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CHANT TROISIÈME PREMIÈRE VENGEANCE
ОглавлениеBien des jours ont passé depuis que l'indien,
Etouffant dans son coeur tout sentiment chrétien
Jura de se venger du mépris de la vierge.
Toujours rempli de haine, il marche sur la berge
Du fleuve qui mugit en mordant le rocher.
Dans les ombres du soir on le voit approcher.
Il avance sans bruit vers une maison blanche,
Et se cache derrière un grand orme qui penche
Au dessus du pignon ses orgueilleux rameaux.
Tel un serpent impur déroule ses anneaux,
Se glisse en ondulant sous la verdure dense
Pour surprendre le nid où s'endort l'innocence.
La vierge qu'il aimait habite ce foyer.
Pendant bien des saisons il a dû se ployer
Sous le fardeau pesant de l'ironie amère:
Elle est heureuse et riche, elle est épouse et mère!
La crainte, les remords ne troublent pas ses nuits;
Elle ne connaît pas les funestes ennuis!
Mais le soleil brûlant présage la tempête:
Et la vengeance veille; à frapper elle est prête!
L'airain avait sonné la prière du soir.
Le clocher dans le ciel plongeait son profil noir,
Et tous les paysans rentraient dans leur demeure.
Jean Lozet s'attardait. Souvent depuis une heure,
Pour causer, les voisins s'étaient tous assemblés,
Et lui semait encore ou moissonnait ses blés.
Il voulait amasser pour les jours du vieil âge,
Et laisser à son fils un superbe héritage.
Près de l'orme toujours l'indien Tonkourou,
Menaçant, l'oeil en feu, sombre comme un hibou,
Attendait. Au sommet de l'arbre solitaire,
Alors, un rossignol chanta, comme pour faire
Au jour qui s'éteignait ses suprêmes adieux.
On eut dit, par instant, des éclairs radieux
Qui se précipitaient à travers le feuillage.
Tous les autres oiseaux suspendent leur ramage
Pour écouter la voix du chantre harmonieux.
Il a de longs soupirs, puis des rires joyeux,
Une plainte suave et des cris d'allégresse.
Capricieux accords jetés avec souplesse,
Roulades, trilles gais, doux murmures, sanglots
Se succèdent sans fin, comme les flots aux flots.
Ce sont, de feuille en feuille et jusque sur les herbes,
De riches diamants qui retombent en gerbes;
Ce sont comme, la nuit, des gouttes de métal
Tombant, une par une, au bassin de cristal.
Parfois il ouvre une aile, il se tait, se recueille,
Et l'air chante à son tour, et la légère feuille
Semble frémir encore au souffle merveilleux.
L'indien, immobile, écoute, et ses deux yeux,
Comme d'ardents charbons, se fixent sur la porte
De la maison paisible à laquelle il apporte,
Dans sa vengeance atroce, un éternel malheur.
Un enfant souriant, tout brillant de fraîcheur,
Sortit pour écouter du rossignol sauvage,
Dans l'orme chevelu, l'harmonieux langage.
Sur le gazon moelleux, courant comme le daim,
Jusqu'au dessous de l'arbre il avance. Soudain
Le sauvage s'élance, et l'empoigne, et l'enchaîne:
Riant d'un rire affreux, vitement il l'entraîne
Vers le fleuve bruyant. L'enfant pousse des cris.
L'indien le menace, et, de ses doigts maigris,
Lui tenaille les bras et lui ferme la bouche.
Au fond de son canot rudement il le couche,
Et, ramant avec force il s'éloigne des bords.
Aux cris de son enfant qu'elle savait dehors
Accourut aussitôt la mère infortunée.
Elle vit s'envoler une forme damnée,
Un démon qui tenait un ange dans ses bras.
Dans sa douleur étrange elle crut voir, hélas t
Des regards suppliants qui se tournaient vers elle.
Bientôt tout disparut. Une voix solennelle
Des vagues en courroux montait de temps en temps.
Le rossignol toujours, sous les rameaux flottants,
Egrenait sa chanson comme une molle pluie:
Mais nul n'écoutait plus l'enivrante harmonie!
Et lorsque Jean Lozet, fatigué mais heureux,
Revint du labourage avec ses deux grands boeufs,
Près de l'orme il trouva son épouse chérie,
Le front contre le sol, gisant évanouie:
Et nul enfant joyeux de la blanche maison
N'accourut sur ses pas à travers le gazon!
Dans les bois l'indien alla cacher sa proie.
Sous un air triste et morne il déguisa sa joie.
Il revint bien souvent dans la maison en deuil,
Et les gens abusés lui faisaient bon accueil,
Lui vouaient dans leurs coeurs de la reconnaissance.
Il n'était pas souillé du sang de l'innocence:
Il rêvait, le barbare, une autre iniquité:
Il voulait prendre un homme à la société,
Pervertir son esprit et le rendre sauvage.
Vint le temps de la chasse. Alors, selon l'usage,
Pour des pays lointains partirent les hurons.
Les grands monts de l'Ouest voient dans leurs environs
De nomades tribus qui cheminent sans cesse.
Tonkourou s'éloignant toujours avec vitesse
Atteignit ces tribus et leur livra l'enfant.
Avant de l'accepter, le chef dur et puissant
Le fît lier debout au tronc d'un jeune chêne;
Armé d'un os aigu comme l'est une alêne
Il le vint tatouer, le marquant désormais
D'affreux signes que rien n'effacera jamais.