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IV

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C’est aussi dans la théorie énergétique que Grote puise sa conception du progrès. En 1883 il donnait à la notion du progrès une définition plutôt subjective, dans l’esprit de Spencer: «Une économie d’énergies de la nature aboutissant à l’accroissement de la somme des plaisirs de l’individu et à la diminution de la somme de ses souffrances.» Plus tard, Grote introduisit dans cette définition, l’élément objectif: «Le progrès est le développement de la valeur morale de la vie, une sorte de postulat moral pour chaque individu par rapport à l’humanité.»

Définitivement, la conception du progrès, suivant Grote, est composée de quatre éléments: 1o l’augmentation de la valeur morale de la vie; 2o le développement de la conscience; 3o la transformation des formes inférieures de l’énergie en des formes psychiques supérieures; 4o l’accumulation et la conservation de l’énergie vitale, psychique et intellectuelle. Tous ces éléments sont liés les uns aux autres. L’économie de l’énergie dans la nature est le principe du progrès; sa substance est l’augmentation de la valeur morale de la vie humaine. «Vaincre le temps, l’espace et la causalité physique naturelle, dans le but d’arriver au loisir, à la liberté de l’esprit. L’idéal, c’est le loisir et le pouvoir de s’abandonner au travail mental, à la vie contemplative, à l’activité spirituelle.» Le développement de la nature, de l’homme, de l’univers est rationnel et prédéterminé par la raison souveraine, par «la conscience interne de l’univers» qui admet la liberté de la raison humaine. La raison souveraine existe dans la nature non seulement comme élément subjectif, mais aussi comme «conscience personnelle de l’organisme de l’univers», comme une monade spirituelle, supérieure. En d’autres termes, Grote cherche à concilier le théisme avec le panthéisme, et il fait sortir de cette conciliation une sorte d’éthique qu’on pourrait appeler psycho-spirituelle. Les problèmes éthiques n’ont pas pour lui un caractère purement intellectuel, il trouve qu’ils sont aussi du domaine de la psychologie. Il distingue, avec Schopenhauer, entre le principe, règle suprême du devoir moral, et son fondement, sa raison d’être. Il y a deux solutions du problème du fondement de l’éthique: l’utilitarisme et l’idée pure du devoir de Kant.

L’homme aspire au bonheur et tâche d’éviter la souffrance, c’est là la loi qui domine tous les êtres vivants. L’histoire des systèmes éthiques prouve qu’il est absolument impossible de trouver un fondement de conduite morale sans aucun lien avec le bien individuel. Ni la morale religieuse, ni celle de Kant, ni même la «compassion» de Schopenhauer ne nous enseignent de ne pas tenir compte de la «loi individuelle» dans l’exécution des commandements moraux. Et, cependant, la morale fondée sur l’égoïsme est dépourvue de toute valeur éthique. Grote cherche à résoudre cette antinomie, il se déclare adversaire des théories sur la morale de l’utilité et du plaisir. L’égoïsme n’est pas la négation de l’altruisme, mais sa réaffirmation dans ou par l’individu, c’est une forme concrète, un degré de l’altruisme. Pour lui, l’altruisme est un effort de l’univers entier vers la vie, dans ses formes supérieures. Il définit l’altruisme: la volonté mondiale de vivre. L’égoïsme est une sorte de localisation de cette volonté.

Admettant l’existence d’une substance universelle, l’esprit, qui nous élève au-dessus de notre vie physique, Grote croit, avec Tolstoï, que c’est par la substitution à sa nature purement animale de sa force spirituelle intérieure que l’homme peut arriver à préférer à son moi individuel, périssable, l’idéal universel, éternel.

C’est en servant l’humanité d’une manière désintéressée que l’homme peut atteindre le bonheur suprême.

Grote est ici d’accord avec M. Émile Boutroux. «C’est en se donnant, dit l’éminent philosophe français, que l’homme prend vraiment possession de sa dignité d’homme[30].» Il faut ajouter que pour se donner moralement il est nécessaire de se posséder moralement. Seul l’homme, ayant conscience de sa dignité d’homme, ayant conscience de sa force morale intérieure, est capable, effectivement et consciemment, de servir la société.

La foi de Grote dans la noblesse de la nature humaine, dans le bien objectif, communique à ses théories éthiques un caractère vraiment puissant et véridique.

La philosophie russe contemporaine

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