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LE PSAUTIER DE RENÉE

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En 1845, ces dames rencontrèrent à Saint-Lazare une certaine Renée B..., âgée de vingt-cinq ans, dont les aventures semblent tenir du roman plus que de la vie réelle: roman odieux, mais étrange. Cette fille raconte qu’un psautier constitue tout son état civil, toute sa famille, toute sa fortune! Elle a été abandonnée par sa mère, dit-elle, à l’âge de six ans, dans un bois près de Chambord; dans sa poche était le psautier qu’elle a toujours précieusement conservé. Recueillie par une femme pendant deux années, elle a gardé des dindons, puis elle a été emmenée à Nantes par des voleurs. A Nantes, abandonnée dans la rue, elle a été mise aux orphelines; elle s’est échappée de l’hospice, elle a servi en qualité de domestique, puis elle a vécu pendant neuf ans avec un individu qui lui a fait apprendre à lire. Elle est arrêtée à Orléans en janvier 1844, pour vol et vagabondage: condamnée à quinze mois de détention et cinq ans de surveillance, elle est transférée dans la maison centrale de Clermont. A l’expiration de sa peine, au lieu d’aller passer à Angers, séjour que la police lui avait désigné, ses cinq années de surveillance, elle est venue se placer à Paris chez un gargotier, place du Pont-Saint-Michel. Dans cette maison, elle est arrêtée pour rupture de ban et entre à Saint-Lazare. Le psautier français laissé par la mère de Renée la fonde à croire qu’elle est protestante. Elle fait des recherches pour retrouver ses parents: en prison elle se déclare protestante, et à sa libération elle consent à toutes les conditions du Refuge où elle entre. Elle ne reste dans cet établissement que quatre mois au plus. On la place chez l’agent du Comité. Elle s’afflige de coûter tant d’argent à ces dames et travaille à l’aiguille pour diminuer les frais qu’elle occasionne.

Un beau jour, ayant éprouvé je ne sais quelle contrariété, elle sort avec le projet de se jeter à la Seine. Un attroupement se forme autour d’elle, quand une dame D..., garde-malade, de Genève, l’emmène chez elle, «voyant qu’elle était protestante.» L’agent du Comité s’offre à la reprendre; elle s’y refuse, et en 1851 nous la retrouvons domestique chez un marbrier qu’elle finit par épouser. Alors se passe un fait odieux: Renée est prise en flagrant délit d’adultère. A la requête de son mari elle est arrêtée, et le tribunal la condamne à un an de prison. Son complice se pend. Au bout d’un an, Renée sort de prison: elle veut se venger de son mari, essaie de le tuer, et regrette de n’y avoir pas réussi. Le ménage se sépare, mais Renée conserve l’espérance de rentrer sous le toit conjugal. Elle entre de nouveau au Refuge et s’en fait expulser encore une fois: elle avait été reconnue dangereuse pour ses compagnes. Sa santé est ébranlée par sa vie de désordres, elle tombe malade et passe plusieurs mois à l’hôpital Saint-Antoine, d’abord comme malade, ensuite comme fille de service. Mais l’hôpital ne peut la garder plus longtemps. La voilà rentrée sous la direction du Comité, qui la réintègre chez son agent jusqu’à ce qu’on trouve à la placer convenablement.

On lui cherche une place chez un jardinier.

Elle promet, si son mari veut la reprendre, de faire ce qu’il désire. Elle s’aveugle tellement sur ses torts qu’elle assure que son mari a conçu d’injustes soupçons sur sa conduite, d’après de faux rapports, et elle veut se défendre contre lui et demande un avocat. En 1853, comme elle était encore en prison pour ses nombreux méfaits, elle reçoit de son mari une lettre des plus tendres. En réponse, elle lui promet de voler auprès de lui dès qu’elle sera en liberté.

Mais Renée était incorrigible; il serait fatigant de la suivre dans ses nombreux séjours à Saint-Lazare, où elle revient sans cesse pour de petits vols et des coups et blessures. «Elle y arrivait toujours avec sa Bible dans la poche.» Elle a fini femme de ménage chez un pasteur; du moins, c’est ce qu’il nous semble découvrir après avoir consulté les registres de l’œuvre.

L’histoire de Renée donne quelque idée de la manière de travailler des membres du Comité et nous montre leur persévérance dans l’accomplissement de leur tâche. Il est consolant de penser que Renée a fini sa vie d’une façon paisible.

Cinquante années de visites à Saint-Lazare

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