Читать книгу Traité raisonné d'équitation, d'après les principes de l'école française - P.-A. Aubert - Страница 3
INTRODUCTION.
ОглавлениеCauses principales qui ont amené la déconsidération des Écoles d’Équitation ainsi que le discrédit des Chevaux d’origine française.
Depuis bien long-temps il n’existe plus d’Académies d’Équitation en France protégées par la munificence du souverain, et placées sous la surveillance d’un Grand-Écuyer qui avait passé une partie de sa vie au manège, et qui tenait à honneur d’être un des plus habiles cavaliers formés à l’École de Versailles. Cette École existe encore aujourd’ui, mais elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut autrefois; c’est plutôt une vieille ruine, que le goût du jour tolère, qu’un monument que l’on tient à conserver dans ses belles proportions; elle est uniquement destinée aux Pages et aux autres élèves de la maison du Roi, et n’exerce aucune espèce d’influence sur les manèges publics de Paris et des autres villes de la France. Celle de Saumur est spécialement militaire, ne forme des écuyers que pour l’instruction de la cavalerie, et n’est profitable que pour l’armée. Quant à l’École Royale d’Équitation de Paris elle a été supprimée en 1829.
Ainsi, abandonnés à leurs seules ressources, et livrés, comme on dit aujourd’hui, à la concurrence, les manèges ne se sont guère occupés de former des élèves écuyers depuis quarante ans. Et depuis vingt-cinq environ, tout ce qui nous restait d’écuyers, ou d’hommes de cheval vraiment capables, ont payé leur tribut à la mort; il ne faut donc pas s’étonner si l’on se montre si peu difficile sur le choix de ceux que l’on emploie généralement dans ces manèges, faute de mieux; il faut dire aussi que plusieurs de ces établissements sont exploités par des industriels aussi étrangers aux principes de l’équitation qu’à la bonne administration de ces Écoles; de tels hommes ne pouvaient que hâter la chute de l’art en se ruinant eux-mêmes, et ils expliquent assez le dégoût que l’on montre généralement pour des leçons données sous leurs auspices.
Si le Commandant de l’École Royale de Paris n’a pas craint de faire de cet établissement une maison de louage, lui qui recevait une magnifique subvention pour tenir un manège essentiellement académique où on ne louerait jamais de chevaux, on doit bien penser que les autres industriels qui se mirent à exploiter de soi-disant Écoles d’Équitation, ne furent autre chose que des loueurs de chevaux .
Entraînés alors par une telle concurrence, ceux des maîtres de manège, qui, avec du talent et l’amour de leur art, possédaient tous les éléments nécessaires pour former des élèves distingués, se virent dans la nécessité de louer aussi leurs chevaux, d’abord à leurs seuls élèves, et ensuite à tout le monde, jusqu’au moment où le louage devint la partie principale et lucrative des manèges, tandis que l’enseignement des écoliers, et l’instruction des jeunes chevaux mis en dressage, n’en devinrent plus que la partie accessoire, ou celle qui rapporte le moins; et c’est avec raison que l’on dit aujourd’hui qu’il n’y a plus ni manèges ni chevaux de manège, ni équitation possible.
Ce fut pour prévenir un tel état de choses, prévu et prédit vingt ans d’avance, que, dans les premières années de la restauration, quelques préfets, députés, officiers de cavalerie, et particulièrement M. Ducroc de Chabannes, dont le nom est une si respectable autorité en équitation, sollicitèrent le gouvernement de réorganiser les Écoles d’Équitation dans toutes les grandes villes de France. M. de Chabannes a prouvé par des raisonnements et par des chiffres, que cet objet d’utilité et d’instruction publique n’exigerait que de très modiques dépenses, et qu’il aurait pour résultat de former de jeunes écuyers susceptibles de ranimer le goût de l’équitation dans la haute société, et capables de rendre les plus grands services dans l’arme de la cavalerie et dans tous les établissements où il y a des réserves de jeunes chevaux. Plus tard, M. le vicomte d’Aure, conçut le projet d’une École d’Équitation-Modèle, à former au haras du Pin. Bien dirigée et dégagée d’un luxe d’emplois inutiles, elle n’eût exigé qu’une faible dépense annuelle à l’administration, et elle eût été une source précieuse d’instruction pour les jeunes gens du pays, que l’on aurait pu employer avec avantage dans tous les haras secondaires. Elle eût été encore un élément de prospérité pour les éleveurs de la Normandie, qui auraient pu y faire dresser leurs chevaux, avec la certitude de les mieux vendre ensuite. Mais, toutes les fois qu’on s’est adressé au gouvernement pour relever l’Équitation française, qui fut considérée par les étrangers eux-mêmes comme la première de l’Europe, la voix des avocats plaidant cette cause toute nationale, fut étouffée par les Anglomanes occupant les grands emplois. Ceux-là, sans raisonnements et sans chiffres, ont crié bien fort que «le Manége et l’Equitation
«à la française étaient choses surannées, puisqu’on n’en faisait
«aucun cas en Angleterre, où les grooms remplissent à la fois les fonctions
«d’écuyers et de vétérinaires. En donnant de grands encouragements
«aux courses, on améliorerait singulièrement la race chevaline; ce qui procurerait
«d’excellents chevaux de selle tout dressés et à très bon compte,
«etc, etc.»
Et les gouvernements ou leurs agents, convaincus par des arguments aussi persuasifs, ont gaspillé annuellement des sommes considérables pour faire crever de jeunes poulains à la course ; et les courses ont eu pour résultat de protéger le commerce exclusif des chevaux de l’Angleterre, en décourageant, en ruinant le commerce des éleveurs de la Normandie et de tous les marchands de chevaux français sans exception; en vouant à une injuste prévention nos plus belles races indigènes, en faisant que l’amateur qui pourrait se procurer un bon cheval français pour 1,000 à 1,200 fr., rougirait de se montrer à la promenade s’il n’était monté sur un cheval de pur sang 1/2 sang, 3/4 de sang et autres fractions de sang qu’il lui faut payer 3,5 et 7,000 fr....., et puis changer au bout de quelques mois, attendu que le plus souvent ces rejetons d’illustres aïeux et de noble sang anglais, nous arrivent d’outre mer ruinés sur leurs jambes, pris dans les épaules, et le plus souvent malades incurables par suite de médicaments, ou plutôt de poisons, administrés par les grooms.
Comme il a été prouvé de mille manières, par les hommes les plus instruits dans cette matière, que la régénération des Écoles d’Équitation aurait amené des résultats tout contraires, c’est-à-dire la prospérité des éleveurs et des marchands Français, l’amélioration, et surtout la conservation de nos races indigènes, la baisse considérable du prix des chevaux en général, la renaissance d’un art sur le point d’être à jamais perdu dans notre pays, et sans lequel notre cavalerie ne peut être imposante, je n’ajouterai rien à tout ce qui a été dit et écrit à cet égard, par de plus habiles que moi, et tout persuadé que je suis que mon ouvrage pourrait concourir à former de bons élèves-écuyers, dans un temps où ils sont devenus si rares, j’ai d’avance la certitude qu’il aura l’improbation des grands faiseurs, qui ont passé la plus belle partie de leur vie en Angleterre, où ils ont oublié jusqu’à leur langue maternelle; ceux-là croient que leurs fils et leurs filles apprennent à monter à cheval avec beaucoup plus de sûreté et de grace à l’école de leurs grooms, et à travers champ, que dans un manège d’académie, à l’école d’un écuyer français ayant vieilli dans l’enseignement de son art.
Malheureusement l’Anglomanie est le mal du pays; c’est surtout depuis que tout le monde va à cheval à l’anglaise , c’est-à-dire, ridiculement et sans aucune règle ni principe, que personne n’apprend à conduire ses chevaux sûrement et habilement. Je ne pouvais donc choisir une époque plus défavorable pour publier un Traité d’Equitation, que celle où tant de gens influents n’ont que des paroles moqueuses pour le manège et les écuyers français, et citent avec extase les jokeys anglais, comme le beau type du cavalier-modèle; c’est mal prendre son temps, je le répète, que de vouloir rappeler nos vieux anglomanes au manège national, qui est encore le manège de l’ancien régime, et qui aurait droit de réveiller en eux des souvenirs de jeunesse, mais je n’écris pas par spéculation et pour la mode; si beaucoup d’esclaves de celte capricieuse divinité me regardent comme un radoteur, et qu’une petite portion de gens raisonnables s’intéressent à mes leçons, je me croirai amplement dédommagé de la critique des uns par l’approbation des autres, et j’attendrai que le temps et la raison fassent justice de l’anglomanie comme de tant d’autres choses de mode et de circonstances.
Ainsi que tous les maîtres qui ont parcouru une longue carrière dans l’enseignement, j’ai eu l’honneur de donner des leçons à des princes souverains comme à de simples particuliers; j’aurais pu, à l’imitation de presque tous les auteurs d’Equitation qui ont écrit avant moi, faire agréer la dédicace de mon ouvrage à un personnage haut placé dans le monde, et me prévaloir d’un de ces grands noms, qui sont toujours bien placés à la tête d’un livre, mais qui ne suffisent pas pour décider de son mérite. En ne dédiant le mien à personne en particulier, je le dédie à tout le monde en général. J’ai voulu que tous ceux qui le liront, soient bien convaincus que je ne l’ai écrit sous d’autre influence que celle de ma conviction, et dans le désir surtout d’être utile aux jeunes gens qui se sentiraient du goût pour l’étude et l’enseignement de mon art; un jour viendra peut-être où il y aura quelque gloire à l’exercer avec distinction. C’est au public éclairé, et toujours bon juge, que je soumets le fruit de ma longue expérience, et c’est son suffrage que je regarderais comme ma récompense la plus chère .