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Michel Zévaco
BORGIA
XV. CONJONCTION

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Ragastens rentra dans Rome.

Il se dirigea vers l’hôtellerie du Beau-Janus. Comme il lon-geait une rue qui le conduisait directement à l’auberge, son pied heurta quelque chose qui était étendu sur le pavé.

– Qu’est-ce que cela ? murmura-t-il en se baissant. Un homme !… Un ivrogne peut-être ?… Ou un blessé ?… Eh ! l’homme, éveillez-vous, que diable !…

Le chevalier se baissa davantage et secoua l’homme qui ne bougea pas.

– Le pauvre est dans un triste état, pensa-t-il. Cependant, il n’est pas blessé… mes mains toucheraient du sang…

À la lueur indécise du jour qui commençait à filtrer entre les toits, Ragastens constata alors que l’inconnu était un jeune homme aux cheveux ondulés châtain foncé, au front large et bombé, à la figure expressive ; ce jeune homme était simplement évanoui, car le chevalier, en posant sa main sur la poitrine, sentit nettement les battements du cœur.

Il jeta les yeux autour de lui et s’aperçut qu’il n’était pas à vingt pas du Beau-Janus. Alors, il souleva l’inconnu, le chargea sur ses épaules et l’emporta.

Réveillé par quelques coups de pied vigoureusement distri-bués dans la porte, maître Bartholomeo, l’aubergiste, s’empressa d’ouvrir et, tout en prodiguant les exclamations et les Santa Ma-ria ! aida Ragastens à transporter le jeune homme, toujours éva-noui, jusque dans la chambre du chevalier.

Là, l’inconnu fut déposé sur le lit. Ragastens et son hôte se mirent à le frictionner, à lui frapper dans les mains et à bassiner ses tempes avec de l’eau fraîche.

– Serait-il mort ? fit Bartholomeo… Mais, ajouta-t-il tout à coup, je le connais ! Il vient quelquefois ici boire un fiasco de vin blanc et manger une murène, avec un de ses amis. C’est un peintre. Il s’appelle Raphaël Sanzio…

– Enfin ! murmura-t-il.

Le jeune homme ouvrait les yeux. Rapidement, il revenait à la vie.

– Êtes-vous mieux, monsieur ? demanda Ragastens.

– Merci… Oui, mieux… beaucoup mieux… Qui êtes-vous, je vous prie ?

– Chevalier de Ragastens, homme d’épée.

– Et moi, Raphaël Sanzio, peintre… Je vous remercie de vos bons soins, monsieur… Mais qui m’a porté ici ?…

– Moi-même… Je vous ai trouvé dans la rue, étendu tout de votre long et ne donnant plus signe de vie… à vingt pas d’ici…

Raphaël passa ses deux mains sur son visage. Un soupir rauque comme un sanglot souleva sa poitrine.

– Quel épouvantable rêve ! murmura-t-il.

Ragastens, cependant, l’examinait avec une vive sympathie. Il eût voulu savoir pourquoi le jeune peintre s’était évanoui… il eût voulu pouvoir lui offrir son aide… car tout, dans l’attitude du jeune homme, dénonçait la violente douleur qui le bouleversait.

– Monsieur, dit-il à Raphaël, je vois à votre visage que quelque tourment d’importance est cause de l’état où je vous ai trouvé… Peut-être puis-je disposer… du moins pour quelques heures encore… d’une certaine influence… Si quelqu’un peut vous venir en aide dans le malheur que semble annoncer votre mine affligée, je serais heureux d’être ce quelqu’un…

– Oui, fit-il doucement, après examen, je vois que je puis me fier à vous. Je sens en vous un ami…

D’un même mouvement spontané les deux hommes se ten-dirent la main et leur étreinte cimenta la sympathie mutuelle qui naissait de cette aventure.

– Monsieur, s’écria Ragastens, puisque vous voulez bien m’appeler votre ami, disposez de moi, je vous prie, et dites-moi en quoi je puis vous être utile.

– Chevalier, dit-il, vous voyez en moi l’homme le plus mal-heureux de Rome…

– Auriez-vous donc l’infortune d’aimer et de ne pas être ai-mé ? demanda-t-il machinalement.

Raphaël secoua la tête.

– J’aime, répondit-il, et je suis aimé… Mais mon infortune n’en est peut-être que plus grande. Mais vous-même, monsieur… au son de vos paroles, je vois que votre cœur souffre autant que le mien…

Le visage de Ragastens se crispa dans l’effort qu’il fit pour contenir une larme prête à lui échapper.

– Ah ! monsieur, s’écria Raphaël en joignant les mains, je vous plains de toute mon âme…

– L’aventure est plaisante, fit-il… c’est vous qui souffrez… c’est vous qui avez besoin d’aide, et c’est moi qui me plains, qui me fais consoler !… Ne parlons pas de moi… D’ailleurs, avec le caractère que je me connais, dans quinze jours, lorsque je serai loin d’ici, lorsque j’aurai repris ma vie errante au grand soleil, je n’y penserai plus…

– Vous allez donc quitter Rome ?…

– Au plus tôt ! répondit sans hésiter le chevalier… À moins que je ne puisse vous être vraiment utile… et, en ce cas, je retar-derai volontiers mon départ…

Ragastens parlait de bonne foi. Il était bien résolu à fuir. Et s’il ne s’avouait pas qu’il serait bien heureux de rester, de se rac-crocher encore à quelque vague espoir, c’est que cette pensée, en-fouie au fond de son cœur, ne se formulait pas encore en lui.

Raphaël reprit gravement :

– Je crois, monsieur, que votre secours me sera précieux… Pour lutter contre des ennemis que je ne connais pas, mais qui, sans doute, sont tout puissants, je suis seul… avec un ami… chez qui je me rendais…

– Parlez donc, en ce cas, et soyez sûr que mon aide ne vous défaut.

Raphaël se recueillit quelques instants. Il raconta tout à Ra-gastens : comment il était venu à Rome d’Urbin, sa ville natale, sur la recommandation du Perrugin, son maître. Comment il rencontra La Fornarina et celle qui l’avait recueillie. Il raconta son amour partagé, sa décision de prendre Rosita pour femme, celle de la Maga de précipiter, avant de fuir, ce mariage en se-cret. Il raconta ses préparatifs, dans la hâte de quitter Rome, son union à Rosita, à l’église des Anges, la nuit même. Au souvenir de la catastrophe qui suivit, Raphaël pâlit. L’angoisse mouillait son front.

– Courage ! lui dit Ragastens.

– Je vous jure qu’il m’en faut… Nous sortions de l’église, un peu après deux heures, et nous nous hâtions vers la porte Floren-tine où nous devions trouver une voiture lorsque, tout à coup, nous fûmes attaqués… Je reçus un coup violent à la tête et je per-dis connaissance… Lorsque je revins à moi, Rosita avait disparu… Je courus chez la Maga… elle n’était plus dans la maison du Ghetto !…

– Et que supposez-vous ?…

– Le sais-je ! s’écria Raphaël en contenant son désespoir. Rosita a été enlevée… Je pense que c’est là le danger dont me par-lait la Maga… Je pense que la Maga elle-même a dû être enle-vée… Mais par qui ?… À quels ennemis ai-je affaire ?… Que veu-lent-ils ?… Voilà le problème que je retourne en vain dans ma tête… En sortant de chez la Maga, j’ai voulu aller retrouver l’ami qui m’avait préparé une voiture… Mais la douleur a surpassé mes forces…

Ragastens avait attentivement écouté ce récit. Sanzio en avait prononcé les derniers mots d’une voix à peine distincte. Ra-gastens lui prit les mains :

– Courage ! répéta-t-il. Votre aventure est triste, cela est sûr… mais il n’y a rien de désespéré… Voyons : vous n’avez au-cune idée de ces ennemis ?

– Aucune, hélas !…

– Un rival, peut-être ?…

Raphaël fut secoué d’un frémissement.

– C’est cela qui me désespère ! s’écria-t-il. C’est cette pensée qui me brûle la poitrine et fait éclater ma tête… Ah ! vous avez vu juste… Il n’en faut pas douter. Il y avait quelqu’un qui aimait Ro-sita… La Maga l’a su… Elle m’a prévenu… trop tard !…

– Croyez-moi, reprit Ragastens ému, vous n’arriverez à triompher qu’à force de calme et de sang-froid…

Raphaël fit un geste d’accablement.

– Oui… avec du sang-froid seulement, vous verrez clair dans cette situation… Mettons les choses au pis. Supposons que votre Rosita a été enlevée par un rival… Elle vous aime, n’est-ce pas ?…

– Oh ! cela, du moins, j’en suis sûr !…

– Une femme qui aime est forte ! Les ressources de son es-prit se décuplent… Car vous n’imaginez pas que Rosita va accep-ter tranquillement la situation qui lui est faite… Sans doute elle sera surveillée… mais vous pouvez tenir pour certain que, dès maintenant, elle travaille à vous prévenir…

– Oh ! vous me rendez la vie !… Je n’avais songé à rien de ce-la !…

– D’autre part, comme je vous le disais, je puis disposer de quelque influence… Un grand seigneur de Rome me veut du bien… Il est vrai que je vais le quitter… Mais je ne doute pas qu’il consente à provoquer des recherches sérieuses.

Raphaël se leva et se jeta dans les bras de Ragastens.

– Vous me sauvez ! s’écria-t-il. Vous me sauvez double-ment… Et quand je songe qu’il y a une heure, vous m’étiez incon-nu, que vous pouviez passer près de moi sans me voir, quand j’examine le concours de circonstances qui fait de vous l’ami le plus inattendu, le plus précieux, je me sens renaître.

Ragastens sourit. Cette joie débordante qui était son œuvre, calmait un peu son propre tourment.

– Allez, reprit-il, et tenez-vous tranquille jusqu’à ce que je vous aie revu…

– Quand vous reverrai-je ? demanda ardemment Raphaël.

– Dans deux heures au plus tard… Dites-moi où je vous trouverai…

– Chez l’ami dont je vous ai parlé. Il s’appelle Machiavel et demeure dans la rue des Quatre-Fontaines, juste en face le mo-nument qui porte ce nom.

– Bien… Attendez-moi donc chez votre ami Machiavel… Et ayez bon espoir…

Les deux nouveaux amis se serrèrent la main et Ragastens, partit réconforté, plein d’espoir et de courage. Quant à Ragas-tens, il poussa un profond soupir et murmura :

– Il est bien heureux, lui… puisqu’il est aimé !

Borgia

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