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Michel Zévaco
BORGIA
XVII. UNE BONNE IDÉE DE PAPE
ОглавлениеAinsi, c’était Garconio qui avait enlevé Rosita… Ainsi, c’était sur l’ordre de Borgia que cet enlèvement avait été exécuté… Et c’est au Tivoli que la jeune femme avait été conduite. Ragastens, frappé d’une sorte de stupeur, se demanda de quels formidables bandits se composait décidément cette famille des Borgia, au service desquels il était venu s’engager !
Mais dans quel but cet enlèvement ? Il osait à peine l’imaginer. Et pourtant, ce mot de « Tivoli », qu’il avait saisi au vol, était presque un trait de lumière… Il se rappelait tout ce qui se disait à Rome sur cette maison de campagne du pape… il évo-quait les récits d’orgie et de débauche qu’on se chuchotait…
Il frémit en songeant à Raphaël qui lui avait inspiré si vite une si chaude amitié. Il fallait avant tout le prévenir.
Ragastens cherchait des yeux par où il pourrait s’éclipser sans attirer l’attention de César, lorsqu’une main douce saisit la sienne.
– À quoi pensez-vous, beau chevalier ?
Lucrèce était devant lui.
Ragastens fit un effort pour surmonter le frisson d’épouvante et de dégoût qu’il éprouvait. Il parvint à sourire.
– Que complotez-vous ? cria de loin César.
– Ce soir, à dix heures, au Palais-Riant, murmura Lucrèce. Je vous laisse votre chevalier, mon frère, ajouta-t-elle à haute voix. À bientôt, monsieur…
Le chevalier salua profondément pour cacher son trouble.
– Ma sœur est vraiment une femme de tête, n’est-ce pas ? dit César qui s’était approché et qui, familièrement, passa son bras sous celui de Ragastens.
– Un admirable ministre, monseigneur…
– Oui ! C’est elle qui expédie les affaires courantes, c’est elle qui reçoit les lettres, qui répond, qui reçoit même les ambassa-deurs… Mon père commence à se fatiguer… il a tant travaillé… Mais venez, chevalier, je veux vous présenter à lui… C’est pour cela que je vous attendais…
– Monseigneur… objecta Ragastens… plus tard, je vous en prie… Je ne suis pas préparé à cet honneur…
– Bah ! interrompit César en entraînant Ragastens, j’ai parlé de vous au pape ; il veut vous voir… Venez…
Ragastens suivit. Il bouillait d’impatience. Mais force lui fut de se contenir et de faire bon visage.
L’instant d’après, il se trouvait dans un cabinet qui n’était séparé de la salle des audiences que par une portière d’étoffe. De là, selon son habitude, Alexandre VI avait entendu tout ce qui se disait.
César traversa vivement ce cabinet et parvint enfin dans l’oratoire. Le pape était là, assis dans son grand fauteuil, un sou-rire bienveillant sur les lèvres…
D’un coup d’œil pénétrant, il chercha à juger Ragastens. Le chevalier s’inclinait, fléchissait le genou, selon l’étiquette. Mais déjà le pape lui avait saisi la main.
– Asseyez-vous, mon fils, dit-il avec une douceur et une af-fabilité qui déconcertèrent le chevalier ; ce n’est pas le Souverain Pontife qui vous reçoit, c’est le père de César et de Lucrèce. J’ai entendu mes deux enfants dire tant de bien de vous que j’ai désiré vous voir…
– Saint-Père, balbutia Ragastens, vous me voyez confondu de l’excès d’honneur et de bienveillance que Votre Sainteté veut bien me témoigner…
Alexandre VI vit parfaitement l’effet qu’il avait produit et un mince sourire de satisfaction narquoise passa sur ses lèvres.
– Remettez-vous, mon enfant, dit-il en accentuant encore la douceur de sa parole ; et veuillez, je vous prie, laisser de côté toute question d’étiquette… Si vous voulez m’être agréable, vous me parlerez avec la liberté qu’un fils peut avoir devant son père.
– J’essaierai de vous obéir, Saint-Père, répondit le chevalier en s’asseyant sur le fauteuil que le pape lui désignait.
– Ainsi, reprit Borgia, vous êtes venu en Italie pour prendre du service auprès de mon fils ?
– En effet, Saint-Père, j’avais cette intention…
– Il vous est permis d’en avoir d’autres encore, mon enfant… Tout nous prouve que vous êtes un de ces hommes intrépides qui, dirigés dans la voie du bien, peuvent accomplir de grandes choses…
– Ah ! mon père, s’écria César, si vous l’aviez vu le jour des funérailles de François !…
– Pauvre François ! murmura le pape en s’essuyant les yeux. Mais je n’ai pas le droit, hélas, de me livrer aux sentiments de ma douleur paternelle… Le souci de l’État passe avant mon deuil même… Ah ! Chevalier, vous ne savez pas de quelles tristesses s’entoure la puissance de ce monde.
À mesure que le pape parlait, Ragastens sentait son cœur se dilater… Celui-là, au moins, comprendrait son amour et n’essaierait pas de l’entraîner dans une lutte contre Primevère… Peut-être réussirait-il à l’attendrir sur cette jeune fille !… Un es-poir insensé entrait peu à peu dans son esprit.
– Saint-Père, dit-il avec émotion, vos douleurs sacrées ré-sonnent jusque dans mon cœur… Je supplie Votre Sainteté de croire que je lui suis tout dévoué…
– Je le sais, chevalier… Vous êtes un noble cœur, et si votre bras ne tremble pas dans le combat, votre âme contient des tré-sors de dévouement. J’ai voulu y faire appel, mon enfant, puisque vous me les offrez si spontanément…
– Mon père, fit vivement César, je me porte garant du che-valier de Ragastens… il est digne en tous points de la mission que vous voulez lui confier…
Ragastens tressaillit. Il était donc question d’une mission à lui confier ! On allait donc lui demander un signalé service, puisque le Souverain Pontife en personne prenait la peine de l’en entretenir !
La fortune lui souriait décidément ! Un concours de circons-tances dues à un heureux hasard lui permettait de servir loyale-ment ce bon vieillard et de sauver en même temps celle qu’il ado-rait.
Alexandre VI avait suivi sur le visage du chevalier, les pen-sées de dévouement qui germaient dans son cœur. Satisfait, cer-tain d’obtenir tout ce qu’il voudrait, il se recueillit quelques mi-nutes.
– Chevalier, dit-il alors, j’ai des ennemis… et ce m’est une profonde douleur, si près de la mort, de savoir que mes pensées sont méconnues, mes intentions travesties… J’ai, toute ma vie, essayé de lutter contre les grands pour me rapprocher des pe-tits… J’ai voulu réduire la force et l’insolence des princes pour faire plus belle la part des humbles, des déshérités, ou encore de ceux qui, comme vous, sont écartés de la haute noblesse, parce que leur escarcelle est vide. Et pourtant, c’est l’application de ces idées qui m’a valu tant d’ennemis puissants… Et encore, s’ils me combattaient loyalement… mais ils emploient contre moi les armes empoisonnées de la calomnie… ils répandent sur mes mœurs, ma vie et mes intentions, des bruits que je rougirais d’évoquer…
Ragastens, pensif, se rappela alors de quelle nature étaient ces bruits… On accusait couramment le pape des plus abomi-nables débauches… On disait qu’une invitation à dîner chez lui équivalait à une condamnation à mort… Frémissant, il songea à l’enlèvement de Rosita… L’entretien de Lucrèce et de Garconio lui traversa l’esprit comme un éclair. Il se perdait à vouloir sonder cet abîme de ténèbres… Comment croire que ce vieillard au vi-sage auguste était réellement le monstre qu’il avait pu supposer ?
Alexandre VI continua :
– Dieu a permis, mon enfant, que je pusse triompher de la plupart des méchants… Mais ils sont forts encore… et mes der-niers jours sont troublés par la pensée que mes ennemis finiront par l’emporter…
– Mon père, s’écria César, nous mourrons pour vous, s’il le faut… J’ai mes défauts, parbleu ! Je suis violent, et même bru-tal… mais par tous les diables, j’ai un cœur qui bat dans ma poi-trine !…
Cette sortie de César fit sur Ragastens un effet prodigieux. Le pape avait jeté sur son fils un regard d’admiration. Et cette admiration était justifiée. Car l’exclamation de César avait plus fait encore pour convaincre le chevalier que la savante diplomatie du pape.
– Monseigneur, reprit chaleureusement Ragastens, le jour où vous mourrez pour Sa Sainteté, nous serons deux !
– Chevalier, poursuivit aussitôt Alexandre VI, ce que je vais vous demander est beaucoup plus facile… Voici : parmi mes en-nemis, il en est un surtout qui ne veut désarmer à aucun prix…