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XIV

Table des matières

L’INCENDIE DE MOSCOU

(1812)

Lorsque l’armée française fut arrivée devant Moscou, Murat reçut l’ordre d’entrer dans la ville. Le roi de Naples, suivi de son état-major et d’un détachement de cavalerie, s’enfonça dans les rues solitaires de l’ancienne capitale des czars: conformément aux ordres du gouverneur, Rostopchin, la population presque tout entière avait fui, et Moscou présentait cet aspect morne, silencieux et triste qu’ont les cloîtres, les ruines ou les déserts. En effet, Rostopchin, après avoir répandu les bruits les plus faux sur la prétendue faiblesse des armées françaises, après avoir publié que Napoléon voulait anéantir le peuple orthodoxe, avait conçu le dessein d’ensevelir l’armée victorieuse sous les décombres de Moscou envahie. En apprenant l’issue de la bataille de Borodino, les Russes avaient levé le camp de Fili, et Kutusof s’était porté au sud, de manière à communiquer avec les corps de Tchitchagof et de Tormasof. Le gouverneur avait de son côté ordonné aux habitants d’évacuer leurs demeures à l’instant même, et enjoint aux prisonniers de mettre le feu aux maisons à l’aide de torches, de fusées et de pétards.

Murat fut saisi d’étonnement à la vue de cette solitude. Craignant quelque surprise ou quelque embûche, il s’avança lentement, espérant qu’une députation allait venir implorer la clémence de l’empereur.

Près du Kremlin stationnaient des groupes de Cosaques, de soldats, d’hommes du peuple; et des bandits, agents de Rostopchin, tirèrent plusieurs coups de fusil sur l’avant-garde, qui vint promptement à bout des agresseurs.

Les Français, de plus en plus méfiants, continuèrent leur marche avec les mêmes précautions, et ce fut seulement à sept heures du soir que les troupes purent bivouaquer. Napoléon s’arrêta à l’entrée du faubourg pour y attendre une députation des habitants: ne la voyant pas venir, il envoya aux renseignements des officiers polonais, qui apprirent la fuite des seigneurs et des fonctionnaires de Moscou. On réunit donc à la hâte des marchands étrangers et on les conduisit devant l’empereur. «Les Russes, dirent-ils au monarque, ont abandonné Moscou; il n’y est resté que quelques étrangers comme nous qui s’adonnaient au commerce, et quelques individus des dernières classes du peuple. Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour le service de Votre Majesté, et nous la supplions de nous accorder sa protection.»

L’orgueilleux empereur, blessé dans sa vanité, ne répondit rien à ces paroles, et entra aussitôt dans la ville, pendant que les soldats visitaient les maisons abandonnées, pour se procurer des aliments (15 septembre 1812). Déjà, l’on se croyait maître des richesses de Moscou, lorsqu’un incendie se déclara dans le magasin des spiritueux. Il n’y avait là rien de bien extraordinaire; mais quand on vit le feu dévorer aussitôt après l’agglomération de bâtiments appelée le Bazar et située au nord-est du Kremlin, quand les tissus de l’Inde et de la Perse; les denrées de toute sorte furent perdus sans retour, on commença à trouver étranges ces deux accidents successifs.

Excité par le vent d’équinoxe, le feu se propagea vers l’ouest dans les rues comprises entre les routes de Tver et de Smolensk. Les constructions en bois, alors si nombreuses à Moscou, n’étaient pas faites pour mettre un terme à l’embrasement; aussi, les quartiers de l’ouest restèrent-ils debout très peu de temps. Des. incendiaires pris sur le fait et menacés de mort avouèrent qu’ils agissaient de la sorte à l’instigation de Rostopchin. Plusieurs d’entre eux furent tués, sur place, d’autres condamnés à être fusillés, par une dommission militaire créée tout exprès pour les juger. Leurs cadavres exposés dans les rues ou attachés à des poteaux contribuèrent à augmenter l’horreur de la situation.

Dès que Napoléon connut la véritable cause de l’incendie, il donna à ses officiers l’ordre d’organiser les secours. Malheureusement, les pompes avaient été éloignées; puis le vent, se déplaçant sans cesse sous l’influence de l’équinoxe, portait les flammes de tous côtés. «Cette immense colonne de feu, rabattue par le vent sur le toit des édifices, les embrasait dès qu’elle les avait touchés, s’augmentait à chaque instant des conquêtes qu’elle avait faites, répandait avec la flamme d’affreux mugissements, interrompus par d’effroyables explosions, et lançait au loin des poutres brûlantes qui allaient semer le fléau où il n’était pas, ou tombaient comme des bombes au milieu des rues.» Après avoir soufflé du nord-ouest pendant quelques heures, l’air commença à se mouvoir dans la direction du sud-ouest, et le Kremlin lui-même, rempli de poudre, d’étoupes, de caissons de munitions, fut exposé aux hasards de l’incendie.

A la hauteur des appartements occupés par Napoléon régnait un balcon, d’où l’empereur dominait la vieille cité et pouvait contempler la destruction d’une ville sur laquelle il avait fondé de si grandes espérances: «Moscou n’est plus, s’écria-t-il; je perds la récompense que j’avais promise à ma brave armée!» Cédant aux instances de ses généraux, incommodé par la chaleur que répandait l’embrasement et voyant qu’une pluie de feu tombait sur le Kremlin, il se décida à transporter son quartier général au château de Petrovskoé, sur la route de Saint-Pétersbourg. Il descendit sur le quai de la Moskova, et l’armée se replia sur les routes par lesquelles elle était venue, à l’exception toutefois de la garde, qui resta dans Moscou pour essayer de sauver le palais.

Jusqu’au 20 septembre, l’incendie exerça ses ravages avec une égale violence: les toits s’affaissaient, les façades s’écroulaient, les portes de fer des boutiques tombaient avec un bruit sourd. «On entendait à la fois, dit M. de Chambray, le pétillement des flammes, l’affaissement des bâtiments, les cris des animaux qui y avaient été abandonnés, les gémissements des habitants, les imprécations du soldat ivre, disputant aux flammes une partie de leur proie. Le pillage et l’incendie marchaient de front; tous pillaient ou achetaient à vil prix les produits du pillage, et l’intérêt réunit plus d’une fois dans le même lieu l’habit brodé du général et l’humble habit du soldat. Le jour, des tourbillons de fumée s’élevant de toutes parts formaient un nuage épais qui obscurcissait la lumière du soleil; la nuit, les flammes, mêlées à ces tourbillons, répandaient au loin une sombre clarté.

Fig. 4. — Incendie de Moscou (1812).


«Le sort des habitants qui étaient restés dans Moscou devint affreux; obligés de fuir leurs maisons embrasées, ils erraient au milieu de cette ville, courbés sous le fardeau de leurs objets les plus précieux; et cherchant un asile. Dans cette situation déplorable, ils se voyaient exposés aux violences du soldat qui, après les avoir outragés et pillés, poussait quelquefois la barbarie jusqu’à les forcer de porter eux-mêmes au camp leur propre dépouille.» Napoléon avait en effet livré d’abord à ses soldats les quartiers incendiés, mais il revint sur cette mesure, lorsqu’il vit les recherches dégénérer en scènes de désordre.

Enfin, la pluie succédant tout à coup à l’ouragan, amortit, puis éteignit le feu qui n’avait épargné qu’un cinquième de la ville (20 septembre). Le Kremlin, cerné par les militaires et naturellement préservé par son enceinte, resta intact. Quelques maisons des faubourgs et le quartier des marchands étrangers échappèrent seuls à la ruine; tout le reste de Moscou, moins les églises, était couvert de cendres, de briques, de feuilles de tôle, de débris fumants, de cadavres défigurés ou calcinés, et au milieu de ces décombres se dressaient des pans de murailles, des arbres à demi consumés.

Pendant ce temps, les Russes entendaient au loin les mugissements du vent et voyaient les lueurs de l’incendie. Rostopchin faisait courir le bruit de ce désastre dans les rangs de l’armée; il accusait ouvertement les Français et excitait ainsi l’indignation de nos adversaires.

L’incendie de Moscou, malgré les objections patriotiques qu’on peut alléguer en sa faveur, fut une mesure impolitique et inutile. L’armée française restant à Moscou aurait infailliblement péri faute de vivres, tandis qu’en brûlant la ville, on risquait d’obliger l’empereur à opérer une retraite heureuse avant l’entrée de l’hiver. Si Napoléon ne voulut pas mettre à profit le temps qui lui restait encore pour revenir tranquillement en France, s’il préféra temporiser et aboutir ainsi au terrible passage de la Bérésina, c’est qu’il voulait surtout conserver son prestige, et, comme dit Michelet, fonder la tradition qui nous perdit soixante ans plus tard.

Les grands incendies

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