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L’INCENDIE DE MOSCOU

(1571)

Moscou était au seizième siècle une ville de trois lieues et demie de circuit, ou plutôt une agglomération de maisons en bois mal construites et mal alignées. Les rues, plantées d’arbres, n’étaient pas pavées et devenaient si fangeuses en temps de pluie qu’on n’y pouvait passer qu’acheval. «Il y avoit tant en la ville qu’ès fauxbourgs et au chasteau cinq mille cinq cens temples, quasi tous comme des chapelles: plusieurs construits avec grands arbres rangés l’un sur l’autre; et avoient des hautes tours de bois, sans fer ni pierre, fort bien faites.»

En 1570, la peste se déchaîna sur Moscou ou Moscovv et causa la mort de 250 000 personnes. L’année suivante (15 mai 1571), la ville fut incendiée par les Tartares.

Le récit de cet incendie nous a été conservé par un marchand des Pays-Bas qui avait voyagé en Moscovie au seizième siècle. Cette curieuse narration, citée par Simon Goulart, mérite d’être en partie reproduite. Après une digression sur la peste de 1570, le voyageur s’exprime en ces termes:

«Ceste misère extreme fut suivie l’an d’après d’une ruine estrange, le quinziesme jour de may. L’occasion fut que l’Empereur des Tartares, mal content de ce que les Moscovites ne lui payoyent plus certain tribut annuel, et entendant d’autre part que le Grand Duc (de Moscovie), par ses tyrannies et massacres, avoit tellement desfriché ses païs, que la résistance ne seroit grande de ce costé, le somma de payer le tribut. Mais le Duc ne respondit qu’outrages et mocqueries. Au moyen de quoy le Tartare partit de ses pays environ la fin de février, suyvi d’une armée de cent mille chevaux, qui en deux mois et demi firent près de cinq cens lieues d’Alemagne. Estans à deux journées près des frontières du Duc, il délibéra leur aller au devant, et de fait leur donna bataille: mais il la perdit, avec une horrible desroute et carnage de ses gens. Le Duc conoissant que le Tartare le cercheroit, s’enfuit à grandes journées au plus loin qu’il peut. Il n’estoit qu’à neuf lieues de Moscovv, quand les Tartares vindrent ceindre la ville, estimans qu’il y fust. Ils mirent le feu par tous les villages d’al’ environ: et voyans que la guerre tireroit trop en longueur pour eux, résolurent de brusler ceste grande ville, ou du moins les fauxbourgs d’icelle. Pour cest effect, ayans disposé leurs troupes tout autour, ils mirent le feu par tout, tellement que c’estoit un cercle enflammé. Adonc s’esleva un tourbillon de vent si furieux qu’en moins de rien il poussa de toutes parts les chevrons et longs arbres allumez des fauxbourgs en la ville. L’embrazement fut si soudain que personne n’eut loisir de se sauver, sinon à l’endroit où il se trouvoit tout à l’heure. Les personnes bruslées de cest embrazement montèrent à plus de deux cens mille: ce qui avint par ce que les maisons estoyent toutes de bois, et mesme le pavé tout de grands sapins arrangez, qui étant huileux rendirent l’embrazement extrême: tellement qu’en l’espace de quatre heures la ville et les fauxbourgs furent entièrement consumez. Moi et un jeune homme de La Rochelle, mon trucheman, estions au milieu du feu dedans un magazin tout voulté de pierre, merveilleusement fort, dont la muraille avoit trois pieds et demi d’espaisseur, et n’avoit ouverture que de deux costez: l’un par où l’on entroit et sortoit, qui estoit une assez longue allée, en laquelle il y avoit trois portes de fer, distantes l’une de l’autre environ six pieds. De l’autre costé y avoit une fenestre ou creneau, muni de trois huis de fer, à demy pied l’un de l’autre, lesquelles ouvertures nous bouschasmes par dedans au moins mal qu’il nous fut possible: ce néantmoins il y entra tant de fumée, que c’estoit plus que trop pour nous estouffer, n’eust été qu’avions un peu de bière, dont nous nous refraischissions de fois à autre. Plusieurs Seigneurs et Gentils-hommes furent esteints ès caves où ils estoyent retirez, parce que leurs maisons faictes de gros arbres, venans à fondre soudain, accabloient tout; les autres réduites en cendres bouschoyent toutes ouvertures et emboucheures: tellement qu’à faute d’air les enfermez périssoyent. Les pauvres paysans qui s’estoient sauvez de vingt lieues à la ronde avec leur bestail, voyans l’embrazement, se jettèrent en la plus grande place de la ville, laquelle n’est pavée de bois comme les autres: néantmoins il y furent tous rostis, de telle sorte qu’un homme de la plus haute taille ne sembloit qu’un enfant, tant l’ardeur du feu les avoit retirez; et ce à cause des grandes maisons à l’environ.

«Chose la plus hideuse et effroyable à voir qu’il est possible de penser! En plusieurs endroicts d’icelle place les hommes estoyent par hauts monceaux plus de demie picque; ce qui m’estonna merveilleusement: ne pouvant comprendre comme ils estoyent ainsi entassez les uns sur les autres.

«Cest horrible embrazement fit tomber la pluspart des creneaux des murailles de la ville, et crever aussi toute l’artillerie qui estoit sur icelles murailles faites de brique à l’antique, avec creneaux, sans rempars ni fossez à l’entour. Plusieurs s’estans sauvez là au long, y furent néantmoins rostis, tant le feu estoit véhément: entre autres beaucoup d’Italiens et de Wallons de ma conoissance. Tandis que le feu dura il nous sembloit qu’un million de canons tonnoyent ensemble, et ne pensions qu’à la mort, estimans que le feu dureroit quelques jours: à cause du grand pourpris du chasteau, de la ville, et des fauxbourgs. Mais tout cela fut dépesché en moins de quatre heures: en fin desquelles, le bruit s’amortissant, il nous print envie de voir si les Tartares estoyent entrez, desquels nous n’avions pas moins de peur que du feu.... Ayans escouté quelque peu, nous entendismes courir à travers la fumée deçà et delà quelques. Moscovites qui parloyent de murer les portes pour empescher l’entrée aux Tartares qui attendoyent que le feu fust du tout esteint. Moy et mon trucheman sortis du magazin, trouvasmes les cendres si chaudes qu’à peine osions-nous marcher: mais la nécessité nous contraignant, nous courusmes vers la principale porte, où nous trouvasmes 25. ou 30. hommes reschappez du feu, avec lesquels en peu d’heures nous murasmes ceste porte et les autres, et fismes le guet toute la nuit avec quelques harquebuzes garanties de l’embrazement..... Le 25. de may sur le soir, comme nous attendions en grande perplexité ce que les Tartares entreprendroyent contre nous, qui estions au nombre de quatre cens ou environ dedans le chasteau, les Tartares, ausquels nous avions fait une salve d’harquebuzades, et abatu quelques uns qui s’estoyent approchez trop près d’une des portes du chasteau, commencèrent à tourner visage droit vers le chemin par où ils estoyent venus, de telle vistesse que le lendemain matin tout ce torrent fut escoulé .»

Les grands incendies

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