Читать книгу Les grands incendies - Maxime Petit - Страница 17

Оглавление

XIII

Table des matières

L’INCENDIE DU PALATINAT

(1689)

A l’extinction de la branche palatine de Simmeren (1685), Philippe-Guillaume, de la branche de Neubourg, fut mis en possession de l’Électorat. Le duc d’Orléans, qui avait épousé la sœur de Charles, dernier Électeur de la branche éteinte, revendiqua les fiefs féminins de la succession .

L’opposition de Philippe-Guillaume, dans cette circonstance, déplut à Louis XIV, frère du duc d’Orléans, et le roi de France, irrité d’ailleurs de la formation de la ligue d’Augsbourg et désireux de défendre principalement la ligne du Rhin, envoya dans le Palatinat une armée chargée de n’en rien laisser subsister. L’incapable Chamlay avait eu le premier la pensée de vouer cette région à une ruine générale.

Philipsbourg fut pris en 19 jours, Manheim en trois (11 novembre 1688), Fraukenthal en deux. Spire, Trêves, Worms et Oppenheim ne firent aucune résistance (15 novembre 1688).

Lorsque Louvois apprit la prise de Manheim, il écrivit à l’intendant La Grange :

«Je vois le roi assez disposé à faire raser entièrement la ville et la citadelle de Manheim, et en ce cas d’en faire détruire entièrement les habitations, de manière qu’il n’y reste pas pierre sur pierre qui puisse tenter un Électeur — auquel on pourrait rendre ce terrain pendant une paix — d’y faire un nouvel établissement... Sa Majesté ne juge pas encore à propos que ce projet vienne à la connaissance de personne.»

Les hésitations du roi durèrent peu, et Louis le Grand ne se montra jamais si petit que le jour où il ordonna l’incendie de Manheim et d’Heidelberg. «Les généraux français, dit Voltaire, qui ne pouvaient qu’obéir, firent donc signifier dans le cœur de l’hiver aux citoyens de toutes ces villes si florissantes et si bien réparées, aux habitants des villages, aux maîtres de plus de cinquante châteaux, qu’il fallait quitter leur demeure et qu’on allait les détruire par le fer et par les flammes. Hommes, femmes, vieillards, enfants sortirent en hâte, Une partie futerrante dans les campagnes, une autre se réfugia dans les pays voisins, pendant que le soldat, qui passe toujours les ordres de rigueur et n’exécute jamais ceux de clémence, brûlait et saccageait leur patrie (1689).»

M. de Montclar envoya chercher les magistrats de Manheim, et les avertit que bientôt leur ville n’existerait plus. De son côté, le comte de Tessé fit détruire Heidelberg.

< Je ne crois pas, écrivit-il à Louvois, que de huit jours mon cœur se retrouve dans sa situation ordinaire. Je prends la liberté de vous parler naturellement, mais je ne prévoyais pas qu’il en coûtât autant pour faire exécuter soi-même le brûlement d’une ville, peuplée, à proportion de ce qu’elle est, comme Orléans. Vous pouvez compter que rien du tout n’est resté du superbe château d’Heidelberg. Il y avait, hier à midi, outre le château, quatre cent trente-deux maisons brûlées; le feu y était encore. Le pont est si détruit qu’il ne pourrait l’être davantage. Je ne doute pas que M. l’intendant ne vous rende compte des meubles qui se sont trouvés dans le château que je lui ai fait remettre. Dieu merci, je n’ai été tentéde rien. J’ai seulement fait mettre à part les tableaux de famille de la maison Palatine: cela s’appelle les pères, mères, grand’mères et parents de Madame (duchesse d’Orléans), avec intention, si vous me l’ordonnez ou me le conseillez, de lui en faire une honnêteté, et les lui faire porter, quand elle sera un peu détachée de la désolation de son pays natal; car, hormis elle, qui peut s’y intéresser, il n’y a pas de tout cela une copie qui vaille douze livres. J’ai encore fait prendre dans la chapelle un grand tableau d’une Descente de croix qu’on dit qui est bon, mais je ne me connais point en tableaux; je voudrais de tout mon cœur qu’il fût dans la chapelle de Meudon.»

A la cour de Louis XIV, cette cour si brillante en apparence, mais si insignifiante lorsqu’on la considère sous son véritable jour, il n’y avait en effet que Madame, duchesse d’Orléans, qui déplorât la ruine du Palatinat. La pauvre femme croyait fermement qu’elle était seule le prétexte des horreurs commises par les généraux de Louvois, et elle tomba dans un accès de mélancolie trop sincère pour être compris de l’entourage du grand roi. Quant à Louvois, il écrivit à M. de Monclar qu’à son sens Heidelberg n’était pas assez complètement «brûlé et abîmé ».

Naturellement, Monclar s’excusa. Il avait fait son devoir, tout son devoir, et ce n’était certes pas sa faute si la ruine d’Heidelberg laissait à désirer: «Je me suis rendu aux portes de la ville avec les troupes que vous m’aviez ordonné de prendre, après leur avoir fait donner de l’avoine pour quatre jours, et n’en ai bougé qu’après avoir vu les châteaux, ponts et moulins entièrement abîmés et le feu par toute la ville, où je n’ai pas cru devoir entrer pour ne rien détourner, toutes choses m’ayant paru en bon train; et je vous prie de trouver bon que j’aie l’honneur de vous dire, que M. le comte de Tessé avait fait son devoir, ayant fait mettre le feu partout; mais qu’une grande ville comme Heidelberg, où il n’y avait aucuns fourrages, ne peut être brûlée dans si peu de temps, et qu’il aurait fallu pour cela pour le moins huit ou dix jours, et un plus grand corps de troupes que celui qu’il y avait. L’expérience de Manheim est une preuve de ce que j’ai l’honneur de vous dire: et s’il y a eu de la faute, c’est de n’avoir pas chassé tout le peuple avec violence hors de la ville, sans quoi l’on n’en serait jamais venu à bout. Quoique ledit Heidelberg soit insultable de tous côtés et hors d’état de défense, l’on ne saurait néanmoins y marcher présentement sans toutes les troupes qui sont de ces côtés-ci, à cause de la garnison qu’il y a et des troupes qui sont en mouvement. Si après le rasement de Manheim, la chose est encore faisable, j’y marcherai moi-même pour exécuter les ordres de Sa Majesté.»

La réponse de Louvois ne se fit pas longtemps attendre:

«Le moyen d’empêcher que les habitants de Manheim ne s’y rétablissent, c’est, après les avoir avertis de ne le point faire, de faire tuer tous ceux que l’on trouvera vouloir y faire quelque habitation.»

Manheim et Heidelberg détruits, on résolut de ruiner également Spire, Worms et Oppenheim. Le duc de Duras estima que, pour gagner du temps, il importait de brûler ces villes au lieu d’en démolir les maisons. Aussi envoya-t-il M. de la Fond dans chacune d’elles, avec mission de faire assembler les magistrats et de les avertir de la résolution que le roi était obligé de prendre pour empêcher les ennemis de s’emparer de Spire, Worms et Oppenheim. Louis XIV accordait quelques jours aux habitants pour leur permettre de retirer leurs meubles et leur proposait des établissements avec franchises en Alsace, en Bourgogne ou en Lorraine. Ces précautions prises, «le feu serait mis partout», et après l’incendie «on abattrait les pignons et les murailles» laissés intacts par le feu.

Le 26 mai, les habitants des trois villes menacées commencèrent à enlever leurs effets et leurs meubles: Duras envoya Monclar à Worms, Tilladet à Spire, Coignies à Oppenheim. Chacun de ces chefs était chargé de presser «autant qu’ils pourraient» la sortie «des bourgeois ».

Cinq jours après, Oppenheim et Worms étaient entièrement brûlées. Le 1er juin on mettait le feu à Spire, le 4 juin on incendiait Bingen. La magnifique cathédrale de Worms ne fut même pas épargnée.

Les populations, traquées comme des bêtes fauves, réduites à la misère, privées de tout, finirent par se révolter. Ce résultat, si facile à prévoir, remplit d’étonnement M. de Chamlay, qui écrivit à Louvois (29 août):

«M. de Mélac revint hier au soir sans avoir rien fait; il a trouvé tout le pays des Deux-Ponts armé et plein de chenapans qui tiraient sur lui de tous les buissons et de tous les passages. Il faut absolument mettre ces peuples-là à la raison, soit en les faisant pendre, soit en brûlant leurs villages. Jamais, dans les guerres précédentes les plus aigries, il n’y a eu un déchaînement pareil à celui de ces maudits paysans-là. Une chose qui doit surprendre est qu’ils ne veulent pas de quartier, et quand on n’a pas pris la précaution de les désarmer en les prenant, ils ont l’insolence de tirer au milieu d’une troupe.»

Tel fut l’incendie du Palatinat. C’est avec intention que l’on s’est appuyé dans ce récit sur les lettres de ceux qui ont commis ou fait commettre ces scènes de barbarie, sans y être forcés par les nécessités de la guerre. Les incendiés firent frapper une médaille commémorative ayant pour exergue: Securos sic tractat Gallus amicos. Est-ce bien la nation française, le français, Gallus, qui est responsable de tant d’horreurs? Est-ce bien le mot Gallus qu’il fallait employer, et la devise ne serait-elle pas plus exacte, conçue en ces termes: Securos sic tractat Rex Ludovicus amicos?

Les grands incendies

Подняться наверх