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CHANT HUITIÈME LE NAUFRAGE

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Dans nos rudes climats tout se fane à la bise,

Et l'on marche toujours de surprise eu surprise.

Le soleil aujourd'hui, c'est l'orage demain.

La poussière du soir qui couvre le chemin

Se transforme souvent en une froide boue;

Souvent la chaude effluve où l'insecte se joue

Se change, à l'heure même, en un souffle glacé.

Avant que la faucille, en criant, ait passé

Dans le champ de froment que les vents chauds mûrissent,

Souvent les blonds épis sous les frimas périssent;

Ou la pluie incessante, inondant le vallon,

Fait rouiller la javelle au temps de la moisson.

Mais quand l'été s'envole et que parait novembre,

Que les champs moissonnés ont la teinte de l'ambre,

La bise, tout-à-coup, arrive du Levant,

Souffle avec une ardeur qui va toujours croissant;

Le soleil sans éclat se cache dans les nues;

Les troupeaux vont beuglant sur les campagnes nues;

Les feuilles des forêts s'échappent des rameaux,

Tourbillon rient dans l'air comme un essaim d'oiseaux,

Ou d'un tapis brillant couvrent la terre aride;

La neige en blancs flocons tombe d'un ciel livide

Et comme une fumée enveloppe les toits.

Puis le fleuve s'irrite, et ses flots lourds et froids

Agitent en hurlant leurs panaches d'écume

Qui tombent avec bruit, comme sur une enclume

Tombent les durs marteaux. Et le froid devient vif;

Et la glace s'étend sur le fleuve plaintif,

Comme une écorce blanche. Elle le tient, l'enchaîne.

Alors le bâtiment comme un oiseau qui traîne,

En sortant du lacet, son vol endolori,

Vogue péniblement cherchant un sûr abri,

En mille sens essaie à s'ouvrir un passage

A travers les glaçons qui rongent le bordage,

Dérive avec les flots, n'obéit plus au vent,

Et sur les blancs écueils vient sombrer trop souvent.

Quand, pour virer de bord, la fine goélette

Déploya sous le vent, son aile de mouette,

On la vit incliner ses deux mâts hauts et droits,

Et l'onde rejaillit sur le bord des pavois.

L'espérance à l'horreur, hélas! fît bientôt place,

Lorsqu'aux yeux des marins un vaste champ de glace,

Implacable, sans borne, apparut tout-à-coup.

Le vent, depuis une heure, avait fraîchi beaucoup,

Et, de la Chevrotière aux Pointes des Grondines

Où les chasseurs s'en vont, par les jours de bruines,

Tuer le pluvier gris, l'outarde et le canard,

La glace avait jeté son immense rempart.

Le fleuve se couvrait de sonores banquises:

La nuit faisait sur l'eau danser ses ombres grises.

Et c'était le reflux: la mer se retirait.

Aux caprices des flots le brigantin virait

Comme une feuille au vent sur le milieu des routes.

Les matelots bordaient vainement les écoutes.

Les glaçons anguleux lui déchiraient les flancs;

Il rasait, sans les voir, les redoutables bancs

Qui ceignent en ces lieux le chenal du long fleuve:

--«Dieu nous envoie, hélas! une terrible épreuve:

«Soyons fermes et forts, et ne murmurons pas.

«Tâchons, ô mes amis, de fuir l'écueil, là-bas,

«Où les glaces au roc se heurtent avec rage.»

Ainsi le Capitaine éveille le courage

Des matelots tremblants que le froid engourdit.

Le pilote sans peur que ce coup étourdit

Regrette l'atlantique et ses brûlants orages.

Le vent passe en sifflant dans les roides cordages.

La voile se déchire et ses lambeaux gelés

Aux vergues de sapin restent encor gonflés.

Le courant, plus rapide à mesure qu'approche

Le Riche-Lieu terrible en sa couche de roche,

Dans ses nombreux remous fait tournoyer sans fin,

Avec les verts glaçons, le léger brigantin.

Tout-à-coup, en touchant une pierre, la quille,

Avec un bruit sonore et bondit et vacille.

Un cri s'élève. On court à l'arrière, à l'avant.

Pour savoir où l'on vogue on consulte le vent;

Car dans l'obscurité la neige aisément trompe.

On visite la cale; on fait jouer la pompe;

Et l'on s'assure enfin que le joli vaisseau

N'a pas eu d'avarie et qu'il ne fait point d'eau.

La neige est moins épaisse, et par moment la lune

Jette un pâle reflet sur la voile de hune;

Dans les coeurs attristés glisse un rayon d'espoir.

L'ilette montre au loin, son étrange dos noir.

Le froid devenait vif. Ses cruelles morsures

Arrachaient aux plus forts des plaintes, des murmures.

Dans le chenal étroit, comme un immense étau,

Les glaces cependant étreignent le bateau

Et le font, tour à tour, sur leurs carreaux de marbre,

A bâbord, à tribord, pencher comme un grand arbre

Que les bises d'automne agitent rudement

Avant de le casser; le poussent lentement,

Mais avec une force affreuse, irrésistible,

Vers l'écueil où la perte est, hélas! infaillible.

Les marins consternés élèvent vers les cieux

Et leurs bras engourdis et leurs humides yeux.

Un craquement sinistre enfin se fait entendre:

De l'arrière à l'avant le pont semble se fendre;

Les haubans verglacés se brisent sous le choc;

La carène s'élève et monte sur le roc;

Les mâts penchent sur l'onde avec leurs longs cordages,

Comme au bord des ruisseaux des saules sans feuillages;

La chaloupe brisée est emportée au loin;

Le pilote aux pavois se cramponne avec soin.

En bloc majestueux la glace s'amoncelle:

Une dernière fois le fier bateau chancelle;

Et l'eau se précipite, avec un bruit affreux,

Par la blessure ouverte à son flanc généreux.

On entendit alors dans toute la paroisse

Des marins en péril les nouveaux cris d'angoisse.

Mais celui qui voudrait voler à leur secours

N'exposerait-il pas lui-même trop ses jours?

Dans leur cupidité, François et le sauvage

Allaient tenter pourtant le hardi sauvetage.

Vers le pied de la côte où vient mourir le flot,

Renversé sur le flanc, est un léger canot

Que Lozet a creusé dans un tronc d'épinette.

Des branches de sapin lui font une cachette

Où la neige et les eaux ne s'introduisent pas.

François et Tonkourou dirigent là leurs pas.

Ils rangent les rameaux que la neige recouvre,

Relèvent d'un bras sûr le fier canot qui s'ouvre,

Comme un traîneau rapide, un facile chemin.

A travers le nuage un rayon incertain

Glisse parfois du ciel sur l'éclatante nappe;

Et l'on entend, au loin, un chien perdu qui jappe,

Appelant dans la nuit son maître indifférent.

Le sauvage et François s'avancent en courant

Quand sous leurs pieds hardis la glace semble sûre;

Quand elle craque et casse en profonde fissure,

Ils se jettent tous deux dans le canot vaillant.

Déjà le flanc du brick se détache saillant

Sur les monceaux de glace et les chaînes de roche.

Les cris semblent plus hauts car déjà l'on approche.

Aux vergues cramponnés, dans les ombres du soir,

Le maître et le pilote ont, par instants, pu voir

Une masse plus sombre errer sur le rivage.

Ils ont vu s'approcher de l'endroit du naufrage,

Trop lentement, hélas! pour leurs coeurs oppressés,

Comme des anges purs, leurs sauveurs empressés.

Mais les deux matelots de leurs mains engourdies

Ne s'étaient pas tenus aux amarres roidies,

Lorsque le bâtiment, avec un bruit plaintif,

Fut par les lourds glaçons brisés sur le récif;

Et dans le gouffre ouvert par la mer en furie

Ils étaient descendus en invoquant Marie.

Le vent soufflait toujours et se mêlait aux cris

Des deux pauvres marins attachés aux débris

De ce joli vaisseau qui naguère à la lame

Berçait avec orgueil sa longue et blanche flamme.

Le canot arrivait. Un énorme rempart

S'élevait devant lui ceignant de toute part

Le navire vaincu. La glace amoncelée

Semblait d'une forêt la cime dentelée.

On entendait au fond, dans les larges remous,

Les sourds bouillonnements des vagues en courroux.

Le sauvage cria:--«Votre perte est certaine:

«Nous ne pouvons plus rien; toute espérance est vaine.»

De l'épave sinistre une voix répondit:

--«Sauvez-nous! sauvez-nous!» Et François Ruzard dit:

--«Mais pour sauver la vôtre on risque notre vie:

«D'une inutile mort je ne sens pas l'envie.»

--«Sauvez-nous! sauvez-nous! Ah! pour l'amour de Dieu

«Retirez-nous enfin de ce terrible lieu!»

--«Que nous donnerez-vous si nous pouvons vous prendre

«Et jusques au rivage heureusement vous rendre?»

--«Tout ce que je possède est à vous en purs dons»

--«Oui vous aurez, amis, ce que nous possédons!»

Reprit le vieux pilote en frottant ses mains froides

Qui s'en allaient gelant sur les cordages roides.

Un canal où les flots déchaînaient leurs fureurs

Séparaient les marins de leurs vaillants sauveurs.

François et Tonkourou sentaient doubler leur force.

Pour leurs âmes sans foi la plus brillante amorce

Etait l'espoir d'un gain. Dans leur avidité

Ils ne comprenaient pas la douce charité.

Unissant leurs efforts, d'une main ferme et leste,

Pendant que les marins, de la voix et du geste,

Excitent leur courage, ils poussent le canot,

Et l'avant rebondit sur la vague aussitôt,

Pendant que sur la glace ils retiennent l'arrière.

Un moment l'eau retombe au-dessus en poussière,

Mais par un autre effort le canot descendu

Reprend sur les flots noirs l'équilibre perdu.


Les vengeances - Poème canadien

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