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CHANT ONZIÈME LE DÉGEL

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Du brigantin léger le naufrage funeste

Fut l'unique entretien de tout le bourg agreste.

On pleurait sur le sort des matelots perdus

Que leurs parents, hélas! ne verraient jamais plus!

On vantait de François le courage sublime:

Il avait résolu de se faire victime

Pour sauver son semblable et le prendre à la mort,

Peu d'hommes, en effet, de ce suprême effort,

Sont capables. Et lui, le héros du village,

Il savait profiter de son noble avantage.

Les fillettes sur lui levaient des yeux plus doux:

Et les jeunes garçons en étaient fort jaloux.

Louise ressentait tant de reconnaissance

Qu'elle s'abusait même; et, dans son innocence,

En levant sur François son regard ingénu,

Croyait à cet amour jusqu'alors inconnu.

Aux premiers vents glacés le ruisseau se festonne,

La terre se durcit: mais ces grands froids d'automne

Sont suivis, bien souvent, d'un dégel prolongé.

On dirait, ô saisons que votre ordre est changé!

Le temps s'est adouci; le jour chasse les ombres.

Du bâtiment perdu les épaves sans nombres

S'en vont à la dérive avec les flots calmés.

Les soucieux hérons et les canards palmés

Dans le ciel nuageux volent en noires bandes.

Les âmes des marins restent fortes et grandes

En face du malheur. Cependant sur le bord

Du fleuve dont la vague en murmurant s'endort,

Jean Lozet et Louise et la mère elle-même,

Et les deux naufragés que leur malheur suprême

Venait de réunir par des liens nouveaux,

Debout, silencieux, à travers les rameaux,

Regardaient s'en aller, avec les bancs de glace,

Du malheureux vaisseau la sinistre carcasse.

Ces débris aux marins étaient encore chers;

Et sur leur brune face, alors, des pleurs amers

Coulèrent lentement; et leurs mains se joignirent

Comme dans la prière; et les flots entendirent

Un adieu solennel qui les fit tressaillir.

Louise, aussi, pleurait. Elle sentait jaillir

De son âme sensible un flot de sympathie

Depuis la mort du Christ la douleur est bénie:

On se sent attiré vers l'homme malheureux,

Et l'on marche avec lui le chemin douloureux.

Le plus jeune marin vit, à travers ses larmes,

Les larmes de Louise et les radieux charmes

Que donnait à ses yeux la divine pitié.

Il se sentit plus fort; et la douce amitié

De cette noble enfant qui partageait sa peine,

Rendit son esprit ferme et son âme sereine,

Comme après la tempête un rayon de soleil

Rend au lac agité sa nappe de vermeil.

Quand le dernier débris disparut comme un rêve,

Noyé dans le mirage, au large de la grève,

Par le sentier battu sur le pâle gazon,

En silence chacun revint à la maison.

Ce jour-là les chagrins inondèrent les âmes,

Et l'on ne causa guère en attisant les flammes.

Louise n'avait pas de ses douces chansons,

Comme font les oiseaux, l'été, dans les buissons,

Modulé les refrains, depuis que tout près d'elle,

Sous le toit de Lozet, l'infortune cruelle

Avait cherché refuge. Et souvent les voisins

Venaient causer le soir avec les deux marins,

Déplorant du bateau l'irréparable perte,

Et jurant que toujours leur demeure est ouverte,

Comme celle de Jean, à l'homme malheureux.

Mais Jean ne voulait pas partager avec eux

L'oeuvre de charité qu'il venait d'entreprendre:

--«Je garde tout pour moi. Vous devez bien comprendre,

Disait-il eu riant à ses loyaux amis,

«Que je ne puis livrer ceux que le ciel a mis,

«Pur un décret divin, sous mon indigne garde,

«A moins que de partir, hélas! il ne leur tarde.

--«Où donc serions-nous mieux, disaient les naufragés?

«Le Seigneur, après tout, nous a bien protégés

«Puisqu'il nous a conduits à ce foyer honnête.»

Et Louise, rêvant, penchait sa belle tête,

Oubliant une maille à son léger tricot.

Jean Lozet, se levant, apportait aussitôt,

Pour sceller l'amitié, l'aimable petit verre.

Son front large et bruni paraissait moins sévère,

Et ses lèvres, alors, s'ouvraient plus volontiers;

Et l'on se gênait moins. Les plus vieux, les premiers,

Aux doux navigateurs demandaient mille choses

Sur lesquelles, tantôt, leurs bouches étaient closes;

Et ceux-ci répondaient avec aménité.

Ils diront quel endroit ils avaient habité,

Les noms de leur famille et leurs lointains voyages.

Souvent, à ces récits, on voyait les visages

S'animer ou pâlir selon que les destins

Etaient doux ou cruels envers les deux marins.


Les vengeances - Poème canadien

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