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IV

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Deux idées ont dominé la vie de Soloviov: l’idée de la réunion des Églises et l’idée de l’abolition de la peine de mort[13]. La seconde est préférable à la première, elle est plus rationnelle, plus humaine, quoiqu’elle ne représente qu’une très faible partie de la justice universelle.

Dans son ouvrage: Le droit et la morale[14], Soloviov analyse la question de la peine de mort au point de vue religieux et moral, il cherche à démontrer que la Bible, prise en son ensemble, élève la conscience humaine bien au-dessus du sombre et sanglant sol de la féroce religiosité, dont les peuples païens ne se sont affranchis qu’en partie dans les classes supérieures, grâce à la philosophie grecque et à la jurisprudence romaine. Dans la Bible et chez les prophètes nous trouvons toujours le symbole de la haute morale: «Je suis la vengeance, dit l’Éternel. Je rémunérerai.—Comment rémunéreras-tu?—Je veux miséricorde et non pas sacrifice. Je ne suis pas venu pour appeler à la repentance les justes, mais les pécheurs.»

La Bible est un organisme vivant qui, s’étant développé pendant plus de mille ans, demeure étranger à toute uniformité extérieure et pédante, mais n’en est que d’autant plus admirable par l’unité intime et l’harmonie du contenu. Il est faux et vain de détacher arbitrairement de ce tout parfait quelques parties intermédiaires à double sens; ceux qui en appellent à la Bible en faveur de la peine de mort témoignent d’un aveuglement absolu.

L’opinion des esprits éclairés sur l’inutilité et la «vanité» de la peine de mort est devenue actuellement une vérité démontrée. Elle ne peut être contestée que par le parti pris, l’ignorance et la mauvaise volonté. La peine de mort est un acte immoral préjudiciable à la société; il faut le rappeler sans cesse à la conscience publique. En condamnant un homme à la peine de mort, la société déclare qu’il est coupable dans le passé, mauvais dans le présent et incorrigible dans l’avenir. Or, la société ne connaît rien de certain ni sur la future incorrigibilité du délinquant ni sur sa culpabilité passée, d’où vient le grand nombre d’erreurs judiciaires, et c’est un attentat à la conscience humaine lorsqu’on confond le savoir relatif, conditionnel, avec la justice infinie. La peine de mort est dépourvue de sens ou elle est impie. La peine de mort est inhumaine non seulement à «l’égard du sentiment, mais aussi au point de vue moral». Devons-nous reconnaître des bornes aux actions agissant du dehors sur la personne humaine? Y a-t-il en elle quelque chose de sacré, d’inviolable? L’horreur qu’inspire le meurtre à toute âme saine démontre que les bornes existent et qu’elles sont intimement liées à la vie de l’homme. Un acte effroyable s’accomplit, un homme convertit un autre en une chose inerte. La société, incapable de l’empêcher, s’émeut, s’indigne, et c’est juste: elle ne peut pas demeurer indifférente. Par quel acte doit-elle exprimer ses sentiments, son indignation? Par un nouveau meurtre? Le bien résulte-t-il donc de la répétition du mal? L’homme qui dit à un autre homme: «tu n’as aucun droit à la vie, je te le prouverai par le fait» accomplit un acte de volonté dépassant les limites morales. Et c’est ainsi que la société agit envers le délinquant,—et sans aucune excuse, puisqu’elle agit sans passion, sans instincts criminels mobiles du malfaiteur. «La peine de mort est un meurtre, un meurtre absolu, c’est-à-dire la négation souveraine des rapports moraux entre les hommes.» Les défenseurs de la peine de mort le reconnaissent eux-mêmes par leur: «que messieurs les assassins commencent!» La société et «messieurs les assassins» sont ainsi placés au même rang. Certains champions de la peine capitale affirment que la mort n’est pas la perte définitive de l’existence, l’âme humaine, disent-ils, survit au delà de la tombe, la mort n’est qu’une transition sans portée absolue. Pourquoi donc le meurtre inspire-t-il tant d’effroi? Deux éléments moraux composent la conception du droit: la liberté personnelle et le bien général. Le bien général peut, dans certains cas, limiter la liberté personnelle, mais jamais la supprimer, sans troubler l’équilibre. La peine de mort est donc non seulement contraire aux principes de la morale, elle est aussi la négation même du droit humain. Même au point de vue du bien général, la société ne doit pas priver l’individu quel qu’il soit de la vie ni le priver indéfiniment de sa liberté. Les législations qui admettent la peine capitale, les travaux forcés à perpétuité, la réclusion à vie, ne peuvent être justifiées par le droit juridique. Le bien général n’est général que parce qu’il comprend le bien de tous les individus sans exception,—autrement il ne serait que le bien de la majorité des hommes et non pas de tous. Soloviov n’admet pas que le bien général soit la simple somme arithmétique de tous les intérêts particuliers pris séparément, ni qu’il embrasse la sphère de liberté illimitée de chaque individu, ce qui, d’après lui, serait une contradiction; mais, en limitant les intérêts personnels, le bien général ne peut supprimer l’homme libre ni lui enlever la possibilité d’agir librement. Le bien général embrasse aussi le bien individuel, et quand il prive l’individu de la vie ou de la liberté d’action, c’est-à-dire de la possibilité de jouir d’aucun bien, ce bien général devient fictif, il perd le droit d’entraver la liberté individuelle.

Soloviov croit, avec le professeur Tagantsev, son compatriote, que le temps est proche où la peine de mort disparaîtra du code pénal, où les discussions mêmes sur son efficacité paraîtront inutiles et oiseuses[15].

La philosophie russe contemporaine

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