Читать книгу Traité raisonné d'équitation, d'après les principes de l'école française - P.-A. Aubert - Страница 15

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CHAPITRE XII.

Table des matières

De mon système d’enseignement et des raisons qui me l’ont fait adopter. — Comparaison des anciens Manèges avec ceux d’aujourd’hui.

Ce n’est point une nouvelle manière de monter à cheval que j’enseigne. Mes principes sont ceux de la bonne Ecole Française, connus long-temps avant moi, et qui ne peuvent changer, étant basés sur les lois immuables de l’équilibre, de la gravitation, et enfin de l’anatomie de l’homme et du cheval. Ces principes, je les ai reçus des écuyers des académies du roi, sous lesquels j’ai pris leçon pendant dix années consécutives avant d’enseigner à mon tour. Les développements qui vont suivre sont en partie empuntés à Mottin de la Balme, comme l’indiquant les guillemets. J’ai soigneusement conservé, pour la tenue des rênes et le travail des mains, les traditions de l’Ecole de Versailles. Quant à mon système d’enseignement, je ne le tiens que de moi seul; il est le fruit d’une expérience acquise après avoir donné leçon pendant trente ans à une grande quantité d’élèves de tout âge et de diverses conformations.

Ce système se résume dans ce peu de mots: Tout dans la belle position, quand on commence.

Tout dans le sentiment du temps de jambe, par levée et foulée, quand on aspire à devenir écuyer consommé.

Et quant à l’art de dresser les chevaux pour tous les usages, il s’analyse encore par ces trois mots: méthode, patience et douceur.

Anciennement, les manèges et les écuyers étaient très-supérieurs à ceux d’aujourd’hui, on ne saurait le contester, et les élèves étaient aussi beaucoup plus forts; mais il faut convenir aussi qu’on ne regardait pas à un an de plus ou de moins pour compléter l’éducation équestre des jeunes gentilshommes qui les fréquentaient. Les pages du Roi faisaient trois ans de manège et ne portaient des étriers et des éperons qu’à la troisième. Quelquefois ils recommençaient trois autres années pour devenir Élèves-Écuyers, et par la suite écuyers du manège du Roi) A Paris, et dans les grandes villes de France, il y avait aussi des Académies d’Equitation. Ces Académies étaient, comme je l’ai dit, soutenues par le Roi et placées sous la protection du Grand-Écuyer de France. Comme elles possédaient une immense quantité de chevaux, spécialement affectés à leur usage , on conçoit facilement tout le développement qu’elles pouvaient donner à l’enseignement d’élèves, qui n’allaient point au manège par délassement, pour se promener ou faire un exercice de santé, mais bien pour y acquérir une instruction solide, qui faisait essentiellement partie de leur éducation militaire, et qui décidait toujours de leur avancement en grade.

Aucuns de ces élémens d’Académies n’existent aujourd’hui, et ne peuvent exister en effet dans nos manèges particuliers, abandonnés à leurs seules ressources. Tout le monde va à cheval, il est vrai; mais ce n’est plus par des cours annuels, ou par semestres, que l’on compte en allant prendre des leçons de manège; ce n’est plus même par mois: c’est par des unités de cachets. On prend ordinairement douze de ces cachets, qu’il est assez d’usage de faire durer trois et quatre mois; quelques élèves renouvellent cette provision de cachets jusqu’a six fois: ce sont les zélés, ceux qui deviennent difficiles sur le choix des chevaux qu’on leur fait monter, et qu’ils dédaignent le plus souvent, parce qu’eux-mêmes les ont estropiés en les louant pour la promenade du bois de Boulogne, d’où ils reviennent par Versailles ou Montmorency. De manière que ces anciens élèves, en prenant leurs leçons à grands intervàlles, peuvent mettre trois ans pour épuiser 72 cachets!... Beaucoup d’autres ne vont jamais au-delà de 24 leçons, n’aspirent pas, comme ils l’annoncent d’abord, à devenir écuyers, mais à monter avec grâce et solidement, et à ne pas craindre un cheval. Enfin, le plus grand nombre ne voulant du manège que pour apprendre à ne pas tomber, ne prendraient jamais que six cachets; mais comme les chefs d’école ne veulent pas en délivrer moins de douze, si ces amateurs se décident à ce sacrifice, ce n’est pas sans faire observer que 12 cachets à cinquante sous, pour apprendre à bien monter à cheval en quinze jours, c’est bien cher et bien long!

Voilà malheureusement où les manéges sont tombés dans la capitale de la France, et ce qui se passe le plus habituellement dans ceux placés dans les quartiers populeux, où il y a un plus grand nombre d’élèves; par cette seule raison, il est de ces établissements qui ont réduit le prix des leçons jusqu’à 14 sous, pourvu qu’on paie 250 fr. d’avance. Lisez les journaux, et vous saurez qu’avec ces élèves au rabais, et des chevaux épuisés au louage, il est des écuyers qui font, pendant l’hiver, de la haute Ecole, donnent des fêtes équestres, et tout cela dans des manèges de la dimension d’une remise.

Pendant la belle saison, pour rappeler le temps de la galante chevalerie, on donne des tournois dans les guinguettes de la banlieue. Ce n’est ni une écharpe ni une tresse de cheveux qu’on décerne au vainqueur, c’est un fouet, comme pour annoncer que les assaillans au lieu d’armures, portent la blouse de toile bleue.

C’est, en subissant comme les autres maîtres de manége qui ne donnent pas de tournois, les funestes conséquences d’un tel charlatanisme, que l’amour de mon art m’a fait rechercher pendant plusieurs années un mode d’enseignement qui pût s’accorder avec l’époque où nous vivons et les principes de l’Ecole française, la seule bonne, la seule susceptible de former d’habiles écuyers et de dresser des chevaux agréables sans les ruiner; mais qui, démontrés selon l’ancien système, exigent de longues années de travail et le concours d’un grand nombre de chevaux précieux, spécialement affectés au manège d’Académie; c’est assez dire que ce système ne convient plus aujourd’hui.

Ainsi, mon but principal dans cet ouvrage est d’indiquer comment on peut, en trente leçons, dont les quinze premières auront été tout élémentaires, arriver à un résultat qu’on ne peut raisonnablement espérer après un an de manége, et plus, si l’on ne suit pas la marche graduelle qui peut seule hâter les progrès en peu de temps.

Trente autres leçons, données avec la même suite en employant toujours graduellement des chevaux de différente nature, de moyens et d’allures, et particulièrement des sauteurs et balloteurs de pilliers, suffiront pour placer un élève régulièrement, solidement et avec grâce, et le mettre en état de mener avec justesse tous les chevaux dressés ou à peu près; généralement tous ceux dont on fait usage tant au manége que dehors, à la chasse ou dans les manœuvres, avec des éperons et des étriers, en selle anglaise comme en selle française .

Cet élève aura surtout l’avantage de n’agir que d’après des principes invariablement fixés; il ne sera point retardé ni rebuté par ces continuelles contradictions de professeurs qui ne peuvent s’accorder dans les leçons qu’ils donnent chaque jour aux mêmes écoliers .

Comme chacune de ces soixante leçons sera terminée par une autre leçon ou cours théorique sur la connaissance du cheval, mon élève saura encore raisonner l’effet de ses aides sur tout le mécanisme et les allures de l’animal; il n’agira qu’avec prudence et ménagement, par ce que j’aurai eu soin de lui prouver qu’on n’obtient rien par la force et la dureté ; sans être savant, il ne risquera pas d’abîmer ses chevaux ou ceux qui lui sont confiés; il sera bien moins exposé à ces funestes accidents qui se passent tous les jours sous nos yeux, et qui sont presque toujours le résultat d’une complète ignorance en équitation, ou d’une aveugle témérité. Si son goût le porte à devenir un amateur distingué, il possédera assez de théorie, car le temps et la pratique, en lui procurant une exécution plus sûre et plus savante, lui prouveront de plus en plus que tout dépend des leçons élémentaires, ou ce qui est la même chose, de la bonne assiette qui résulte de la belle position.

Après avoir réduit la leçon de position ( la plus importante selon moi), à douze principes généraux (V. leçon de pied ferme), j’ai indiqué, dans la leçon de longe, les termes les plus simples et les plus généralement employés par les bons démonstrateurs, et dégagés de détails superflus qui fatigueraient inutilement la mémoire de l’élève. Cette leçon élémentaire, je suppose qu’elle lui est donnée par un jeune Sous-Écuyer formé d’après mes principes, et que je guide lui-même dans la pratique de l’enseignement. J’ai adopté ce mode nouveau, attendu qu’il est impossible de prendre des leçons d’équitation par la seule lecture d’un ouvrage sur cet art. Dans celui-ci, de même que dans celui des armes, il faut la main du maître pour aider sa leçon orale. Par exemple: la main de la bride, agissant avec les ongles tournés en dessus ou en dessous, produit sur la bouche du cheval des effets tout opposés ( V. de l’aide de la main de la bride). Cette démonstration devient une affaire de tact ou de sentiment, que le seul discours ne peut rendre. C’est donc à l’Écuyer à faire comprendre ces nuances, non par un déluge de paroles, mais par cette expression du geste et du toucher, dont j’ai déjà parlé ; genre de démonstration commun à tous les bons maîtres et bien connu, mais dont on a oublié jusqu’ici de faire sentir l’importance.

Presque tous les Écuyers, qui n’ont ni instruction théorique ni principes bien arrêtés, ne manquent jamais de dire qu’on n’apprend pas à monter à cheval dans des livres, et la conséquence qu’ils en tirent est que les livres sont inutiles et souvent très nuisibles; comme on a fait de mauvais livres sur tout, on pourrait encore tirer cette conséquence, que les Barbares qui brûlèrent la bibliothèque d’Alexandrie ont rendu un grand service à l’humanité. Non, on n’apprend pas à monter à cheval dans des livres, quand il ne s’agit que de la partie mécanique de la leçon; mais tout en faisant cette concession à des praticiens qui ont du talent d’habitude, je ne persisterai pas moins à leur soutenir que, sans le secours des bons auteurs, on ne peut jamais parvenir qu’à une démonstration bien sèche; que sans une étude sérieuse de tout ce qui a été dit et écrit sur un art aussi compliqué et aussi difficile que l’équitation, il devient impossible de transmettre clairement aux autres ses propres principes, fussent-ils excellents. Comment établir la supériorité d’une chose quand on n’a aucun moyen de comparaison? Et je le demande à tous les maîtres qui sont ennemis des livres, que répondre à un élève qui veut s’instruire dans l’art que vous enseignez, s’il vous questionne sur le mérite des auteurs dont vous n’avez pu lire, ou pas voulu lire, les ouvrages?

Loin de jeter du ridicule sur les hommes qui livrent aux autres le fruit de leur expérience, on est forcé de convenir avec moi que si chaque chef d’École d’Équitation adoptait un système uniforme d’enseignement; s’il ne s’adjoignait que des Écuyers formés d’après ses principes, dont les leçons seraient toujours d’accord avec les siennes, l’art et le public ne pourraient que beaucoup gagner à cette décision. Mais on ne peut véritablement arrêter un mode ou système d’enseignement que par des principes écrits . Et voilà le point délicat; c’est que ces principes, une fois écrits et publiés, ne laissent plus au maître cette commode latitude de dire aujourd’hui tout le contraire de ce qu’il disait hier, et de faire ce que j’appelle de l’équitation de circonstance ou de spéculation. Il faut dire aussi que les élèves dont on se défie le moins, font parfois des questions fort embarassantes; il n’y a pas de doute qu’il est plus facile, plus commode et plus prudent, de s’en tenir à la démonstration au jour le jour, quand on craint d’être opposé à soi-même, et par la même raison, il faut se garder d’écrire. Verba volant, scripta manent.

Après avoir dit en quoi consistait mon système d’enseignement, j’avais besoin d’expliquer aussi les raisons qui me l’ont fait rechercher, étudier et adopter. Pendant plusieurs années, il a servi de guide aux jeunes professeurs que j’employais à mon Manège pour me seconder dans les leçons. Ces professeurs, comme tous ceux des autres manèges, ont été plus ou moins capables; mais, guidés constamment par mes leçons particulières, et l’étude de mes principes écrits, ils n’ont jamais enseigné chez moi que d’accord avec moi, en suivant de point en point ma méthode; et les élèves n’ont jamais eu à se plaindre de leurs contradictions.

Traité raisonné d'équitation, d'après les principes de l'école française

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