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CHANT SIXIÈME LA SAINTE CATHERINE

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Sous nos cieux inconstants les jours coulent bien vite.

A de nouveaux plaisirs tour à tour nous invite

Chaque saison nouvelle. Et le mouvant tableau

Passe devant nos yeux comme passent, sur l'eau,

Algues vertes et joncs, cygnes aux blanches ailes,

Noirs vaisseaux, troncs moussus et légères nacelles.

Le printemps fait chanter les vagabonds ruisseaux,

Et remplit de soleil nos scintillants carreaux.

Il durcit chaque nuit la neige de nos plaines,

En fait des mers de glace immenses et sereines

Où des pins toujours verts les rameaux inclinés

Semblent de grands vaisseaux par le calme enchaînés;

Où la foule, en riant, circule dès l'aurore;

Où glissent les traîneaux avec un bruit sonore:

Alors l'érable dur est percé dans l'aubier:

Il verse, goutte à goutte, au joyeux sucrier,

Commodes pleurs d'amour, sa sève succulente.

Traîné par les grands boeufs à la démarche lente,

Alors le soc tranchant sillonne au loin les prés,

Et le semeur au sol confie avoine et blés.

L'été brûlant mûrit les moissons abondantes,

Promène les parfums sur ses ailes ardentes,

Protège les oiseaux dans leurs tendres amours.

L'automne amène, hélas! bientôt les sombres jours,

Le froid et les brouillards, et la pluie et la neige!

L'hiver est plus aimable avec son blanc cortège,

Son froid salubre et vif, son ciel limpide et bleu;

Et la vive gaîté s'éveille au coin du feu.

Pourtant le pauvre souffre, et nos hivers rigides

Eloignent le souris de ses lèvres livides.

On était en novembre. Il neigeait, les flocons,

Comme de blanches fleurs, s'accrochaient aux buissons.

Blancs étaient les sentiers et blanche l'aubépine.

C'était en ce jour-là la Sainte Catherine.

Pour savourer la tire et pour tromper l'ennui;

Pour chanter et danser, alors comme aujourd'hui,

Au son du violon s'assemblait la jeunesse.

Bien souvent j'ai passé de ces heures d'ivresse

Avec de gais amis, dans nos humbles hameaux;

Ah! ces plaisirs naïfs sont toujours les plus beaux!

Jean Lozet détela ses chevaux de bonne heure.

La propreté toujours brillait dans sa demeure:

Mais ce soir-là, pourtant, le buffet de noyer,

La table, les carreaux, la pierre du foyer,

Tout était plus luisant. Deux chandeliers de cuivre

Faisaient de la fenêtre étinceler le givre.

La maîtresse empressée allait et revenait,

Mettant tout en son lieu. Près d'elle se tenait,

Souriant quelques fois avec mélancolie,

Comme une âme malade, une fille jolie.

Vingt printemps sur son front avait semé des fleurs.

Les roses et les lis mariaient leurs couleurs

Sur sa lèvre timide et sur sa fraîche joue.

Et sa gorge ondulait comme l'onde qui joue

Sur les sables dorés avec le vent du soir.

Louise était son nom. Souvent son grand oeil noir

Avait dans un doux trouble et dans la rêverie

Jeté les jeunes gens qui, dans l'herbe fleurie,

Au temps de la moisson, la rencontraient chantant.

Mais elle n'aimait pas. Elle écoutait pourtant

Les timides aveux qu'au milieu des soirées

Lui faisaient, en tremblant, des bouches enivrées,

Dans le fond de son âme une divine voix

Lui disait-elle donc que l'époux de son choix

Ne venait pas encore? Elle demeurait calme.

Les amoureux, en vain, se disputaient la palme.

Le plus constant de tous était François Ruzard.

Jean Lozet l'estimait, lui montrait de l'égard,

Et le menait souvent visiter son domaine.

Ruzard était actif, fourbe, d'une âme vaine:

Il savait de chacun caresser les penchants;

Se faire aimer des bons autant que des méchants.

Sur la tablette en bois, tout au-dessus de l'âtre,

Jean Lozet, souriant, prit sa pipe de plâtre,

Son briquet, de la tondre, et lit jaillir le feu:

--«Ma Louise, dit-il, songes-y donc un peu:

«Voici que je vieillis; mon front porte des rides;

«Moins fermes sont mes pieds, mes poignets, moins solides;

«Il me faudra bientôt, je suis à mon couchant,

«Des bras plus vigoureux pour cultiver mon champ.

«Tu pourras, sous ce toit, avec ta vieille mère,

«Couler des jours heureux, jouir d'un sort prospère,

«Si tu choisis enfin, Louise, un bon époux.

«François est travaillant, d'un caractère doux,

«Sévère s'il le faut, jovial, économe....

«Il va venir ce soir, puisque ce soir on chôme....»

Il ne put achever... Des chevaux hennissants

On entendit alors les fers retentissants

Retomber à la fois sur la terre gelée;

Car le vent emportait au loin la giboulée

Et devant la maison balayait le sol nu.

Jean Lozet se leva:--«Soyez le bien venu!

Dit-il au convié qui frappait à la porte.

«La Sainte Catherine aujourd'hui nous apporte

«Une bonne bordée. Et c'est bien mon désir,

«Mes amis, qu'elle apporte à chacun du plaisir.»

Louise aux jeunes gens offrait les chaises peintes.

Sa paupière gardait les humides empreintes

D'une larme furtive essuyée à demi.

--«Vous êtes toujours vert, mon vénérable ami,

«Comme votre orme antique; et le ciel vous protège,»

Dit au père Lozet François Ruzard.--«La neige

«Tombe depuis longtemps, mon enfant, sur mon front.

«Nous partirons bientôt: d'autres meilleurs viendront,»

Répondit à François, lui tapant sur l'épaule,

Le père Jean Lozet. Il ajouta: «C'est drôle,

«Mais je suis on humeur: je vais mourir je crois.»

Les convives entraient. C'était Simon Langlois

Qui se donnait du ton en tordrait sa moustache;

C'était Paschal Blanchet, du haut de Saint-Eustache

Avec sa jeune blonde, en traîneau rembourré;

C'était Joson Vidal et Suzanne Bourré,

La coquette Finon et le bedeau Péroche

Qui devait si longtemps vivre à sonner la cloche.

Jos Fanfan vint aussi de la Pointe Platon

Conduisant dans sa traîne Angèle Baptiston,

Une rieuse fille, à la taille bien prise.

Paton le caboteur vint de la Vieille-Eglise

Avec Edouard-Pierre et Mélonne Germain.

On se disait bonjour; on se donnait la main;

On causait fort gaîment et sans gêne et sans honte.

L'érable pétillait dans le poêle de fonte.

Une douce chaleur montait sous les lambris.

Le froid avait pourpré d'un brillant coloris

Les visages riants des aimables convives.

Pendant qu'à la maison les femmes sont actives,

Et disent à chacun un mot plein de bonté,

Suivi des gais garçons, le père s'est hâté

De mener les chevaux à la chaude écurie

Où d'un trèfle odorant chaque crèche est remplie.

--«Louise, est-il bien vrai que tu vas prendre époux?

«Ce François, à coup sûr, fera bien des jaloux,»

Risqua, d'un ton plaisant, la joviale Angèle.

--«Te serait-il, ma chère, à ce point infidèle!»

Fut la seule réponse. Angèle aimait François;

Mais elle était sans dot; et le plus beau minois

Ne pouvait, sans argent, plaire au jeune homme avare.

Angèle répliqua:--«Chez nous il se fait rare,

«Et quand il vient me voir c'est pour parler de toi.

«Je ne m'en défends pas: je l'aimais un peu, moi....»

--«Mais t'ai-je dit jamais, Angèle, que je l'aime?»

--Allons! mes bons amis, il fait un froid extrême;

«Prenons un petit coup!» dit le père Lozet,

En rentrant de la grange avec son grand gilet.

--«Moi je n'ai jamais vu pareil mois de novembre,--

Reprit François Ruzard en marchant dans la chambre

Parmi ses compagnons qu'il semblait dominer,--

«L'été devrait un peu plus tard se terminer.»

Louise se leva; tous les yeux lui sourirent.

Plusieurs des jeunes gens fort galamment lui dirent

Des mots assez flatteurs. Elle rougit un peu,

Baissant timidement son grand oeil plein de feu,

Et sur sa lèvre rose arrêtant son baleine.

Elle étrennait alors une robe de laine

Qu'elle même avait faite avec le plus grand soin.

Elle ouvrit le buffet reculé dans un coin,

Prit le plateau de fer, la carafe vermeille

Pleine d'un bon rum d'or acheté de la veille,

Les verres reluisants comme des vrais cristaux,

Mit le tout sur la table avec de frais gâteaux.

--Allons! servez-vous bien, et sans cérémonie,

Dit le père Lozet,--l'armoire est bien garnie;

«Ce n'est pas tout encore. «--Après vous! après vous!

«Ce sera notre tour, père Lozet, à nous,

«Quand vous aurez rempli vous-même votre verre:

«Les cheveux blancs d'abord!» reprit Edouard-Pierre.

--Allons! c'est bien! suivez mon exemple; il est bon.»

La carafe versa l'enivrante boisson,

Et dans un choc joyeux les verres retentirent:

Les rires éclatants, les gais propos suivirent;

Chacun à s'amuser rivalisait d'ardeur.

Tout à coup on savoure une suave odeur.

C'est, dans le noir chaudron sur le poêle qui gronde,

Le succulent sirop qui bondit comme l'onde

Et fait, en crépitant, crever ses bouillons d'or.

Les cris et le plaisir alors doublent encor.

François Ruzard savait, chacun pouvait le dire,

Cuire, sans la brûler, la plus brillante tire.

Quand il était enfant, le dimanche venu,

A l'église, il vendait le boubou bien connu

Aux gourmands du village empressés à le suivre,

Faisait dans son gousset sonner ses sous de cuivre,

Et rendait envieux: ses jeunes compagnons.

De leur habileté, de leurs justes renoms

Les gens adroits souvent deviennent les victimes.

Dans le groupe éveillé tous furent unanimes

A désigner François pour veiller la cuisson.

Il accepta la charge et se mit sans façon

A ranimer la flamme avec les lourdes pinces.

Le sirop s'étendit bientôt en couche minces,

Comme des morceaux d'ambre, au fond des plats d'étain.

Et tous, pour étirer, avec un fol entrain

Otèrent leurs gilets, de leurs chemises blanches

Laissant avec orgueil flotter les larges manches.

Pour ce plaisant travail on se met deux par deux:

C'est moins dur et plus gai. Chaque couple amoureux

Reçoit, d'une main ferme, un des bouts de la chaîne,--

Chaîne aux douces senteurs où, rieuses, sans gêne,

Les dents blanches vont mordre en perdant leur éclat.

Ruzard, c'était son droit, a pris le premier plat,

Et, d'un air radieux, à la douce Louise

Il est venu l'offrir. D'une main indécise

Elle aide son ami qui lui parle d'amour.

Les mains s'éloignent puis s'approchent tour à tour,

Se touchent bien souvent mais comme par mégarde.

Louise semble mal sous l'oeil qui la regarde.

La tire, comme un fil, et s'allonge et se tord;

Elle crépite aux doigts, s'ouvre en aiguilles d'or,

Se durcit en rayons où les yeux étincellent,

Et sous les durs ciseaux qui toujours la morcellent

Tombe avec un bruit sec au fond des plats luisants;

Et l'on savoure alors les morceaux séduisants.


Les vengeances - Poème canadien

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