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ОглавлениеQue Montesquieu eût écrit ou voulu écrire quelques ouvrages d’une certaine étendue, autres que les Lettres Persanes, les Considérations ou l’Esprit des Lois, on le savait jusqu’ici assez vaguement. Il était question d’une Histoire de Louis XI, dont le brouillon et la mise au net auraient été consumés par les flammes. On possédait même l’analyse des premiers chapitres d’un Traité des Devoirs, lus, en1725, à l’Académie de Bordeaux. Rien ne permettait, cependant, de croire que notre auteur eût commencé plusieurs autres livres, qu’il aurait abandonnés ensuite: patriœ cecidere manus. Encore moins avait-on des raisons sérieuses pour soupçonner que la fameuse Histoire de Louis XI n’eût jamais été mise au feu, parce qu’elle n’avait existé jamais.
Les trois tomes des Pensées (manuscrites) fournissent des renseignements nombreux sur les questions que nous venons de poser.
Ils nous révèlent un Montesquieu qui se cherche lui-même pendant des années, qui médite une série d’œuvres de plus en plus complexes, sans qu’elles arrivent à terme, et qui passe par des crises d’abattement, où il s’écrie avec dégoût: «J’ai la maladie de faire des livres et d’en être honteux quand je les ai faits.»
Nous n’insisterons point sur la tragédie de Britomare, ni sur les Dialogues mythologiques, dont certains passages nous ont été conservés. Quelques opuscules de moindre importance ne nous arrêteront pas davantage. Au contraire, nous signalerons que l’auteur des Lettres Persanes, après avoir entrepris une Histoire de la Jalousie, qu’il changea plus tard en Réflexions sur le même sujet, voulut composer, sous une forme nouvelle: un De Officiis, comme Cicéron, et un Il Principe, comme Machiavel.
Ainsi Montesquieu passa de la Psychologie à la Morale et de la Morale à la Politique. La Politique ne le lâcha plus. Mais il demeura toujours moraliste et psychologue; ce qui donne à ses doctrines une incomparable fermeté.
Notez que, même lorsqu’il écrivit sur l’histoire, il y chercha la démonstration de quelques vérités politiques. On n’estimait pas, alors, que le plus noble emploi du génie fût de produire un livre qui ne prouvât rien. Dans ses Considérations sur la Grandeur des Romains (comme dans sa Monarchie universelle), il s’efforce d’établir les périls qu’entraînent les grandes conquêtes. «Ut lapsu graviore ruant,» telle était l’épigraphe qu’il avait empruntée à Claudien, pour son œuvre. Il l’a traduite, en la commentant, dans un passage du chapitre XV, qui est comme la clé de voûte de l’œuvre entière.
Et ce qui nous est parvenu des ouvrages qu’avait commencés Montesquieu, l’un, sur l’ensemble de l’histoire de France, et l’autre, sur le règne de Louis XIV, nous permet d’induire aussi que les réflexions politiques devaient y occuper une large place.
A mesure que notre auteur se voua, de plus en plus exclusivement, à l’étude des lois et des règles qui prési dent à la destinée des nations, il exposa ses idées sous des formes plus simples et plus graves. Les Pensées (manus crites) nous révèlent qu’après avoir mis en scène Usbek et Rica, dans les Lettres Persanes, il songea à présenter ses opinions sous le nom d’écrivains étrangers et imaginaires. Certains de ses opuscules étaient destinés à un ou plusieurs recueils, intitulés: Bibliothèque Espagnole, ou Journaux de Livres peu connus. Ses Princes eux-mêmes étaient (soi-disant) l’ouvrage «qu’auroit fait M. Zamega, s’il étoit jamais venu au Monde». Montesquieu sentit probablement qu’il y avait moins d’art que d’artifice dans ce procédé de publication. Il y renonça et mit au jour les Considérations sur la Grandeur des Romains, le chef-d’œuvre le plus compact et le plus austère de la prose française.
Parmi les fragments que nous publions, signalons encore les préfaces inédités que le Président avait rédigées, les unes, pour ses œuvres propres, et les autres, pour quelque œuvre d’autrui. Nous ignorons à laquelle de ces deux catégories appartient l’introduction qui semble destinée à une histoire des Jésuites. Mais il est certain que Montesquieu composa pour un M. Rollin ou Raulin (ne pas confondre avec le bon Rollin, «l’Abeille de la France») un projet d’épître à mettre en tête d’un livre dédié au trop galant maréchal de Richelieu.
Ajoutons ici un mot sur la prétendue Histoire de Louis XI. Dans les tomes des Pensées (manuscrites), on ne rencontre pas une ligne qui fasse supposer que l’Auteur ait jamais consacré un livre spécial au fils de Charles VII. Il y est bien question d’une Histoire de Louis XIV, dont nous possédons même la préface. Mais, quant au règne de Louis XI, Montesquieu paraît n’en avoir traité que dans un chapitre de son livre sur l’histoire de France en général. Ce qu’il y eut de brûlé, ce ne furent que les matériaux qui servirent pour ce chapitre. Le travail lui-même, on le trouvera à la page338de ce volume.