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I
ОглавлениеOn peut distinguer trois périodes dans le développement philosophique de Grote: positiviste, métaphysique et psycho-idéaliste.
Au commencement de sa carrière philosophique Grote est plein de foi dans la science positive, plein d’animosité pour la métaphysique. Il divise l’univers en deux parties: le monde positif et le monde des rêves.
Le réel, c’est la nature, notre conscience, nos expériences extérieures et intérieures; le rêve, c’est l’idéal insaisissable par lequel l’humanité cherche à résoudre les problèmes qui se présentent en dehors de la nature, de la conscience, de l’expérience. Le réel appartient à la science, à la raison, aux perceptions objectives; le rêve, basé exclusivement sur nos sensations subjectives, est du domaine de la métaphysique. Sans doute, on a le droit de «rêvasser» dans la vie, mais pour l’observateur conscient le rêve n’est qu’un phénomène purement psychologique. D’ailleurs, tous les problèmes philosophiques sont, dans leur fondement, du domaine psychologique. Le sentiment est la source de notre bonheur, de nos souffrances, de nos «problèmes», de nos «convictions». Mais ce sentiment, que présente-t-il? L’investigation scientifique prouve que le sentiment n’est que l’expression subjective de l’évolution physiologique de notre constitution physique. Il paraît et disparaît comme une vague au milieu du tourbillon d’autres phénomènes physiques et psychiques.
Si la philosophie est possible, elle ne peut pas être une science, c’est-à-dire la connaissance résultante de l’expérience positive. La réalité positive n’a rien de commun avec les éternels changements de nos sensations. La métaphysique n’est que le produit de la fantaisie des métaphysiciens. Comme l’art, la philosophie est le fruit subjectif de la puissance créatrice: ses racines se trouvent dans la nature émotionnelle de l’homme. La philosophie n’est qu’une branche de l’art, une poésie originale, Ideendichtung, d’après l’expression allemande. Comme la poésie, elle est exempte de toute valeur objective et réelle. Elle ne présente pas la conscience de l’univers, elle ne mène pas à la vérité, elle n’est qu’une appréciation subjective des phénomènes vitaux, elle n’est qu’un des moyens de satisfaire «les problèmes subjectifs».
Telles sont, d’abord, les conceptions de Grote. Elles sont exposées dans ses thèses: La psychologie des sensations et La réforme de la logique. Jusqu’en 1885 il défend ces idées dans tous ses écrits, cours, conférences. Dans la théorie de la connaissance il n’admet que le «réalisme naïf», il cherche le criterium objectif de la vérité et le trouve dans «la loi uniforme de la nature». Dans l’éthique, il nie l’idée du libre arbitre; par «la liberté individuelle» il entend la libération de l’individu de l’influence du milieu; il ne considère pas l’optimisme et le pessimisme comme des problèmes métaphysiques, il reconnaît la différence de la valeur éthique de l’égoïsme et de l’altruisme, mais il trouve légitime les deux théories, il les envisage comme des facteurs indispensables du développement individuel et social. Il nie la méthode subjective dans la sociologie, mais il admet la subjectivité de la fin du progrès: le bonheur du genre humain. Enfin, dans l’histoire de la philosophie, il attribue la même valeur psychologique à tous les systèmes philosophiques, ils ne sont pour lui que «des produits des esprits individuels».
Grote, dans cette période, est absolument hostile à la métaphysique qui est pour lui la source de toutes «les erreurs funestes» de l’esprit humain, il explique sa puissance dans le passé par «l’inertie de la pensée», il estime que le devoir de tout penseur est «de purifier le savoir de toutes les «balayures» (sic) métaphysiques. Il définit la philosophie en général: force créatrice idéale, non exempte de charme poétique, mais incapable de mener à la connaissance positive de la vérité.