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CHANT CINQUIÈME LE BRIGANTIN

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Les prés étaient sans fleurs et les bois sans feuillages.

Le ciel arrondissait sa tente de nuages,

Comme un couvercle lourd, sur les pâles coteaux.

Les enfants ramenaient les mugissants troupeaux

Du maigre pâturage à l'abondante grange.

La terre se gelait. Une brillante frange

Ondulait sur le bord des ruisseaux desséchés;

Et les saules pleureurs, sous les frimas penchés,

Ne se regardaient plus dans le cristal de l'onde.

Le fleuve bouillonnait dans son urne profonde

Et ses flots écumeux se tordaient aux récifs;

Le vent d'est tourmentait les peupliers plaintifs,

Et jonchait les sentiers des débris de leurs branches.

Et la neige tombait; et ses étoiles blanches

Tourbillonnaient dans l'air et sur les prés flétris.

Un léger brigantin venait sur les flots gris,

Comme un timide oiseau sur ses rapides ailes,

Quand il est poursuivi par les serres cruelles

D'un vautour qui descend du sommet des rochers.

Il cherchait un abri. Sur le pont, les rochers

Regardaient, inquiets, dans le brouillard de neige.

Le vent faisait danser le bâtiment à lège

Qui longeait les récifs du sombre Riche-Lieu.

S'il eut touché l'écueil, par malheur, eu ce lieu,

Il eut été perdu. De temps en temps la côte

Se montrait, au midi, lointaine, sombre, haute.

Un vaillant matelot se tenait à l'avant

Sondant la profondeur du flot noir et mouvant.

Debout sur le tillac veillait le Capitaine,

Jeune homme au large front, d'une mine hautaine,

Ou plutôt d'un oeil ferme et d'un coeur résolu;

Car il était fort bon et n'eut jamais voulu

Attrister, sans motif, l'être le plus infime.

Il avait pour chacun du respect, de l'estime:

Le maître, peu souvent, en lui se laissait voir;

Puis il savait toujours accomplir son devoir.

Le pilote, plus vieux, paraissait impassible;

Sa tête était de bronze, et son âme irascible

Ne souffrait pas toujours les contretemps ainsi.

Mais il avait déjà, dans les mers, loin d'ici,

Tant vu les sombres flots monter jusques aux nues,

Et les cieux leur lancer des foudres inconnues,

Que les clameurs du fleuve et les épais brouillards

Enchantaient son oreille et charmaient ses regards.

Le bâtiment courait. On plia quelques voiles:

Les huniers seulement arrondirent leurs toiles

Au souffle impétueux du vent de l'Orient.

Souvent le gouvernail se tordait en criant

Pour guider le vaisseau le long de la batture,

Ou lui donner au large une route plus sûre.

Bientôt le brigantin laissa derrière lui

Le phare de l'ilette où veillent dans l'ennui,

Depuis maintes saisons, loin des plaisirs du monde,

Trois vierges qui sont soeurs. Le flot profond qui gronde,

Leur parle seul d'amour et berce leur sommeil.

Leur printemps est passé: leur front n'est plus vermeil.

Elles mourront un jour sur le roc solitaire

Qui pour elles semble être, hélas! toute la terre!

La neige épaississait. Par moments, toutefois,

On distinguait encore et la rive et ses bois.

Toujours l'on espérait atteindre les Grondines.

Là se trouve un mouillage où, pendant les bruines,

Dans les grains dangereux ou dans les vents mauvais,

Les vaisseaux jettent l'ancre et se bercent en paix.

Déjà l'on avait vu dans la blanche poussière

Fuir les flèches d'argent du bourg de Lotbinière;

Et le bois des Hurons avec ses noirs rochers

Suivit bientôt aussi les deux brillants clochers.

La chaloupe, au bossoir, de neige était remplie;

Les cordages de lin gelaient dans la poulie,

Et les câbles noués ne se démarraient plus.

--«Je crois que nous faisons des efforts superflus:

«Nous ne voyons plus rien: nous allons au naufrage.

«Prions la vierge sainte! armons-nous de courage!»

Dit le capitaine. Et le pilote reprit:

--«Vous le savez, Patron, le destin me sourit.

«J'ai bravé bien des fois la mort et la tempête:

«L'orage fait pencher mais n'abat point ma tête.

«Des deux côtés je vois les long bancs de cailloux

«Où se brisent toujours les vagues en courroux.

«Je les verrai longtemps car la mer n'est pas haute;

«Et nous pourrons ainsi voguer loin de la côte.

«Voici là-bas, à gauche, en son enfoncement,

«La rivière du Chêne et son cristal dormant.

«Les ilôts gracieux de sa large, embouchure

«Semblent des cygnes blancs. L'été, la vague pure

«Réfléchit leurs bosquets de chêne et de tilleul;

«Mais la glace, aujourd'hui, s'étend comme un linceul....

«Je reconnais ces lieux que depuis vingt années

«Je n'ai jamais revus dans mes longues tournées....»

Le pilote attentif vira soudain de bord;

Le bâtiment courut une bordée au nord.


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