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ACTE IV Scène 1
ОглавлениеLélie, déguisé en Arménien; Mascarrille
Mascarille
Vous voilà fagoté d’une plaisante sorte.
Lélie
Tu ranimes par là mon espérance morte.
Mascarille
Toujours de ma colère on me voit revenir;
J’ai beau jurer, pester, je ne m’en puis tenir.
Lélie
Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance,
Que tu seras content de ma reconnaissance,
Et que quand je n’aurais qu’un seul morceau de pain…
Mascarille
Baste! songez à vous dans ce nouveau dessein.
Au moins, si l’on vous voit commettre une sottise,
Vous n’imputerez plus l’erreur à la surprise;
Votre rôle en ce jeu par coeur doit être su.
Lélie
Mais comment Trufaldin chez lui t’a-t-il reçu?
Mascarille
D’un zèle simulé j’ai bridé le bon sire;
Avec empressement je suis venu lui dire,
S’il ne songeait à lui, que l’on le surprendroit;
Que l’on couchait en joue, et de plus d’un endroit,
Celle dont il a vu qu’une lettre en avance
Avait si faussement divulgué la naissance;
Qu’on avait bien voulu m’y mêler quelque peu;
Mais que j’avais tiré mon épingle du jeu,
Et que, touché d’ardeur pour ce qui le regarde,
Je venais l’avertir de se donner de garde.
De là, moralisant, j’ai fait de grands discours
Sur les fourbes qu’on voit ici-bas tous les jours;
Que pour moi, las du monde et de sa vie infâme,
Je voulais travailler au salut de mon âme,
À m’éloigner du trouble, et pouvoir longuement
Près de quelque honnête homme être paisiblement;
Que, s’il le trouvait bon, je n’aurais d’autre envie
Que de passer chez lui le reste de ma vie;
Et que même à tel point il m’avait su ravir,
Que, sans lui demander gages pour le servir,
Je mettrais en ses mains, que je tenais certaines,
Quelque bien de mon père, et le fruit de mes peines,
Dont, avenant que Dieu de ce monde m’ôtat,
J’entendais tout de bon que lui seul héritât.
C’était le vrai moyen d’acquérir sa tendresse.
Et comme, pour résoudre avec votre maîtresse
Des biais qu’on doit prendre à terminer vos voeu,
Je voulais en secret vous aboucher tous deux,
Lui-même a su m’ouvrir une voie assez belle,
De pouvoir hautement vous loger avec elle,
Venant m’entretenir d’un fils privé du jour,
Dont cette nuit en songe il a vu le retour.
À ce propos, voici l’histoire qu’il m’a dite,
Et sur quoi j’ai tantôt notre fourbe construite.
Lélie
C’est assez, je sais tout: tu me l’as dit deux fois.
Mascarille
Oui, oui; mais quand j’aurais passé jusques à trois,
Peut-être encor qu’avec toute sa suffisance,
Votre esprit manquera dans quelque circonstance.
Lélie
Mais à tant différer je me fais de l’effort.
Mascarille
Ah! de peur de tomber, ne courons pas si fort!
Voyez-vous? vous avez la caboche un peu dure;
Rendez-vous affermi dessus cette aventure.
Autrefois Trufaldin de Naples est sorti,
Et s’appelait alors Zanobio Ruberti;
Un parti qui causa quelque émeute civile,
Dont il fut seulement soupçonné dans sa ville
(De fait il n’est pas homme à troubler un Etat),
L’obligea d’en sortir une nuit sans éclat.
Une fille fort jeune, et sa femme, laissées,
À quelque temps de là se trouvant trépassées,
Il en eut la nouvelle; et dans ce grand ennui,
Voulant dans quelque ville emmener avec lui,
Outre ses biens, l’espoir qui restait de sa race,
Un sien fils, écolier, qui se nommait Horace,
Il écrit à Bologne, où, pour mieux être instruit,
Un certain maître Albert, jeune, l’avait conduit;
Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu’il donne
Durant deux ans entiers ne lui fit voir personne:
Si bien que, les jugeant morts après ce temps-là,
Il vint en cette ville, et prit le nom qu’il a,
Sans que de cet Albert, ni de ce fils Horace,
Douze ans aient découvert jamais la moindre trace.
Voilà l’histoire en gros, redite seulement
Afin de vous servir ici de fondement.
Maintenant vous serez un marchand d’Arménie,
Qui les aurez vus sains l’un et l’autre en Turquie.
Si j’ai, plutôt qu’aucun, un tel moyen trouvé,
Pour les ressusciter sur ce qu’il a rêvé,
C’est qu’en fait d’aventure il est très ordinaire
De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire,
Puis être à leur famille à point nommé rendus,
Après quinze ou vingt ans qu’on les a crus perdus.
Pour moi, j’ai vu déjà cent contes de la sorte.
Sans nous alambiquer, servons-nous-en; qu’importe?
Vous leur aurez ouï leur disgrâce conter,
Et leur aurez fourni de quoi se racheter;
Mais que, parti plus tôt pour chose nécessaire,
Horace vous chargea de voir ici son père,
Dont il a su le sort, et chez qui vous devez
Attendre quelques jours qu’ils y soient arrivés.
Je vous ai fait tantôt des leçons étendues.
Lélie
Ces répétitions ne sont que superflues;
Dès l’abord mon esprit a compris tout le fait.
Mascarille
Je m’en vais là dedans donner le premier trait.
Lélie
Ecoute, Mascarille, un seul point me chagrine.
S’il allait de son fils me demander la mine?
Mascarille
Belle difficulté! Devez-vous pas savoir
Qu’il était fort petit alors qu’il l’a pu voir?
Et puis, outre cela, le temps et l’esclavage
Pourraient-ils pas avoir changé tout son visage?
Lélie
Il est vrai. Mais dis-moi, s’il connaît qu’il m’a vu,
Que faire?
Mascarille
De mémoire êtes-vous dépourvu?
Nous avons dit tantôt qu’outre que votre image
N’avait dans son esprit pu faire qu’un passage,
Pour ne vous avoir vu que durant un moment,
Et le poil et l’habit déguisaient grandement.
Lélie
Fort bien. Mais à propos, cet endroit de Turquie…
Mascarille
Tout, vous dis-je, est égal, Turquie ou Barbarie.
Lélie
Mais le nom de la ville où j’aurai pu les voir?
Mascarille
Tunis. Il me tiendra, je crois, jusques au soir.
La répétition, dit-il, est inutile,
Et j’ai déjà nommé douze fois cette ville.
Lélie
Va, va-t’en commencer, il ne me faut plus rien.
Mascarille
Au moins soyez prudent, et vous conduisez bien;
Ne donnez point ici de l’imaginative.
Lélie
Laisse-moi gouverner. Que ton âme est craintive!
Mascarille
Horace dans Bologne écolier; Trufaldin,
Zanobio Ruberti, dans Naples citadin;
Le précepteur Albert…
Lélie
Ah! C’est me faire honte
Que de me tant prêcher! Suis-je un sot à ton compte?
Mascarille
Non pas du tout; mais bien quelque chose approchant.
Lélie
Quand il m’est inutile, il fait le chien couchant;
Mais parce qu’il sent bien le secours qu’il me donne,
Sa familiarité jusque-là s’abandonne.
Je vais être de près éclairé des beau yeux
Dont la force m’impose un joug si précieux;
Je n’en vais sans obstacle, avec des traits de flamme,
Peindre à cette beauté les tourments de mon âme;
Je saurai quel arrêt je dois… mais les voici.