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IV

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Les fragments que nous publions permettront aussi de mieux comprendre les idées fondamentales de Montesquieu, telles qu’elles ressortent de ses œuvres antérieurement connues. Ils nous en découvrent quelquefois l’origine, et souvent en montrent le développement graduel. On assiste (comme nous l’avons déjà dit) au travail qui s’est fait, pendant trente et quelques années, dans un des plus grands esprits dont l’Humanité s’honore.

Spécialement, les Pensées doivent nous empêcher de confondre ce que nous appellerons le rêve, rêve idyllique, de l’Auteur avec ses théories proprement dites.

Un certain état social peut lui paraître supérieur aux autres pour assurer aux habitants de la Terre ce qu’il juge être leur vrai bonheur. Mais jamais il n’eut la naïveté de croire qu’un législateur quelconque pût imposer ce bonheur à une vieille société, ni même en garantir la durée dans une société qu’il fonderait et constituerait. A ses yeux, rien n’est précaire comme les régimes les meilleurs et les plus nobles. Ils ne subsistent que par un concours de vertus fatalement rare. Les Troglodytes se lassent de n’obéir qu’à leur conscience trop rigide et secouent le joug d’une liberté que les mœurs seules restreignent.

Nous touchons ici à la conception centrale de Montesquieu, à sa conception de l’Homme, pauvre être médiocre pour le bien et même pour le mal.

Dans tous ses écrits, il insiste sur le sentiment de notre faiblesse. Aussi n’est-il point de vertu qu’il recommande plus fortement que la modestie. Il en définit ainsi la forme la plus parfaite:

«L’humilité chrétienne n’est pas moins un dogme de philosophie que de religion. Elle ne signifie pas qu’un homme vertueux doive se croire plus malhonnête homme qu’un fripon, ni qu’un homme qui a du génie doive croire qu’il n’en a pas; parce que c’est un jugement qu’il est impossible à l’esprit de former. Elle consiste à nous faire envisager la réalité de nos vices et les imperfections de nos vertus.»

Depuis l’époque où il rédigeait son premier chef-d’œuvre, jusqu’à la veille de sa mort, Montesquieu est sans cesse revenu sur l’éloge de la modestie et sur la condamnation de l’orgueil, qu’il distingue avec soin d’une juste fierté, pure de dédain.

Usbek écrit dans la144e Lettre Persane:

«Hommes modestes, venez, que je vous embrasse! Vous faites la douceur et le charme de la vie. Vous croyez que vous n’avez rien; et, moi, je vous dis que vous avez tout.» Un article du Traité des Devoirs est conçu en ces termes:

«Une âme basse orgueilleuse est descendue au seul point de bassesse où elle pouvoit descendre. Une grande âme qui s’abaisse est au plus haut point de la grandeur.»

Enfin, dans les conseils A mon Petit-Fils, nous détachons cette phrase:

«Sachez aussi que rien n’approche plus des sentiments bas que l’orgueil, et que rien n’est plus près des sentiments élevés que la modestie.»

Nous ne continuerons point nos citations: celles que nous venons de faire permettront de saisir le lien intime qui rattache la politique de Montesquieu à sa morale.

Si l’Homme est un être médiocre, rien d’extrême ne lui convient.

Pour les particuliers, il n’est pas bon qu’ils disposent d’une liberté absolue ou de richesses immenses.

C’est un danger pour des autorités publiques que d’avoir une puissance à laquelle des lois fixes et les attributions d’autres magistrats n’assignent point de limites.

Et, pour les états eux-mêmes, les grandes conquêtes, les extensions indéfinies sont, tôt ou tard, une cause de ruine.

On peut critiquer, rejeter cette manière de voir, la juger mesquine et bourgeoise; on ne saurait en méconnaître l’unité rigoureuse et logique.

Notons qu’à la différence de tant de faux modestes, Montesquieu, en humiliant le Genre humain, ne crée point une catégorie d’hommes exceptionnels, dans laquelle il se rangerait naturellement.

Pensées et fragments inédits de Montesquieu

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