir à faire, dans toute la vallée de Roche-Percée dont le développement est d’environ 12 000 mètres, que trois percements dont le plus étendu n’avait que 150 mètres; l’aperçu de la dépense s’élevait à 7 772 000 francs. Mais, avant de mettre ce projet à exécution, je voulus aller examiner une seconde fois le chemin de fer de Darlington à Stokton, qui venait d’être mis en perception et livré complètement au public. Mes nouvelles observations et les avis de MM. Stephenson, de Newcastle, Rennie et Brunel, de Londres, me convainquirent de la nécessité de donner aux courbes 500 mètres de rayon, ce qui porta à neuf le nombre des percements. Les grandes différences qui ont existé entre le chiffre prévu et le chiffre atteint de la dépense ne m’ont pas permis de préciser le surcroît de frais qu’a entraîné ce changement de disposition, mais je l’ai toujours estimé à près d’un million.

Lorsqu’on est pressé par le temps, et que l’on fait exécuter les travaux sur des points éloignés des villes et des grandes communications, dans des lieux où la population est pauvre et peu nombreuse, des difficultés d’un autre genre peuvent faire varier sensiblement la dépense. Les moyens de subsistance et de logement n’étant plus en rapport avec l’augmentation numérique des individus, les habitants profitent de la pénurie qui en est la suite pour exiger un prix excessif de tout ce qu’ils ont à fournir aux travailleurs étrangers. En pareille occurrence, il est d’un directeur intelligent et expérimenté de veiller d’avance à ce que son monde soit approvisionné de toutes les choses nécessaires, et de prendre par lui-même toutes les mesures de précaution que négligerait sans aucun doute l’imprévoyance de ses ouvriers. Par ce moyen; il évitera la hausse des prix ainsi que les retards et les dérangements dans l’organisation de ses travaux, cause infaillible d’un surcroît de dépenses et d’une grande perte de temps.

Voici les divers prix de revient par mètre courant, pour les travaux d’art et de terrassement des chemins de fer déjà cités:


Quant au prix de la voie, composé de l’achat des rails, des chairs, des solives en bois ou des dés en pierre, des coins, des chevilles, et des frais de mise en œuvre, les variations qu’il subit dépendent non seulement du coût de la matière suivant les localités, mais encore des dimensions que l’on donne à chacune de ces parties.

En prenant un moyen terme général, on peut établir le prix du mètre courant ainsi qu’il suit:


Les autres dépenses, telles que frais d’administration, d’ingénieurs, d’employés pour la conduite des travaux, acquisitions et constructions des wagons, machines locomotives, grues, bascules, magasins, dépôts, embarcadères, etc., étant nécessairement subordonnées aux circonstances particulières, au mouvement des transports, etc., il est impossible de leur assigner un chiffre probable, tant qu’on n’est pas fixé sur la destination spéciale du chemin.

Toutes ces estimations restent d’ailleurs absolument indépendantes les unes des autres. On ne saurait en former un ensemble qui pût servir de base à un calcul, si l’on ne s’est guidé préalablement pour les établir, soit sur un chemin de fer dont la construction offrirait quelque analogie avec le projet, soit sur un canal ou sur une route de terre dont la destination pourrait aider à en faire apprécier le mouvement.

Tous les chemins de fer construits jusqu’aujourd’hui ayant subi depuis leur mise en activité de très nombreux changements, il ne serait pas possible de préciser ce qu’ils auraient coûté, s’ils avaient été mis, dès l’origine, dans l’état où ils se trouvent actuellement. Il faut s’attendre même que, pendant longtemps encore, tous ceux qui seront établis passeront par un série indéfinie de modifications. Les progrès de la science, de fréquentes découvertes ou dans l’art lui-même ou dans les industries qui y concourent, ne peuvent manquer d’y opérer journellement des réformes. Mais toutes ces réformes ayant pour résultat d’augmenter la vitesse, d’éviter les accidents, de simplifier le service, on doit, en tout état de cause, les considérer comme un bien; et quand une compagnie a des ressources à sa disposition, elle ne doit pas reculer devant une dépense qui porte dans son objet même sa compensation.

Quoi qu’il soit de cette impossibilité d’établir une moyenne générale, lorsqu’il s’agit d’une ligne très étendue dont la direction est arrêtée et dont on a déterminé d’avance le mouvement quant au tonnage des marchandises, au nombre des voyageurs et à la vitesse des transports, les prévisions peuvent acquérir quelque certitude. Ceux qui ont une grande habitude de faire exécuter des travaux de ce genre pourront, à la simple inspection des lieux, faire une estimation assez exacte du prix qu’atteindra l’établissement projeté.

Quant il est question d’ouvrir une grande voie de communication, il faut bien se garder de céder à l’enthousiasme et de se laisser entraîner par des espérances chimériques. Un tel projet doit être l’objet d’un examen réfléchi, d’un calcul froid et positif. Le but déterminé, on doit s’être assuré qu’il pourra être atteint, et qu’on ne sera pas forcé de le dépasser. L’État avant d’y consacrer ou de permettre à une compagnie d’y consacrer des capitaux considérables, doit avoir reconnu que cet argent ne sera pas absorbé sans qu’il en résulte un bien public, et sa sollicitude à cet égard doit être égale à celle qu’apporterait un simple parculier à l’administration de sa fortune privée. Ce principe bien apprécié aurait rendu peut-être la nation plus juste envers le gouvernement. Elle aurait compris qu’il pouvait être sage et prudent en ne se hâtant pas inconsidéremment de sillonner la France d’une multitude de chemins de fer, comme l’opinion publique, trop prompte, je crois, à se laisser éblouir, semblait lui en imposer l’obligation. Elle aurait dû se rappeler quels embarras suscita l’achèvement de tous ces canaux entrepris dans des circonstances pareilles, et elle aurait trouvé, dans ce récent exemple, l’explication d’une réserve qu’elle a, trop légèrement, taxée de nonchalance.

Les résultats d’une grande entreprise se dessinent rarement d’une manière bien nette au premier aperçu. Il est presque toujours des considérations qui échapent dans l’enfantement général du projet, et que la réflexion et la maturité font ressortir. On pourrait même poser en principe que le temps consacré à l’étude d’une mesure qui exercera son influence sur les intérêts généraux doit être en rapport direct avec l’importance que peut avoir la décision. Il est avantageux, sans doute, d’abréger les retards; mais il ne l’est pas moins d’éviter les fautes. Les effets d’une erreur, d’une imprévoyance, ne se restreignent pas d’ordinaire, dans le fait qu’il est fort souvent déjà difficile de réparer; ils réagissent sur les idées, intimident l’opinion, arrêtent l’élan, et détournent quelquefois pour longtemps l’impulsion salutaire des masses, aussi promptes à recevoir de puériles épouvantes qu’à accepter les espérances les plus incertaines.

Il est des cas où l’établissement d’un chemin de fer ne peut être l’objet d’aucune hésitation. Ce sera, par exemple, lorsqu’il devra parcourir des lieux où n’existe encore aucun autre moyen de communication, et qu’il ouvrira des débouchés à des productions précieuses ou abondantes. Ce sera encore lorsqu’il traversera des terrains qui n’ont aucune valeur, et que les matériaux employés à sa construction ne coûteront que la main-d’œuvre, ainsi qu’il arrive en Amérique, où le mètre courant d’un chemin de fer à une voie, avec des rails de 18 kilogrammes, ne dépasse pas 75 francs . Le gouvernement anglais pouvait aussi sans danger voir d’immenses capitaux s’absorber dans de telles entreprises , parce que le besoin de voyager en général est impérieux dans toutes les parties de l’Angleterre, et qu’il est égal dans toutes les classes des citoyens, et parce que le mouvement de la population, pour les affaires ou pour le plaisir, est secondé par l’aisance dont jouissent la presque totalité des individus. Mais il n’en est pas de même en France. Dans presque toutes les directions où l’on pourrait établir des chemins de fer, il existe des routes, des canaux, des rivières navigables, et le transport des marchandises et des voyageurs s’effectue d’une manière à peu près satisfaisante. Les populations des grandes villes, et particulièrement celles du nord de la France, ne sont peut-être pas très éloignées, sous le rapport des goûts et de la position de fortune, de celles de l’Angleterre; mais les habitants des autres parties du royaume ne seraient pas également bien disposés à payer si chèrement le moyen de satisfaire des besoins qu’ils n’éprouvent encore que faiblement. Je sais que l’on répond à cela que la création d’un chemin de fer aura précisément pour effet de développer ce besoin, et de faire apprécier les avantages qu’offre la perfection des moyens de transport; en sorte que, se trouvant alternativement cause ou effet, suivant les circonstances, qu’ils donnent ou suivent l’impulsion, le but n’en sera pas moins atteint. Cette observation est vraie et judicieuse; mais il pourrait devenir très pernicieux de s’en étayer pour établir des chemins de fer au hasard et partout, ce qui semblerait être la conséquence rigoureuse de ce principe pris dans une acception absolue. Le problème n’est point encore arrivé à complète solution. Le chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon est resté jusqu’aujourd’hui en état de souffrance , tandis que celui de Darlington à Stokton, qui n’a sur lui aucun avantage apparent, a atteint une grande prospérité . Le sort des chemins de fer de la Belgique n’est pas encore décidé ; et je ne crois pas que l’urgence soit telle, qu’il faille engloutir dans ces entreprises les énormes capitaux dont on a parlé, avant que l’expérience ait un peu mieux constaté les bénéfices que l’on en doit attendre .

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