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CHANT TREIZIÈME LE VIATIQUE

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--«Oui, je m'appelle Auger, dit un jour le pilote

Répondant à Lozet,--«Ou bien bonne ou bien sotte,

«Une idée, autrefois, naquit dans mon cerveau:

«Je voulus voir beaucoup et toujours du nouveau.

«Je partis, j'étais seul; car ma femme adorée

«Venait de s'endormir dans la tombe sacrée,

«Je dis que j'étais seul, non; j'avais une enfant

«Qu'elle m'avait donnée, hélas! en s'en allant....»

Les voisins curieux, pour entendre à leur aise,

Auprès du vieux conteur approchèrent leur chaise;

Mais un son argentin fit soudain vibrer l'air:

Il approchait bien vite et devenait plus clair.

Chacun resta muet écoutant en silence.

Le galop d'un cheval retombait en cadence.

--«On porte le bon Dieu, dit Louise: à genoux!»

Sur le seuil de la porte ils s'agenouillent tous,

Inclinant leurs fronts nus jusque dans la poussière.

Le cortège passait: Une vive lumière

Berçait son auréole, image de l'amour,

Devant le Viatique. On la vit au détour

Que formait, près de là, la route tortueuse,

Disparaître bientôt dans la nuit ténébreuse;

Le son de la clochette allait s'affaiblissant.

Après avoir loué le Seigneur Tout-Puissant

Caché sous l'humble aspect de la divine hostie,

On se leva.--«Qui donc se meurt? Vierge Marie!»

Dit la femme Lozet d'une inquiète voix.

--«C'est, répondit quelqu'un, un accident je crois,

«Car le curé n'a pas, dans les fêtes dernières,

«Recommandé, bien sûr, de malade aux prières.»

--«Savez-vous le malheur, mes amis? dit Ruzard

En entrant, tout-à-coup, essoufflé, l'oeil hagard.

Tout le monde, surpris, se lève et l'environne.

--«Qu'est-ce donc? Parle vite.--«Eh bien! voici: je donne

«Comme je l'ai reçu le récit du forfait.»

--«Un crime, juste Dieu! fit Lozet, stupéfait.»

--«Un crime abominable, un vol, un homicide!...»

Chacun se rapprocha, penchant d'un sur avide

Vers le jeune Ruzard un visage inquiet.

François reprit alors:--«C'est Amable Beaudet

«Qui m'a tout raconté, tout à l'heure, à l'église.

«Le bonhomme Sivrac, ce vieux à barbe grise

«Qui garde, vous savez, le phare du Platon,

«Est presque mort, hélas! sous les coups de bâton.

«On ne l'avait pas vu de toute la journée.

«Comme il n'avait pas fait sa petite tournée

«Chez le père Beaudet, son plus proche voisin,

«Quand le soir arriva le père était chagrin:

--«Sivrac n'est pas venu, dit-il, fumer sa pipe;

«Serait-il donc malade, ou me prend-il en grippe?

«Allons voir.» Il sortit marchant rapidement:

«Il avait dans son coeur un noir pressentiment.

«La porte de Sivrac était fortement close.

«Beaudet a peur d'ouvrir, il le voudrait et n'ose.

«Le foyer est éteint et pas une lueur

«N'éclaire en ce moment le calme intérieur.

«Il appelle, et personne à sa voix ne s'éveille;

«Il frappe dans la porte et prête en vain l'oreille;

«Il pousse une fenêtre, et, d'un pied résolu.

«En enjambe aussitôt le cadre vermoulu;

«Puis il bat le briquet, allume une chandelle,

«Et parcourt chaque chambre avec un soin fidèle.

«Tout est bouleversé: les buffets sont ouverts;

«Le lit est tout défait; des coffres en travers

«Ecrasent de leur poids la porte de la cave.

«Beaudet tremblait un peu bien qu'il fut fort et brave.

«Cependant tout-à-coup quelques faibles sanglots

«De la maison déserte éveillent les échos.

«La porte de la cave est fragile, et petite:

«Les meubles entassés en sont éloignés vite,

«Et Beaudet, hors de lui, tout au fond aperçoit

«Sivrac ensanglanté gisant sur le sol froid.

«Des brigands inconnus ont accompli ce crime.

«Et l'on n'a plus d'espoir de sauver la victime.»

Tel fut l'exact récit que fit François Ruzard.

--«Quel démon a tué cet excellent vieillard?

«On pouvait le piller dans cette, solitude

«Et de n'être point pris avoir la certitude.

«Le tigre boit le sang pour assouvir sa faim;

«Pour le plaisir du mal, d'une barbare main,

«L'homme seul ose ôter la vie à son semblable.

«La bête s'apitoie et l'homme est implacable.

«O supplice! ô douleur! on peut en vérité

«Rougir de toi souvent, ô pauvre humanité.»

Ainsi parla Lozet d'une voix fort émue.

En poussant un soupir Ruzard baissa la vue.

Louise s'écria: Jésus crucifié!

Pitié pour l'innocent, pour le bourreau pitié!

--«Nous ne ferions pas mal, dit un autre, il me semble,

«D'aller voir notre ami cette nuit même ensemble,

«Avant qu'il ait rendu le suprême soupir.»

Et, tous s'étant montrés disposés à partir,

On sort de l'écurie, avec sa noire bride,

Un cheval hennissant, au pied dur et rapide;

A la grande charrette il est vite attelé.

Malgré l'état affreux un chemin dégelé,

Les vieux amis, chagrins, sans tarder davantage,

Montent dans la voiture et fouettent l'attelage.


Les vengeances - Poème canadien

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