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Mlle DUMAS


III.

Table des matières

L’ASSOCIATION

1848-1870-1871

MADEMOISELLE DUMAS

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Avec les dernières détenues et la visite à Clermont, nous sommes arrivés, guidés par les registres de l’Œuvre, à l’année 1846. En 1847 quelques pasteurs viennent prêter leur concours aux dames de l’Association, qui continuèrent régulièrement leur service jusqu’en 1848. A chaque page des registres, nous lisons le nom de Mlle Dumas; sur elle repose tout le travail et toute la responsabilité.

Cette amie incomparable me pardonnera de révéler ici la date de sa naissance, 26 décembre 1792, et de rappeler que sa famille est une ancienne famille de huguenots, obligée à fuir la France au moment de la révocation de l’édit de Nantes. Par suite de cette circonstance, Mlle Dumas est née à Hambourg. Elle revint en France avec ses parents lorsque, la liberté de conscience étant assurée, beaucoup de protestants eurent le bonheur de rentrer dans leur patrie.

La baronne Pelet écrivait un jour à MlleDumas: «Que Dieu est puissant et miséricordieux de vous conserver la faculté du bien que vous faites à votre famille, à tant de malheureux! Ils doivent tous s’unir à vos amis pour implorer de nouvelles bénédictions sur vous et sur les vôtres. C’est en le lui demandant du fond de mon cœur que je vous serre la main.» Il nous est permis de nous associer, avec le sentiment de la plus tendre et profonde affection, à ces paroles d’autrefois. Ces paroles n’ont pas vieilli, elles restent toujours vraies, puisque pendant cette longue période de cinquante années, Dieu a conservé à notre vénérable présidente toutes ses facultés du bien. Il ne m’appartient pas de dire ce qu’elle a été pour le père auquel elle a consacré les années de sa jeunesse et de son âge mur, le dévouement avec lequel elle s’est associée à l’établissement de salles d’asile et d’écoles protestantes dans le faubourg Saint-Marcel, au sein d’une population ouvrière nombreuse et dépourvue de ressources intellectuelles et religieuses. Elle demeurait rue de Paradis, mais afin de s’occuper avec plus d’assiduité des enfants des classes dont elle avait l’inspection, elle avait conservé une chambre à la montagne Sainte-Geneviève et elle venait fréquemment y passer plusieurs jours de suite.

Mais nous nous occupons des prisons et nous ne devons pas nous écarter de notre sujet. Par ses conseils, par ses prières et par sa présence, Mlle Dumas a soutenu tous les jours l’œuvre de Saint-Lazare. C’est grâce à elle que la tradition primitive s’est conservée.

Elle a veillé avec une fidélité surprenante à l’accomplissement du programme que Mme Fry avait tracé, et je ne sais qui doit éprouver pour elle une reconnaissance plus profonde, des détenues, auxquelles elle a fait sans se lasser tous les jours, pendant cinquante ans, tant de bien, ou des dames du Comité, pour lesquelles elle s’est sans cesse montrée l’amie la plus fidèle, la plus indulgente et la plus sage.

Le journal le Temps consacrait il y a quelques mois à la présidente de l’Œuvre des prisons un article dû à la plume de M. Hugues Le Roux. Cet article a été reproduit en Suisse, il a été traduit en Angleterre et aux États-Unis, et nous né croyons pouvoir mieux faire que d’en citer quelques passages:

On m’avait parlé, à Saint-Lazare, avec une admiration et une reconnaissance profondes, de la présidente actuelle de l’Œuvre protestante des prisons de femmes, Mlle Dumas. J’ai voulu la voir et lui apporter le témoignage de mon respect.

Figurez-vous, à l’entresol, rue Hauteville, un appartement d’une austérité effrayante. Une chambre sans feu, avec des rideaux de serge verte, arrêtés à mi-hauteur des fenêtres. Dans un coin, un lit de fer, étroit comme un lit d’écolier, recouvert, lui aussi, d’un rideau de serge. Une table et un bureau occupent presque toute la pièce. Derrière ce bureau, l’œil vif, encore droite, une femme de quatre-vingt-seize ans. Les cheveux blancs s’échappent d’un petit châle qui coiffe la tête et tombent, demi-courts, sur les oreilles. D’une main encore ferme, Mlle Dumas écrit sa volumineuse correspondance. J’ai vu sur la table du directeur de Saint-Lazare des lettres d’elle, singulièrement précises et nettes.

A quatre-vingt-quinze ans, Mlle Dumas allait encore visiter les prisonnières auxquelles elle a consacré sa fortune et sa vie. Voici un trait qui vous donnera tout seul une idée de sa charité : sur ses quatre-vingt-deux ans, cette amie des malheureuses a appris l’espagnol, pour adresser des consolations à une jeune femme andalouse qui n’entendait pas le français.

— Et si je vous contais, m’a dit une des sœurs de la prison, que pas une de nos femmes ne sort sans chemise et sans souliers, grâce à la charité de cette sainte!

RÉVOLUTION DE 1848

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Les journées de 1848 firent sentir leur contrecoup dans la prison de Saint-Lazare; la rue du faubourg Saint-Denis était dépavée, les environs de la prison, la rue du faubourg Poissonnière, etc., étaient hérissés de barricades que gardaient les émeutiers. Ces derniers ne laissaient pas volontiers circuler les gens; cependant Mlle Dumas se rendit à la prison et put, aidée par eux, franchir les obstacles et y arriver. La prison était vide; toutes les détenues avaient été mises en liberté ; une seule femme refusa de s’en aller et passa les jours de trouble, jusque vers le 15 mars, seule habitante de la maison, qui lui appartenait en entier. A la fin de mars, la prison commença à se peupler de nouvelles détenues; Mlle Dumas reprit immédiatement son travail. A partir de la fin de mai, la population de Saint-Lazare revint à son chiffre habituel.

Le 1er janvier 1850, les surveillantes laïques furent remplacées par les sœurs. Mlle Dumas se hâta de profiter de l’arrivée des religieuses, qui réclamaient une chapelle pour leur usage personnel, et demanda que le culte protestant fût célébré dans une salle qui serait exclusivement réservée à cet usage. Elle obtint de l’administration le petit oratoire dont le comité a toujours conservé la jouissance depuis cette époque. L’oratoire est une longue cellule étroite, éclairée par une fenêtre, munie de barreaux; des cloisons séparent les bancs en trois compartiments distincts pour les trois divisions des détenues. Vis-à-vis des bancs se trouve une petite chaire basse qu’occupe le pasteur, lorsqu’il vient le dimanche matin faire le service. Contre la muraille une grande croix, et quatre cadres dans lesquels sont clairement inscrites les paroles du Décalogue, de l’Oraison dominicale et du Symbole des Apôtres. Plus d’une fois le regard de la prisonnière s’arrête sur le texte de la loi divine: «Tu ne déroberas point, — tu ne tueras point.» Il y a en elle un tressaillement à peine perceptible, qui n’échappe pas à la dame visiteuse et qui lui fait comprendre que la conscience endurcie a reçu un avertissement.

Sous l’Empire, le Comité a continué régulièrement son œuvre. En 1854, un Refuge fut ouvert par les soins du Comité dans les environs de Paris, en faveur des détenues libérées . Les femmes devaient s’y employer à la confection des gants, d’objets de lingerie, au jardinage, à la basse-cour; on espérait que cet «asile champêtre» attirerait beaucoup de brebis perdues. En 1856, le Comité entreprit l’œuvre des enfants. Voici à la suite de quelle circonstance: une pauvre femme, prisonnière à Saint-Lazare, avait été transférée dans un hôpital. Elle y mourut en rendant grâces à Dieu du bien qui avait été fait à son âme par les visites de ces dames, qui l’avaient consolée dans sa détresse; elle leur léguait sa fille, âgée de sept ans. Bien des cas analogues se sont présentés et la famille d’adoption s’est rapidement accrue.

Le siège de Paris et la commune n’ont causé d’interruption ni dans le culte du dimanche ni dans les visites à la prison; les registres de l’Œuvre ne font presque pas mention de ces événements; ce silence n’est-il pas significatif? Le Comité ne sait qu’une chose: son œuvre; le reste, événements politiques, désastres de la guerre, convulsions populaires, il veut les ignorer et n’avoir ni opinions politiques ni appréciations des événements qui se déroulent au dehors.

Mlle Dumas n’avait pas quitté Paris; elle n’a pas cessé un seul jour de remplir sa tâche. Le 19 mars 1871, Saint-Lazare tombait au pouvoir de la commune, et un individu, nommé Hesse, fut délégué à la direction de la prison par Raoul Rigault. Les gardes nationaux remplacèrent les gardiens, les religieuses partirent, et Mme Le Chevallier, depuis longtemps inspectrice générale des prisons, fut chargée d’organiser le service à l’aide de laïques. Du reste, elle ne changea rien au régime de la prison. La terrible semaine approchait. Un dimanche, Mlle Dumas apprit que l’aumônier lui-même, l’abbé Michel, venait de quitter Saint-Lazare. Il était parti le matin vers six heures.

Malgré ce que cette nouvelle pouvait faire craindre, elle continua de s’acquitter de son travail, même après que les sœurs de Picpus eussent été incarcérées, ainsi que la cousine de l’archevêque de Paris.

Voici quelques notes du registre de l’Œuvre se rapportant à l’époque du siège de Paris et aux jours de la Commune:

4 septembre 1870. — Le directeur, entouré des greffiers et des surveillants, m’a dit: Mademoiselle vous êtes entrée à Saint-Lazare sous l’Empire, et vous sortez sous la République.

24 octobre 1870. — Vingt-quatre Allemandes, arrêtées pour délits politiques, signaux aux Prussiens.

23 octobre 1870. — Les Prussiennes sont recueillies par le ministre Washburne et placées au couvent des sœurs de la Croix. Les Bavaroises ont demandé à rester à Saint-Lazare.

22 janvier 1871. — Donné deux francs aux femmes afin d’acheter du vin et du sucre, ce qui fait leur nourriture, avec du pain de mauvaise qualité.

Janvier 1871. — Le directeur accorde du lait de vache pour l’enfant G.

12 février 1871. — On a proposé aux Allemandes de sortir; quatre ont demandé à rester en attendant des temps meilleurs.

Mars 1871. — Pas de messe aujourd’hui. La sœur S. trouve qu’il n’est pas juste que les protestantes aient un culte, les catholiques étant privées de la messe.

2 avril 1871. — Rameaux. La messe a été tolérée et dite. Baptême de l’enfant de G.; M. le pasteur Vallette est venu baptiser l’enfant. Quinze détenues ont assisté au culte.

9 avril 1871. — Pâques. Reprise de la messe. Jeudi le secrétaire de la légation de S*** a fait mettre en liberté les détenues étrangères.

18 avril 1871. — Les sœurs sont remplacées par des laïques. Adieux de la sœur Placide, très émue. Les surveillantes de l’infirmerie disent qu’elles se regardent comme chargées d’un dépôt; elles ne connaissent pas Mme Le Chevallier.

26 mai 1871. — Quatre femmes catholiques de la seconde section sont mortes de frayeur.

«Les insurgés, dit Mlle Dumas, ont toujours été polis pour moi: je n’ai jamais eu de désagrément sur mon passage. Les archives de la prison ont été incendiées par les gens de la Commune.»

31 mai 1871. — Les insurgés ont quitté Saint-Lazare, et les soldats sont entrés. Le général Clinchant est logé dans l’appartement du directeur.

Lorsque l’armée victorieuse fut rentrée dans Paris, Saint-Lazare se referma sur les pétroleuses mises en état d’arrestation pendant la lutte: Mlle Dumas et une amie se rappellent avoir traversé, pour se rendre à la seconde section, la cour où 200 pétroleuses, l’air farouche, l’aspect sauvage, étaient entassées; la douloureuse impression qu’elles éprouvèrent ce jour-là, ne s’est pas effacée de leur mémoire et ne s’effacera jamais.

1er juin 1871. — Les prévenues et les jugées ont été appelées: le brigadier en a lu la liste; les petites jugées ont été libérées.

5 juin 1871. — Les religieuses de Marie-Joseph sont rentrées. La chapelle est rouverte.

25 juin 1871. — Six personnes nouvelles sont entrées comme insurgées; toute démarche en leur faveur est interdite.

2 juillet 1871. — Nous ne pouvons voir les insurgées que séparément. On les amène; nous les reconduisons dans leur section, afin qu’elles ne communiquent avec personne. Cela nous est expressémment recommandé. Cela nous oblige à faire quatre fois le service le dimanche.

Après ces jours néfastes, le Comité continua son œuvre dans les deux sections de la prison. Le travail, au milieu des prévenues, des jugées et des filles de la seconde section, fera l’objet des chapitres qui suivent.

Cinquante années de visites à Saint-Lazare

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