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CHANT SEPTIEME LE PACTE
ОглавлениеPendant qu'un vent glacé pleurait dans le grand orme,
La porte s'entr'ouvrit, puis une étrange forme
S'avança lentement parmi les invités:
--«Mon frère ne sait point que les cieux irrités
«Punissent le chrétien qui ne fait pas l'aumône,»
Dit le nouveau venu, relevant son front jaune.
Jean Lozet tressaillit; un amer souvenir
Dans son âme parut un moment revenir.
--«Que veux-tu, Tonkourou? prendre part à la fête?»
--«Je veux n'être jamais traité comme une bête.»
--«Mais dis-moi quand Lozet, comme on repousse un chien,
«A-t-il donc repoussé de son seuil un chrétien?»
L'indien le couvrit d'un regard d'insolence.
--«Frère, j'ai soif, dit-il, et mon labeur commence.
«J'ai rude nuit à faire.»--«Allons! prend donc un peu,
«Pour te réconforter de ma bonne eau de feu.»
Le sauvage, d'un trait, vida le plus grand verre.
--«Si vous ne chantiez pas, dit-il, d'un ton sévère,
«Vous entendriez tous, quand se taisent les vents,
«Des cris de désespoir monter des flots mouvants.»
Une vive surprise, à ces mots du sauvage,
Des convives émus fit pâlir le visage.
--«C'est peut-être un vaisseau perdu dans le brouillard,
«Qui ne gouverne plus et dérive au hazard,--
Observa le bedeau;--si je sonnais la cloche?»
--«Voyons donc, dit Lozet, si la clameur approche.»
Tous sortirent dehors. Le froid était fort vif,
Et l'on n'entendait plus hurler le grand récif.
Comme un boulet la lune errait aux cieux livides;
Une légère neige, en tourbillons rapides,
Sur les chemins déserts depuis longtemps glissait,
Et sur le bord des clos en longs bancs s'entassait.
Quand la lune, un instant, sortait des grands nuages,
On pouvait voir, au loin, les immenses rivages
Couverts, comme les prés, d'un vaste manteau blanc,
Puis un sombre vaisseau qui gisait sur le flanc.
Et le vent apportait, sur ses ailes funèbres,
Une clameur lointaine au milieu des ténèbres;
Les naufragés criaient, appelant du secours
Et demandant au ciel de protéger leurs jours.
Tonkourou prit François et lui dit à l'oreille:
--«Nous n'avons pas souvent une chance pareille;
«Profitons-en, mon frère, et nous serons loués
«Comme si par amour nous étions dévoués.»
--«Mais il faut, Tonkourou, que la glace nous porte.»
--«Mon frère, il fait bien froid: la glace est assez forte.»
--«Dans le prix du salut serons-nous de moitié?»
--«Peux-tu moins espérer de ma vieille amitié?»
--«Allons, mais sachons bien feindre le sacrifice.»
Leurs yeux étincelaient des feux de l'avarice.
Ils entrèrent. Chacun déplorait des marins,
D'une plaintive voix, les funestes destins.
--«Faut-il qu'on les entende et qu'on les abandonne?
«Non! je veux les sauver! La. Providence est bonne;
«Elle me guidera vers le bateau perdu,»
Dit Ruzard.--«Que ton voeu soit du ciel entendu,
«Noble enfant! Ah! François, tu te montres un homme!...
«Eh bien! femme, entends-tu? Vois-tu, Louise, comme
«Cet aimable garçon est brave et généreux!...
«Mais prends garde, François, le fleuve est dangereux!...»
Ainsi parlait Lozet, tout ému du beau zèle
Que venait de montrer, dans sa ruse nouvelle,
Le perfide François. Les autres approuvaient.
Le sauvage et Ruzard pour sortir se levaient.
--«Un bon verre de rum à la santé du brave!»
Dit le père Lozet d'une voix haute et grave,
Et, sous le toit, l'écho redit de tout côté:
«A la santé du brave! Encore à sa sauté!
François, en ce moment, d'orgueil se sentait ivre:
Il voyait dans son coeur l'espérance revivre,
Car il avait reçu, dans un tendre souris,
De son acte admirable un doux et premier prix.
Louise avec fierté lui tendit sa main blanche;
Elle l'encouragea de sa parole franche,
Lui disant qu'aux bons coeurs le bien est toujours doux.
Elle entra dans sa chambre et se mit à genoux.
Longtemps elle pria devant une croix sainte.
Et toujours la rafale apportait une plainte
Qui pourtant s'en allait faiblissant par degrés:
C'étaient des matelots les cris désespérés.