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III

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L’idée divine n’est pas en désaccord avec la vie physique. Soloviov distingue entre la matière (corps) et la chair. La chair est la matière organisée qui, sortant de son état passif habituel, se révolte souvent contre la domination de l’esprit. L’ascétisme offre des moyens efficaces pour étouffer ces velléités insurrectionnelles. L’ascétisme est également une bonne école d’énergie morale. La morale ascétique est une sorte d’hygiène spirituelle, mais elle ne vise que la perfection de l’individu et se distingue par là de la morale altruiste. L’ascétisme ne se justifie donc qu’autant qu’il aboutit à l’altruisme, il n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui conduit à la perfection morale. La pureté, la sûreté, la sainteté de la contemplation divine n’existent véritablement que lorsque l’âme appelée à cette sublime élévation se dégage auparavant des servitudes organiques des sens. Sans doute, la source des suavités sensibles est pure; elle aussi procède de la grâce divine, mais les exigences sensibles, effet du tempérament, sont mêlées d’imperfections naturelles qui retardent l’entière donation de l’âme à Dieu. Il ne faut pas qu’elles exposent l’homme à des défaillances qui peuvent le replonger dans l’abîme du péché.

Tandis que chez les êtres inférieurs la vie de l’espèce domine la vie de l’individu, chez les êtres supérieurs, chez les hommes, l’individualité, au contraire, peut et doit éclore librement et atteindre la plus haute perfection sans s’asservir aux fins matérielles du processus vital. Dans les grandes créations intellectuelles,—religion, science, morale, art,—l’homme se manifeste à la fois comme conscience individuelle et comme conscience universelle. L’homme seul, dans le monde biologique, s’inquiète de la vérité abstraite. Et cette vérité, quand elle s’empare de son moi et lui fait comprendre le néant de l’égotisme, se nomme Amour. La force de l’homme est là. Et la grande fin de l’amour, c’est la recherche d’un Tout, d’un Être supérieur, à la fois Homme et Dieu, Vérité et Bien.

La dignité de nos buts et de nos actions dépend de l’Idée du Bien. Pour que notre vie ait un sens, pour qu’elle soit digne de la nature spirituelle et morale de l’homme, il faut qu’elle porte en elle la justification du Bien. Les bons sentiments naturels de l’homme—la pitié, la compassion, la piété,—ne suffisent pas pour atteindre ce but supérieur de la vie: il faut encore un enseignement moral qui doit avoir pour but d’affermir les sentiments naturels de l’homme et d’établir une sorte d’unité morale, capable de gouverner la vie individuelle et la vie sociale.

Cet enseignement est nécessaire à tous les hommes, même au petit nombre d’élite, c’est-à-dire à ceux qui sont capables d’analyser par eux-mêmes les problèmes moraux. La religion n’ôte pas à l’humanité pensante ses exigences intellectuelles. La religion crée des raisonnements qui ont toujours besoin du contrôle de la philosophie. L’idée de Dieu, comme la pensée philosophique dépendent de la Volonté qui aspire au Bien. Grâce à notre nature morale, nous voulons vivre conformément au Bien, et nous cherchons à connaître ses principes. En même temps nous éprouvons le besoin du Savoir en général, le besoin de chercher la Vérité pour elle-même. Notre conscience approuve cette seconde volonté, c’est-à-dire la recherche de la vérité pour la vérité, et de telle sorte s’établit l’union du Bien et de la Vérité. Sans cette union, la conception du Vrai Bien—base de toute morale—n’aurait pas de raison d’être.

C’est l’union de la Vérité et du Bien qui détermine l’unité de l’Univers. Cette unité est cachée à nos regards par le monde du mal et de l’illusion, mais elle existe, «Tous sont un; et l’unité absolue est tout dans tous.»

La loi de ce monde est la division et l’isolement des parties du Grand Tout; et l’humanité elle-même qui devrait être la raison unifiante de l’univers matériel, s’est trouvée fractionnée et dispersée sur la terre et n’a pu parvenir par ses propres efforts qu’à une unité partielle et instable: la monarchie universelle du paganisme. Cette monarchie, représentée d’abord par Tibère et Néron, reçut son vrai principe quand «la vérité» fut manifestée par Jésus. Il s’agit maintenant d’affermir cette unité, de réaliser dans la société humaine «la vérité», il s’agit de pratiquer la vérité. Or, dans son expression pratique, la vérité s’appelle justice. La vérité, c’est l’existence absolue de tous dans l’unité, c’est la solidarité universelle, c’est l’œuvre unificatrice qui détruit l’égoïsme et la division.

Chaque être particulier—individu, classe, nation—en tant qu’il s’affirme pour soi et s’isole de la totalité humaine, agit contre la vérité; et la vérité, si elle est vivante en nous, doit réagir et se manifester comme justice. Ainsi, après avoir reconnu la solidarité universelle comme vérité, après l’avoir pratiquée comme justice, l’humanité régénérée pourra la pressentir comme son essence intérieure et en jouir complètement dans un esprit de liberté et d’amour.

Le vrai bien social étant la solidarité—la justice et la paix universelles—le mal social n’est autre chose que la solidarité violée. La vie réelle de l’humanité nous présente une triple violation de la solidarité universelle ou de la justice; celle-ci est violée: 1o quand une nation attente à l’existence ou à la liberté d’une autre nation; 2o quand une classe de la société en opprime une autre; 3o quand l’individu se révolte contre l’ordre social ou quand l’État opprime l’individu.

Tant qu’il y eut dans l’humanité historique plusieurs États particuliers absolument indépendants l’un de l’autre, la tâche immédiate de chacun d’eux dans le domaine de la politique extérieure se borna à défendre cette indépendance. Mais l’idée ou plutôt l’instinct de la solidarité internationale exista toujours dans l’humanité historique, se traduisant tantôt par la tendance à la monarchie universelle, tendance qui aboutit à l’idée et au fait de la paix romaine (pax romana), tantôt, chez les Hébreux, par le principe religieux affirmant l’unité de nature, l’origine commune de tout le genre humain.

Sincèrement ou non, la paix universelle est reconnue de tout le monde comme le vrai but de la politique internationale. Il faut constater un fait évident; il y a un besoin général de solidarité humaine, un besoin d’unité internationale, de pax humana. Cette unité n’existe pas actuellement et le problème est aussi peu résolu qu’il l’était dans le monde ancien.

La solidarité universelle suppose que chaque élément du Grand Tout—individu, société, nation—a non seulement le droit d’exister, mais possède encore une valeur propre et intrinsèque ne permettant pas de le transformer en un simple moyen du bien-être général. L’idée positive et vraie de la justice peut être exprimée par la formule suivante: chaque être particulier (individuel ou collectif) a toujours une place pour soi dans l’organisme universel de l’humanité.

Tout cela est fort bien, fort clair et nous accepterions volontiers les idées de Soloviov sur la solidarité universelle, s’il n’avait pas soin de nous dire et de nous répéter que «la grande unité humaine est Dieu», l’homme-dieu, mais dieu quand même, c’est-à-dire le principe de l’Église, de cette même Église qui a détruit justement la solidarité universelle. «L’homme-dieu existe réellement sur la terre», il n’est pas parfait, mais il s’avance vers la perfection, il s’accroît et s’étend à l’extérieur et se développe intérieurement. «La forme substantielle de l’humanité se réalisera dans l’Église universelle. Participer à la vie de l’Église universelle, y participer selon ses forces et ses capacités particulières, voilà le seul but véritable, la seule vraie mission de chaque individu, de chaque peuple. En dehors de Dieu, principe d’union, l’union n’est pas possible.»

La philosophie russe contemporaine

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