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CHANT NEUVIÈME L'HOSPITALITÉ
ОглавлениеCependant chez Lozet l'âtre gaîment flamboie.
Un souffle de tristesse a passé sur la joie.
Ou parle des marins exposés à périr
Et des vaillants amis qui, pour les secourir,
Risquent alors leurs jours. Et personne ne danse.
Le violon joyeux garde un morne silence.
On fait, de temps eu temps, un de ces jeux naïfs
Qui plaisent d'ordinaire aux amoureux craintifs.
Recule-toi de là commence la soirée:
Chacun prend à son tour la place désirée
En eu chassant l'ami qui l'occupe déjà;
Et de même, à son tour, chacun bientôt s'en va.
Il faut dire pourquoi;--mais bien se donner garde
De ne rien répéter: le curé qui regarde
Fera payer un gage au joueur imprudent.
Quelques malins parfois, parfois un mécontent
Déploie un zèle habile à séparer sans cesse,
Un couple qui se cherche avec non moins d'adresse.
Ou joue à la paroisse, et l'on change de lieu
Pendant qu'un officier qui se tient au milieu,
Les yeux bien recouverts d'une écharpe de laine,
S'efforce de saisir, d'une main incertaine,
L'un des deux paysans qu'il a sollicités
A changer de paroisse et de propriétés.
Et les fins échangeurs qui marchent en silence,
Le narguent, en passant, d'un geste d'insolence.
Mais l'imprudent qui tombe aux mains de l'ennemi
Qu'il bravait à son aise et croyait endormi,
Vient, sous les quolibets et les éclats de rire,
Relever le gardien dont le service expire.
Pour retirer un gage ou fait berceau d'amour.
Les amis deux à deux s'avancent tour à tour:
Le timide salue et le galant embrasse
La riante beauté devant laquelle il passe.
Ou fait son testament, et l'on donne son coeur:
C'est, à cet âge, un don d'une haute valeur.
Après les jeux naïfs, quand chacun se repose,
Que l'amoureux s'asseoit puis, à demi voix, cause
Avec le tendre objet de son amour jaloux,
Louise prend un plat et vient offrir à tous,
Avec une grâce humble et son charmant sourire,
Les plus brillants rayons de la nouvelle tire.
L'heure s'écoule vite, et Jean Lozet, souvent,
Revient à la fenêtre ou murmure le vent,
Regardant vers la côte et le morne rivage
S'il verra revenir François et le sauvage;
Mais il branle la tête et semble sans espoir:
A la porte du poêle il retourne s'asseoir;
A peine répond-il si quelqu'un l'interroge.
Sur l'antique cadran de l'implacable horloge
Les aiguilles tournaient avec rapidité,
Comptant tous ces moments qui dans l'éternité,
Comme des gouttes d'eau tombent, tombent sans cesse.
Louise par instant sentait que la tristesse
Montait, vague, en son âme, ainsi qu'une vapeur.
Elle voulait sourire et vaincre cette peur
Qui l'étreignait parfois comme une serre étrange,
Mais le rire mourait sur cette lèvre d'ange
Comme un frisson de l'eau sur le sable éclatant.
Pour plaire aux conviés elle chanta pourtant.
Sa voix tremblait un peu comme tremble une feuille,
Comme tremble l'épi que le glaneur recueille.
Et comme elle disait dans son tendre refrain:
«Quand je l'ai vu sourire au petit orphelin,
«Moi j'ai souri de même en ma reconnaissance:
«J'ai pleuré comme lui, d'une même souffrance,
«Quand je l'ai vit pleurer en me disant adieu,»
La porte s'ouvrit.--«Ah! rendons grâces à Dieu,
Dit François,--à la mort nous avons pu soustraire
«Ces deux braves marins qu'un sort longtemps contraire
«A jetés sur nos bords! Deux autres ont péri!...»
Alors, dans la douleur, un long et triste cri
Fit retentir le toit du vieillard tout en larmes.
Lozet dit:--«Puissiez-vous trouver, amis, des charmes
«Dans l'hospitalité que je vous offre ici!»
Le plus jeune des deux, ému, souffrant, transi,
Répondit d'une voix faible et mal assurée:
--«Le bon Dieu bénira ta vieillesse sacrée,
«O généreux vieillard! De même un heureux sort
«Sera donné, j'espère, à ceux qui de la mort,
«Viennent de nous sauver.» La force, l'énergie
Dont l'âme des marins avait été remplie,
Pendant les longs moments d'un extrême danger,
Maintenant s'effaçaient. Sous le toit étranger,
A l'abri des vents froids, à l'abri des flots sombres,
Ils voyaient devant eux passer les tristes ombres
De leurs deux compagnons disparus à jamais.
Ils versèrent des pleurs.--«Qu'ils reposent en paix
«Ces amis malheureux qui font votre tristesse!
«Je leur ferai chanter à chacun une messe,»
Dit la mère Lozet, en cherchant vivement
Pour les deux naufragés un nouveau vêtement.
Les jeunes gens, muets, approuvaient de la tête:
Ils entouraient alors, oublieux de la fête,
Les marins attristés et leurs sauveurs heureux.
--«Capitaine, pardon!--dit faiblement le vieux,
En montrant de sa main François et le sauvage,--
«Ils attendent, ces gens, le prix de leur courage.
--«En effet! j'oubliais!... Comme je suis ingrat!...
«Sans ces hommes, pourtant, moi-même, au pied du mât,
«J'aurais été saisi par une mort certaine....
«Mais j'ai bien peu de chose.... et cette bourse pleine
«Ne peut assez payer un service si grand.»
Puis à François Ruzard, au moment même, il tend,
Pleine de pièces d'or, une bourse de soie.
--«Oh! pour moi, dit Ruzard, c'est assez de la joie
«De vous avoir sauvés d'un si triste trépas!
«Gardez! gardez votre or! Non! non, je n'en veux pas!
«Que le sauvage pauvre accepte quelque chose,
«Personne n'y verra de mal, je le suppose.»
En achevant ces mots, François, tout orgueilleux,
S'avança vers Louise. Et Tonkourou joyeux,
Prit dans ses doigts crochus la bourse étincelante,
A ses yeux releva d'une manière lente,
Et la lit disparaître au fond de son gousset.
Cependant la gaîté revenait. Jean Lozet
Avait versé le rum dans les verres sonores.
Le poêle bourdonnait; le vent sur les écores
Faisait: gémir toujours les rameaux dépouillés.
Les marins n'avaient plus leurs vêtements mouillés:
Ils avaient mis tous deux de chauds habits de laines.
Une douce chaleur circulait dans leurs veines;
Un sommeil enivrant venait noyer leurs yeux.
Louise prépara, le lit, le plus moelleux.
Et longtemps leurs esprits virent flotter ces songes,
Ces songes merveilleux, ces ravissants mensonges
Qui parfois des souffrants enchantent le sommeil,
Et qu'on voudrait saisir à l'heure du réveil.