Читать книгу Cinquante années de visites à Saint-Lazare - Marie d' Abbadie d'Arrast - Страница 13

LES PRÉMICES DE LA MOISSON

Оглавление

Table des matières

La mélancolie que nous éprouvons lorsque, sur une ancienne plaque de daguerréotypie à demi effacée, nous cherchons à reconstituer les traits d’une personne qui n’est plus, je l’ai ressentie pendant que je m’efforçais, à l’aide des lettres de la baronne Pelet et de la comtesse de Perthuis, de faire revivre la sympathique figure d’Annie J.... Les lettres donnent une légère esquisse: quelques indications, jetées au courant de la plume; presque rien, assez cependant pour que l’on devine l’ensemble du tableau. Annie était née à Derby; elle prétendait exercer l’état de modiste et, lorsqu’en 1839 elle vint tristement échouer dans Saint-Lazare, elle était âgée de 27 ans à peine. Elle était venue à Paris à la suite de je ne sais quelle aventure; la vie est d’abord facile et joyeuse pour elle et pour son complice, mais les ressources s’épuisent, et la catastrophe survient. Annie est inculpée d’avoir présenté une fausse lettre de change de 18,000 francs, arrêtée, incarcérée. Est-ce donc pour ce dénouement qu’elle a sacrifié honneur, paix, famille, brisant le cœur de sa mère et se séparant d’une sœur mariée et honnête femme dont elle devint la honte! Les dames protestantes la rencontrent dans la prison et s’intéressent aussitôt à elle.

On lui parle des choses du salut. La malheureuse n’est pas insensible, loin de là. Elle a été folle, légère, inconséquente, elle l’avoue; mais du délit dont elle est inculpée elle affirme qu’elle est innocente! Ces dames se procurent des renseignements sur le passé de leur pénitente par l’intermédiaire de Mme Fry. La sœur d’Annie, qui est lingère à Londres, fait savoir qu’Annie a été perdue par la duplicité d’un homme qui, d’autres fois, a commis des faux et qui a déjà été condamné. Quant à Annie, sans aucun doute, elle n’est pas coupable du faux. Cependant, sous l’influence de la grâce du Seigneur, elle rentre en elle-même; elle sent le poids de ses fautes et confesse qu’elle est coupable, non du délit, mais d’un entraînement qui l’a précipitée dans le malheur où elle est. Sa prévention dure un temps infini; ces dames deviennent de vraies amies pour elle. Elles la pressent d’écrire à sa sœur. Annie dit en pleurant qu’elle ne peut se résoudre à laisser cette sœur deviner dans quel endroit elle est enfermée. Mme Pelet n’insiste pas. «Je lui ai lu, écrit-elle, le commencement du chapitre V des Actes des Apôtres, et dans saint Jean le récit de la rencontre de Nicodème avec Jésus, en lui expliquant les versets les plus applicables à sa situation. Elle n’a fait aucune protestation d’innocence, mais elle était recueillie, attentive. En nous relevant de la prière, sa physionomie portait l’empreinte d’une émotion intime.» A la fin, selon les expressions de Mme Pelet, «Dieu daigne jeter une vive lumière sur l’affaire.» On découvre le triste passé de l’homme qu’Annie avait suivi à Paris; on sait qu’il est capable des actes les plus indélicats, et lorsque Annie doit comparaître devant le tribunal, son avocat est convaincu de son innocence et espère fermement pouvoir la sauver. Ces dames comptent sur un acquittement et préparent un «très bon refuge.» Ce sera chez le concierge du jardin Marbeuf, tout près de l’église anglaise de cette rue. «La chambre est triste, mais Annie aura en compensation, pendant cette belle saison, la jouissance d’un magnifique jardin.» Le jour du jugement arrive. Tous les journaux avaient parlé de sa longue prévention, et le Droit avait attaqué fortement le juge d’instruction d’avoir laissé arriver, par ses lenteurs et sa négligence, l’affaire au tribunal. La prévention d’Annie n’avait pas duré moins de huit mois, de novembre 1839 à juin 1840. Elle est acquittée. Mme de Perthuis l’assistait au tribunal et l’emmenait tout de suite chez le concierge de Marbeuf, où sa pension est de 2 francs par jour. Malgré l’acquittement, la pauvre femme faisait pitié ! Au lieu de se réjouir, elle se ressentait de tout ce qu’elle avait souffert, elle était triste. Elle s’en faisait un reproche. Peu à peu cependant, elle reprend courage. «On lui donne de l’ouvrage, elle travaille tant qu’elle peut, elle travaille comme un bijou, elle a déjà mis de l’argent de côté.» Sa sœur, à Londres, n’a garde de l’oublier; elle lui écrit pour les anniversaires de fête; elle réveille en elle les affections de la famille; les lettres qu’elle lui adresse sont des lettres touchantes de piété et de douceur et et enfin, au nom de leur mère, un jour, elle lui pardonne et la rappelle à Londres. Annie accourt «in a hopeful state of mind.» Son passé sera effacé, oublié ; Dieu, lui-même, n’a-t-il pas recherché la brebis perdue? Sa mère et sa sœur ne ferment non plus ni leur cœur ni leurs bras, et la coupable repentante va reprendre sa place dans leurs affections.

Encore un ou deux traits pour finir: «Annie écrit souvent; les dames de l’Association reçoivent d’elle des lettres qui expriment sa profonde gratitude. Elle bénit les voies douloureuses par lesquelles elle est entrée dans le chemin qui mène à la vie.» Mme de Perthuis la recommande à des personnes de la cour d’Angleterre; cette recommandation lui vaut beaucoup de travail. Elle prospère, elle ouvre un petit établissement de lingerie fine. Une lettre de Mme Fry adressée à la baronne Pelet, le 27 février 1841, met le sceau de la vérité sur sa conversion.

Lettre de Mme Fry à la baronne Pelet, du 27 février 1841.

Je pense, chère amie, que vous apprendrez avec plaisir qu’A. J. continue à se conduire de la manière la plus satisfaisante. Elle me semble vraiment convertie. si humble, si industrieuse! elle aura bientôt acquitté toutes ses dettes; elle parle avec une vive reconnaissance des bontés qu’ont eues pour elle les dames de Paris pendant et après sa détention.

J’aimerais à savoir, ajoute Mme Fry, si votre Comité continue à prospérer; il me semble que l’exemple d’Annie est bien encourageant pour vous. Maintenant nous désirons vivement un récit détaillé de votre marche et serions charmées de recevoir votre rapport.

Une note insérée dans les comptes rendus du Comité nous apprend qu’Annie ne devait pas jouir longtemps de la paix et des douces affections qu’elle avait eu le bonheur de retrouver dans sa famille. «Le Comité a pu adoucir les derniers moments de cette malheureuse enfant, qui a fini dans la foi et la repentance une existence brisée par les horribles suites du péché.»

Cinquante années de visites à Saint-Lazare

Подняться наверх