Читать книгу La philosophie russe contemporaine - Ossip-Lourie - Страница 16

III

Оглавление

Après avoir erré pendant dix ans dans le monde métaphysique, Grote revient, vers 1895, à ses idées primordiales,—à l’empirisme. Il se réconcilie avec la psychologie. Il s’aperçoit que cette science a fait des progrès considérables, que ses découvertes sont vraiment capables d’introduire de nouvelles théories dans notre connaissance de l’Univers. Sans doute, la science psychologique, dans son état actuel, est encore obligée de se tenir aux observations de détail, aux généralisations vagues. Sans doute la psychologie n’a pas encore abordé des «théories larges»; l’orgie de facticisme qui sévit à notre époque devient parfois inquiétante, mais Grote convient que «les travaux expérimentaux ont un grand rôle à remplir dans la psychologie».

Pour élargir son propre horizon, Grote se met à étudier l’anatomie, la physiologie, la psychiatrie, et il arrive bientôt à la conclusion que ce qui manque à la science psychologique, c’est «l’idée fondamentale». Cette «idée fondamentale» doit exister, elle existe sans aucun doute, il faut la chercher, il ne faut pas que le facticisme la rejette au second plan. Grote se met à la chercher.

C’est alors qu’il expose son hypothèse de la transformation de l’énergie physique en énergie psychique. Il est convaincu que cette hypothèse renferme l’idée fondamentale de la psychologie. Le rôle de la psychologie est de rechercher «s’il existe dans le domaine des phénomènes psychiques une énergie particulière, si cette énergie est soumise, comme toutes les autres, à la loi de la conservation et forme une partie des énergies naturelles, qui ne pourront plus alors être considérées comme purement physiques, mais plutôt comme psycho-physiques, c’est-à-dire susceptibles de prendre une forme psychique, ou plus simplement comme des formes différentes d’une seule et même énergie universelle». Ce problème dont dépend l’avenir de la psychologie doit être envisagé en dehors de toutes considérations métaphysiques et pratiques.

Grote, lui, croit que l’énergie psychique existe, comme existe une énergie calorique, rayonnante, magnétique, obéissant, comme toutes les autres énergies de la nature, à la loi de la conservation. Grote ne prétend pas nous donner la solution de ce problème théorique, il cherche seulement à en établir l’hypothèse qui pourrait servir à des recherches postérieures. Il établit les quatre points suivants: 1o la conception de l’énergie psychique est aussi admissible que celle de l’énergie physique; elle possède les mêmes mesures quantitatives et les mêmes formes variées; 2o l’organisme humain subit la transformation constante des énergies physiques en énergies psychiques et des énergies psychiques en énergies physiques; 3o comme les énergies physiques, les énergies psychiques se transforment de l’état potentiel en état cinétique et de l’état cinétique en état potentiel; 4o rien ne s’oppose à ce que la loi générale de la conservation de l’énergie soit appliquée aux processus psychiques.

Si l’on découvre que tout processus psychique, comme tout processus physiologique, est soumis à la loi de la conservation de l’énergie, il apparaîtra désormais que la conception d’une énergie psychique pourra seule donner à la science psychologique l’idée fondamentale dont elle a besoin.

«Les principes de la science énergétique ne s’opposent pas à l’existence d’une forme psychique de l’énergie[28].»

Il s’agit d’abord d’établir que l’énergie psychique est susceptible d’une évaluation quantitative. Les expressions, les épithètes dont se servent les différents langages montrent suffisamment qu’on peut établir des degrés dans l’énergie intellectuelle; les locutions homme de talent, homme de génie, sot, homme d’esprit ne sont pas autre chose qu’un essai d’établir une quantification intellectuelle; de même les récompenses, les statues élevées aux hommes célèbres sont un indice des mêmes tentatives.

Est-il vrai que la loi de la conservation de l’énergie est applicable à l’énergie psychique comme elle l’est à l’énergie physique? Grote paraît en être convaincu.

Dans chaque individu il y a un certain équilibre dans la disposition des énergies psychiques; le développement d’une forme particulière d’énergie s’oppose généralement au pareil développement d’une autre forme: celui dont l’élément intellectuel prédomine n’est pas sensible aux émotions; un passionné, un sensitif ne possède pas toujours un fort développement d’énergie intellectuelle. L’équilibre entre les différentes énergies psychiques constitue ce qu’on appelle caractère, personnalité. Si l’on considère l’énergie psychique sous sa forme potentielle, on constate le même équilibre. On trouve cette forme potentielle dans le sommeil, dans la mémoire; même ce que nous considérons comme facultés supérieures—talent, génie—consiste dans la potentialité de l’énergie psychique. Le développement excessif de nos énergies psychiques amoindrit nos énergies physiques; l’exercice physique immodéré anéantit nos énergies psychiques: mémoire, volonté, forces créatrices. Le développement, la diminution, le rétablissement de nos énergies psychiques ne s’expliquent que par la transformation de ces énergies en énergies physiques et inversement.

Grote croit que son hypothèse énergétique n’est pas en contradiction, même au point de vue de la théorie de la connaissance, avec l’idéalisme le plus pur. D’abord elle n’exclut ni la méditation ni l’observation, elle leur fournit seulement un autre point de vue: extérieur et quantitatif.

Ce qu’on a appelé jusqu’ici l’âme est pour Grote «le substratum de l’énergie psychique[29]». Il croit aussi, et nous sommes d’accord avec lui, que le courant psychique, comme le courant électrique, comme l’énergie calorique, peut passer, a priori, dans d’autres corps, même à travers le temps et l’espace. Grote illustre cette idée de peu d’exemples, et pourtant ils abondent. Il suffit, par exemple, de rappeler un événement historique déterminé pour que les énergies psychiques de ceux qui ont créé cet événement renaissent, à travers le temps et l’espace, dans d’autres individus, dans d’autres générations.

Élucider ces problèmes, telle est la tâche, la mission de la psychologie expérimentale. Dans la théorie de Grote, la psychologie expérimentale occupe la zone comprise entre la métaphysique et le phénoménisme. Ce ne sont pas les substances, ni les phénomènes, mais les faits de la vie psychique qui doivent lui servir de terrain pour ses investigations. Ces faits sont accessibles à l’observation empirique comme à l’évaluation métaphysique.

La philosophie russe contemporaine

Подняться наверх